Christophe Donner : « À quoi jouent les chaînes publiques ? »

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Oubliées des chaînes hertziennes, zappées de la TNT et méprisées par les instances dirigeantes du PAF, les courses hippiques sont les grandes perdantes de cette saison télévisuelle. L’écrivain Christophe Donner se désole de ce faux départ.

Au début des années 60, au temps de l’ORTF, le Prix d’Amérique était regardé par tous ceux qui avaient un poste de télévision. Pendant longtemps, cette course (la plus grande du Monde pour les trotteurs) et celle du Prix de l’Arc de Triomphe (son équivalent pour les galopeurs), ont été regardées par des dizaines de millions de téléspectateurs français. Grâce au tiercé, certes, mais surtout grâce au spectacle de ce fantastique moment de compétition. Derrière le rêve des « millionnaires du dimanche », la mythologie du cheval reprenait des couleurs. Ses nouvelles idoles avaient pour nom Roquépine, Jamin, Une de Mai, Sea Bird, Mill Reef, Nijinski.
En 2013, L’Arc a été regardé par un milliard de téléspectateurs. Et voilà que cette années, malgré la présence du phénomène Bold Eagle qui enflamme la cœur des turfistes, le Prix d’Amérique n’a été diffusé par aucune des chaines publiques, celles-ci ayant demandé aux sociétés de courses de leur donner (c’est le monde à l’envers) cinq millions d’euros pour diffuser un événement sportif qui intéresse pourtant près de huit millions d’aficionados (paris à l’appui).
Je ne crois pas que les fédérations de ping-pong, de nage synchronisée ou de badminton versent à France 2 ou France 3 de l’argent pour faire passer à l’écran leurs charmantes petites parties, et j’attends qu’on m’explique l’intérêt public et national de ces compétitions. J’aimerais bien qu’on me dise aussi comment les chaînes publiques ont l’impudeur de demander de l’argent à des sociétés de courses qui, pas plus que les fédérations de sports amateurs ou professionnels, ne sont des sociétés à but lucratif. Elles organisent des courses et gèrent des paris, sans que personne n’en tire de profit.

Cette demande d’argent des chaînes de télévision publique est un scandale car les courses de chevaux, n’en déplaisent aux ligues de vertus mal placées, font partie de notre patrimoine culturel au même titre que l’art ancien, l’architecture moderne et la musique contemporaine. A ceci près qu’elles rapportent environ un milliard d’euros par an à l’État, rien qu’avec les taxes sur les paris. Un État qui pourrait se montrer un peu reconnaissant, car les courses représentent aussi 70 000 emplois non subventionnés, soit trois fois plus que le foot et cinquante fois plus que le rugby. Les chevaux élevés en France sont exportés dans le monde entier et dans des proportions incomparablement plus fortes et plus profitables pour la balance commerciale de notre pays que les transferts de footballeurs élevés en France. On n’en finirait pas d’énumérer les arguments en faveur des courses, ils sont sportifs, écologiques, culturels, sociaux, diplomatiques, économiques…
Alors pourquoi les courses sont-elles, en France et seulement en France, à ce point méprisées par les instances médiatico-étatiques ? Comment en est-on arrivé là après avoir été le premier des sports, continué d’être le plus productif, et le plus noble : doit-on expliquer la différence entre l’animal qui a permis à l’homme d’aller plus vite que l’homme, et ce morceau de cuir sur lequel les hommes donnent des coups de pieds ?
Pour comprendre, il faut se tourner vers les sociétés de courses. Assises sur un trésor, assurées de leur pérennité, certaines de leur supériorité, elles ont peu à peu oublié de regarder le monde qui les entourait, et négligé de s’y adapter. Les mots lobbying, communication, presse, management, clientèle, Internet, ne sont pas entrés dans leur dictionnaire, ou si tardivement que le logiciel mis en place est déjà bon pour la casse. Des campagnes publicitaires d’un autre âge, une presse indigne de ce nom, un mépris du public qui frise l’incorrection, une absence de stratégie commerciale qui fait pitié. « Le trot ce n’est pas seulement une allure, c’est une culture », clame le dernier slogan de la société du Trot qui, dans le même temps continue de faire gigoter des pom-pom girls devant des tribunes vides, par zéro degré de température.
Toutes ces déficiences ont jusque-là été masquées par une augmentation du chiffre d’affaire qui n’est que la conséquence mécanique de la multiplication des offres de paris : on peut parier maintenant de 11heures du matin à 23 heures sur cinq à dix réunions par jour ! Ce plan, brutalement lancé par des personnes ayant la plus parfaite méconnaissance du sport hippique, et le plus profond mépris pour les turfistes, a entraîné une hausse des coûts faramineuse, car il faut entretenir les hippodromes qui tournent désormais à plein régime, et idem pour les lieux de paris. Dans ces conditions, ce qui devait arriver est en train de se produire : alors que le volume des enjeux baisse (probable lassitude d’un public mal traité, démotivé, qu’on accuse d’être démodé), les frais de fonctionnement du Petit Mammouth Urbain, eux, continuent de progresser. Pour réagir, on s’apprête à faire exactement ce qu’il ne faut pas : des économies en attendant que les enjeux reprennent. A la faveur de quel miracle ? On ne sait pas.
Dans ce contexte, le refus des chaînes de télévision publiques de diffuser le Prix d’Amérique sur leurs antennes, et leur tentative de racket des sociétés de courses est malheureusement très logique. Ces dernières ayant perdu tout moyen de se défendre, on les attaque.

Christophe Donner

(Image : la série HBO «Luck»)