EN DÉCODÉ _HOLLYWOOD À TROIS VITESSES

Paru dans le numéro 138 de Technikart – 30/11/2009

Un film à 11 000 $ signé d’un immigré israélien Oren Peli, un film à 100 M$ signé du «Maximonstre» Spike Jonze, un film à 300 M$ signé du king of the world James Cameron. «Paranormal Activity», «Max et les Maximonstres», «Avatar», trois témoignages de la schizophrénie du cinéma US.

On pourrait tourner trois Max et les Maximonstres avec la différence de budget qui existe entre Avatar et Paranormal Activity. Pas besoin d’être doué en calcul, c’était fastoche : Mam coûte 100, Avtr, 300, PA, rien. On pourrait tourner un Max avec ce que Paranormal vient de rapporter au box-office US, et un Avatar avec ce qu’il est en passe de rapporter dans le monde. Formulé autrement, il y a 30 000 premiers films de Oren Peli dans le dernier film de James Cameron. D’ailleurs, si le plus-gros-budget-de-l’histoire a la même activité que le film-le-plus-rentable-de-l’histoire, il rentrera à peine dans ses frais. Même si les chiffres ne vous parlent pas d’habitude, il y a là de quoi perdre le sens des réalités ou, au contraire, de quoi le retrouver une bonne fois pour toutes.

Regarder les chiffres max de Paranormal Activity et ceux, monstres, d’Avatar, qu’ils soient d’entrées, de sortie, de budget ou de recettes, offre une mise en perspective vertigineuse du cinéma d’aujourd’hui, qui hésite structurellement entre le tout et le rien, l’infiniment petit et l’infiniment grand, la 3D en relief et le Camescope noir et blanc, le coup de bluff avec que dalle dans les mains et le coup de poker où l’on met tout ce qu’on a sur le tapis. Au beau milieu de tout ça, une bande de monstres pulsionnels agite les caprices et les fantasmes d’un enfant de 10 ans devant la caméra d’un ex-skater neurasthénique…
Par nature, Hollywood privilégie théoriquement la stratégie de l’investissement lourd à celle du jackpot spontané. La logique est économique : si Avatar marche comme il est censé marcher, il rapportera moins en proportion mais normalement plus, BEAUCOUP plus en net que Paranormal Activity, qui n’est jamais qu’un jackpot, c’est-à-dire un extraordinaire coup de bol – et accessoirement un film formidable. « Le plus compliqué n’est pas de faire le film, mais que ceux qui le sortent décident de ce qu’ils ont l’intention de faire avec », explique Spike Jonze, qui s’est claqué les adducteurs des deux cuisses sur Max et les Maximonstres à force de ne pas savoir s’il tournait un blockbuster pour les enfants ou un film quasi expérimental sur les enfants, ou les deux, ou aucun des deux. Chacun des trois films-clés qui balisent l’avantNoël a une histoire artistique et marketing interminable, un feuilleton off plus délayé que la saison 2 de Lost, une épopée de changements d’avis, de pieds et de directions qui montrent qu’en effet, « savoir quoi faire » et « savoir quoi en faire » sont des notions bien différentes.

 

EXEMPLE 1, LE PLUS SIMPLE, AU FOND: «AVATAR»
Première annonce du projet, avec traitement de 80 pages ? 1995, soit deux ans avant Titanic. Ensuite, James Cameron se paie dix ans de plongée sous-marine pour tester les caméras d’un autre film (Battle Angel) avant de décider en 2005 que la 3D n’est enfin plus l’avenir mais bel et bien le présent du cinéma. « Là, on a mis le marché entre les mains des circuits de salles, explique Cameron. On a annoncé la mise en production, ensuite c’était à eux de faire en sorte de s’équiper en 3D pour amortir un film de cette taille. »
Quatre ans de production marathon plus tard (et deux reports : de 2008 à 2009, puis de mai à décembre), le parc 3D en France navigue autour d’une pauvre centaine de salles (mais déjà 4 500 aux Etats-Unis) et Avatar a été annoncé en plusieurs durées (2h30 dans son format préférentiel l’IMAX 3D, mais 3h00 en 2D et 3D « classique ») avant de se fixer à trois semaines de la sortie sur une seule et même version (2h30) tous supports confondus. Un coup sur un pied, un coup sur l’autre, le cul tout bleu des créatures de Pandora assis entre deux chaises, même à ce prix-là, ce n’était manifestement pas facile de s’accorder sur UNE stratégie.

EXEMPLE 2, LE PLUS FOU, QUAND ON Y PENSE: «PARANORMAL ACTIVITY».
«Paranormal Activity». Shooté en sept jours pour le budget pizza d’un tournage normal par un jeune Israélien, le film buzze à Screamfest en octobre… 2007. Il est acheté par Dreamworks (comme un machin australien du même tonneau intitulé Lake Mungo l’année suivante) selon le principe que ce n’est sans doute qu’une merdouille virale, mais qu’il y a peut-être un bon remake à en tirer. Le chiffre (un film à 11 000$…) est alors considéré comme une assez bonne estimation de la valeur artistique du truc. Deux ans plus tard, le même chiffre (un film à 11 000 $ !!) est devenu la preuve irréfutable qu’il s’agit d’un coup de maître absolu.
Entre-temps, Paranormal Activity a été enterré douze mois, victime collatérale du divorce Dreamworks/Paramount, sérieusement remonté (comprenez : raccourci), la fin changée au moins trois fois, et son budget réel– c’est-à-dire marketing compris – multiplié par quelques milliers. Le plus marrant : si la plupart des professionnels ont commencé par ne pas y croire du tout, c’est qu’il faisait « trop Blair Witch » (d’où refus du film à la Semaine de la critique cannoise) ou « trop Camescope » (ceux qui voulaient que le réalisateur Oren Peli le refasse lui-même en plus pro). Savoureux contresens, alors que toute la beauté du film vient au contraire de l’évidence de l’intégration de son dispositif esthétique à son pitch (laissons la caméra tourner la nuit, on regardera demain matin ce qui se passe dans la maison quand on dort). Le style, le propos, le processus de tournage et l’efficacité du produit fini ne faisant alors plus qu’un…

EXEMPLE 3, LE PLUS PARLANT, FINALEMENT: «MAX ET LES MAXIMONSTRES»
Exemple 3, le plus parlant, finalement. «Max et les Maximonstres». Tombé dans les mains de Spike Jonze à l’insistance de l’auteur du livre original Maurice Sendak, le projet est un cas caricatural de « ni-ni » filmique. Ni tout à fait un blockbuster, ni strictement un film d’auteur, ni 100% studio ni indé du tout, ni trop calibré ni totalement libre, « ne ressemblant à aucun autre film », selon Sendak.
Bref, le cauchemar marketing total. Max et les Maximonstre, c’est vingt ans de projets concurrents, au moins six passés par Jonze sur l’adaptation, un budget qui fait plus que doubler quand l’homme de John Malkovich comprend que son idée de filmer des mecs dans des costumes pour incarner les monstres, ça fera joli, mais qu’il faudra AUSSI faire l’équivalent d’un film complet en synthèse pour gérer leurs dialogues et leurs expressions faciales… D’où un an de report sine die (de 2008 à 2009) pour « aider Spike à concrétiser sa vision », dixit l’enrobage officiel Warner quand le studio comprit qu’il lui faudrait au moins ce temps-là pour réorienter toute la promo vers le monde adulte.
A l’arrivée, l’hybridation du film, la façon qu’il a de procéder de deux démarches artistiques antagonistes, de deux processus créatifs inverses et de deux logiques économiques contradictoires, c’est-à-dire de deux conceptions opposées du cinéma, est ce qu’il a de plus fascinant et de plus séduisant. Tout et rien. Tout et son contraire. Lo-fi ET high-tech. Infiniment grand ET infiniment petit, à l’image d’un cinéma américain tout entier compris dans cet espace protéiforme qui sépare Avatar et Paranormal Activity. Toujours trop, jamais assez. Hollywood à trois vitesses, mais condamné à l’excès.

Le jackpot «Paranormal Activity»
COMPTE-RENDU D’ACTIVITÉ
11 000 $ côté dépenses, 106 M$ côté recettes. C’est quoi la recette, justement ? Oren Peli, réalisateur de «Paranormal Activity», nous répond.
BONJOUR OREN. POUR L’ESSENTIEL, VOUS RENCONTRER CONSISTE À CORROBORER LA LÉGENDE. ALORS COMME ÇA VOUS VENEZ DU JEU VIDÉO ?
Avant «Paranormal Activity», j’étais programmateur de jeux. Et avant ça, je fabriquais des logiciels de peinture et d’animation.
L’HORREUR A TOUJOURS ÉTÉ LE TERRITOIRE PRIVILÉGIE DES CINÉASTES FAUCHÉS ET/OU DÉBUTANTS. QU’EST-CE QUI VOUS A POUSSÉ: L’AMOUR DU GENRE OU LA NÉCESSITÉ ?
Il se trouve que j’avais une idée de film et qu’elle rentrait dans la catégorie «thriller». Mais j’aime le genre, oui.
L’IDÉE EN OR, C’ÉTAIT QUOI ? UN COUPLE HANTÉ ? UNE CAMÉRA AU BORD DU LIT QUI FILME DANS LA NUIT ? LE FAIT QUE ÇA NE COÛTE PRESQUE RIEN ?
L’idée était qu’un individu laisse tourner une caméra dans sa chambre parce qu’il soupçonne qu’il se passe quelque chose d’anormal quand il dort. Puis qu’il visionne les rushes à son réveil. Vous pensez avoir entendu quelque chose ? Vous sentez une présence dans votre maison ? Alors la caméra pourra en attester.
MAIS ALORS MIKA, LE BOYFRIEND TECHNOBEAUF OBSÉDÉ À L’IDÉE D’ENREGISTRER QUELQUE CHOSE AVEC SA CAMÉRA, C’EST VOUS ?
D’une certaine manière. C’est Mika qui fait rentrer la caméra dans la maison, qui l’impose à sa copine et qui fait démarrer le film.
LA CAMÉRA, IL LA TIENT TOUT DU LONG…
Presque, oui. Parfois Katie opérait la caméra. Le reste du temps, elle reste posée sur son trépied dans la chambre ou sur un coin du comptoir de la cuisine. Immobile.
ET MIKA ET KATIE IMPROVISENT LES DIALOGUES À PARTIR D’UNE VAGUE STRUCTURE NARRATIVE. FINALEMENT, VOUS FAISIEZ QUOI SUR CE FILM ?
Ah ah, je faisais les sandwiches pour l’équipe ! L’écriture d’un film comme «Paranormal Activity» se matérialise surtout au montage. Je devais m’assurer que les séquences nocturnes étaient progressivement flippantes, et que les évènements «de jour» nourrissent suffisamment l’intrigue de sorte que la nuit suivante contienne de nouvelles significations. Un exercice d’équilibrisme.
LE FAMEUX PLAN INFRAROUGE DE LA CHAMBRE, LA PORTE OUVERTE QUI DONNE SUR LE COULOIR, L’ESCALIER BÉANT, AU FOND LA PETITE LUMIÈRE, VOUS L’AVEZ BEAUCOUP BOSSÉ ?
J’ai passé des mois à explorer toutes sortes de combinaisons, à bouger les meubles, à jouer avec la lumière du couloir, celle de la chambre… Je voulais créer un sentiment d’isolement familier, avec une profondeur de champ qui piège d’autant plus les personnages.
ON A PEUR PARCE QU’ON S’IDENTIFIE À CE COUPLE. C’EST LA DIFFÉRENCE AVEC «BLAIR WITCH», QUI NOUS DEMANDAIT DE CROIRE QUE TOUT ÉTAIT VRAI…
J’adore «Blair Witch» et je peux difficilement cacher son influence sur moi. Mais il a quelque chose d’éphémère. Dans «Blair Witch», si vous ne croyez pas que tout est vrai, le film entier perd de son intérêt. Ils ont cherché à bétonner le mensonge, pas la fiction.
L’AUTRE LÉGENDE LIÉE À «PARANORMAL ACTIVITY »CONCERNE STEVEN SPIELBERG. IL AURAIT EU TRÈS PEUR EN DÉCOUVRANT LE FILM, AU POINT DE SE TAPER QUELQUES PSYCHOSES. HEUREUSEMENT, ON NE NOUS DEMANDE PAS DE CROIRE À ÇA…
C’est pourtant vrai. Dans un premier temps, DreamWorks nous avait commandé un remake. Ils adoraient le film mais ne savaient pas comment le marketer. Selon eux, «ça ressemblait trop à de la home vidéo». Mais après une projectiontest, ils se sont aperçus que le film fonctionnait très bien comme ça. Ils en ont fourni une copie à Spielberg pour qu’il donne son accord. Il a d’abord eu si peur qu’il a arrêté le film au milieu. Puis il a appelé DreamWorks pour donner sa bénédiction. Le jour suivant, il est monté dans sa chambre , où se trouvait le DVD de «Paranormal Activity», mais la porte n’ouvrait pas, comme fermée de l’intérieur – chose impossible, à moins que quelqu’un se trouve dans la pièce. Il a dû se résoudre à découper la porte à la scie sauteuse et a rapporté le lendemain le DVD dans un sac poubelle. Il n’en voulait plus chez lui.
UNE BELLE HISTOIRE, DEVENUE L’ARGUMENT DE VENTE DU FILM…
L’approbation de Spielberg, ça aide. Mais le bouche à oreille est l’unique moteur marketing de ce film. Si je n’avais eu «que» Spielberg, ça n’aurait pas suffit.
QUE POUVEZ-VOUS NOUS DIRE SUR «AERA 51», QUE VOUS TOURNEZ ACTUELLEMENT ?
Rien. Je préfère laisser parler mon travail. C’est un conseil que je tiens des mecs de «Blair Witch».
IL EST RÉALISÉ DANS LA MÊME ÉCONOMIE QUE «PARANORMAL ACTIVITY» ?

AH OUI, VOUS NE PLAISANTIEZ PAS…
Bon, sans entrer dans les détails, je dirais simplement que l’une des scènes qui m’a le plus angoissé quand j’étais gosse – en dehors de «l’Exorciste», dont TOUTES les scènes m’ont angoissé – est celle de l’enlèvement dans «Rencontres du troisième type». Voilà.
«PARANORMAL ACTIVITY»: SUR LES ÉCRANS.
ENTRETIEN BENJAMIN ROZOVAS

L’entre-deux «Max et les Maximonstres»
SPIKE ET LE MAXI-FILM
Entre deux propositions de cinéma antagonistes, Spike Jonze n’a pas choisi. A quoi ressemble «Max et les Maximonstres», alors ? C’est toute la question.
SPIKE JONZE, EN FRANCE, «MAX ET LES MAXIMONSTRES» SORT LE MÊME JOUR QUE «AVATAR» ET DEUX SEMAINES APRÈS «PARANORMAL ACTIVITY»… TU TE SENS LE PLUS PROCHE DE LA DÉBROUILLE LO-FI DU SECOND OU DE L’HYPERTECHNOLOGIE DU PREMIER ?
Je ne vois pas ça comme ça. Je vis toujours dans le film que je suis en train de faire. Je suis excité par lui, par les personnages, par le processus créatif lui-même. Et je me laisse guider par une pure sensation, le feeling que le film doit provoquer. Quelle démarche va me permettre de m’en approcher ? Sur ce film, j’ai su très tôt que cela passait par des monstres créés à base de vrais gens dans des costumes. Je réponds à la question ?
IL ME SEMBLE, OUI.
Sans doute qu’au fond, je suis plus attiré par le fait main… Mais sur «Max», si l’on a parfois eu recours aux trucs les plus «roots» que tu puisses imaginer, on a aussi utilisé certaines des technologies les plus sophistiquées du moment. En 2009, tu disposes de techniques qui ont cent ans et d’autres qui sont du dernier cri. C’est comme un super-pouvoir, tu n’es bloqué ni dans le vieux ni dans le neuf. Le passé et le futur t’appartiennent.
LES MONSTRES SONT DÉFINIS COMME L’INCARNATION D’ÉMOTIONS BRUTES. IL Y A UN ASPECT PSYCHANALYTIQUE ET SURRÉALISTE DÉTERMINANT DANS TOUT CE QUE TU FAIS.
C’est possible. Aussi bien dans les films avec Charlie (Kaufman – NDLR) que dans celui-là, on remplit le récit de questions que l’on se pose ou qu’on a à régler. Mais on ne pense pas en termes analytiques, non.
QUAND MÊME, L’IMAGE DE L’ENFANT QUI «RENAÎT» EN SORTANT DE LA BOUCHE DU MONSTRE FEMELLE…
Tu le mets dans le script, tu suis ton idée et, quand tu lèves les mains du clavier, tu croises le regard du mec avec qui tu écris et c’est seulement là que tu prends conscience des implications… Puis ça s’estompe, jusqu’au jour où tu te retrouves sur le plateau à faire recouvrir le gamin d’une sorte de glue qui ressemble à du liquide amniotique. Et là, ça t’explose à nouveau en plein visage.
C’EST PRÉCISÉMENT LÀ QUE LE «COMMENT», LA TECHNIQUE UTILISÉE, DEVIENT QUASIMENT UN ÉLÉMENT THÉMATIQUE DU FILM.
C’est très vrai, oui. Le «comment» n’est pas séparé du «quoi». Quand tu écris, tu ne peux pas rêver éveillé et te dire ensuite: «Oh merde, comment on va réaliser ça ?» La technique est une part déterminante du ton du film. Dans «Malkovich», quand les personnages devaient ressortir du «portail», on les a juste fait tomber du haut du cadre. Pas parce que c’était moins cher, mais parce qu’utiliser n’importe quel effet spécial aurait enlevé de la force à l’idée au lieu d’en ajouter. Je n’ai pas encore vu «Paranormal Activity», mais il est évident que c’est la façon dont le film a été fait qui détermine son efficacité. A plus de 10 000 $ de budget, peut-être qu’il ne ferait pas peur du tout.
«MAX ET LES MAXIMONSTRES», JUSTEMENT, TU L’AS CONÇU COMME UN FILM À 50 M$, MAIS LE BUDGET A DOUBLÉ. EN CHANGEANT DE TAILLE, IL A CHANGÉ DE NATURE ?
Ce qui a changé, c’est surtout qu’on n’a plus eu le confort qui va avec le fait d’être sous le radar du studio… Quand on a budgété, il était clair qu’on voulait aller VRAIMENT en extérieur, qu’il y ait du vent, de la poussière, de vrais arbres qui tombent, qu’il nous faudrait VRAIMENT mettre le bateau de Max dans la tempête, si l’on voulait traiter dignement la vie intérieure du personnage. FORCÉ. Pour obtenir le niveau de performance des créatures, David Fincher m’a dit: «Tu n’y arriveras pas avec des animatroniques. Tourne comme ça te chante, mais fais les visages en post-prod, pour que le rendu soit suffisamment subtil et nuancé.» Et il avait raison. C’est ce qui a fait que le film coûte aussi cher. Mais tu reviens à l’essentiel: tes intentions. En l’occurence, il s’agissait d’exprimer avec sensibilité et délicatesse ce que c’est qu’avoir 9 ans et d’essayer de naviguer dans le monde.
UNE DES FORCES DU FILM, C’EST QU’IL EST DU POINT DE VUE DE L’ENFANT, MAIS QU’IL A AUSSI UN POINT DE VUE SUR L’ENFANCE… J’AI REGARDÉ MES ENFANTS DIFFÉREMMENT APRÈS L’AVOIR VU. Vraiment ? COMME SI JE COMPRENAIS MIEUX LEUR NATURE CYCLOTHYMIQUE.
Et ça a changé ton comportement à leur égard ?
EN TOUT CAS, JE ME SUIS DIT QU’IL FALLAIT QUE JE LE CHANGE. JE NE SUIS PAS SÛR D’Y ÊTRE PARVENU.
Je prends ça comme un très grand compliment. Si j’avais moi-même des enfants, j’ai conscience que je n’aurais pas fait le même film, parce que ma principale connexion à l’enfance se serait faite à travers eux. Alors que pour l’instant, ça reste mes souvenirs à moi.
«MAX ET LES MAXIMONSTRES»: SORTIE LE 16 DÉCEMBRE.
ENTRETIEN L. H.

La révolution «Avatar»
KING OF THE WORLD, LA SUITE
Pour «Avatar» et ses 300 M$ de budget, James Cameron le bâtisseur rêve d’un nouveau «Titanic». Celui de 1997, pas de 1912…
JAMES, ÇA FAIT OFFICIELLEMENT QUATRE ANS QUE VOUS BOSSEZ SUR «AVATAR» MAIS, EN FAIT, C’EST BIEN PLUS QUE ÇA…
Dans ma tête, je suis dessus depuis vingt ans. La préproduction a débuté il y a sept ans avec les premiers «concepts arts». On fabrique concrètement le film depuis quatre. Mais on a commis pas mal d’erreurs en cours de route.
DU GENRE ?
La principale a été de penser que le processus était sous contrôle. En théorie, c’était très protégé: on allait capturer les mouvements des acteurs sur ordinateur, filmer l’action avec les caméras virtuelles, et on obtiendrait immédiatement un premier montage. Sauf qu’on n’avait pas réalisé qu’on était obligés de filmer et de monter tout DEUX fois dans le monde virtuel.
C’EST-À-DIRE ?
D’abord, vous filmez les mouvements des acteurs, puis vous passez en salle de montage pour tirer «une performance» de leur travail de capture, puis vous faites une liste gigantesque des éléments dont vous aurez besoin en plus dans la scène. Tout ça part au laboratoire pendant des mois. Si la scène en question nécessite une foule de gens en arrière-plan, on doit alors capturer leurs mouvements séparément – et on ne peut pas aller au-delà de dix-huit personnes par session de captures… Je dois alors faire plusieurs blocs de dix-huit personnes pour m’en sortir. Et chacun de ces figurants doit être travaillé comme le serait un personnage principal. Ce n’est pas comme sur un film traditionnel où cinq cents figurants à gérer ne sont qu’un mauvais moment à passer, au pire une journée harassante. Là, il faut environ un an pour que tout coïncide… Et on a beaucoup, BEAUCOUP de scènes de foules.
VOTRE EXODE DE SEPT ANS SOUS LES OCÉANS VOUS A-T-IL DONNÉ UNE NOUVELLE PERSPECTIVE SUR LE MÉTIER DE CINÉASTE ?
En revenant au monde du cinéma, je me suis rendu compte que tout le monde ici se la joue beaucoup trop. La discipline et la rigueur qu’exige le monde scientifique sont autrement plus sérieuses : l’océan n’a pas lu votre script, tout peut arriver. Et tout arrive. Et il faut recommencer, recalculer, recalibrer… La leçon que j’ai retenue et appliquée à mon travail de cinéaste, c’est la nécessité de construire et de manager une équipe. Avant, je n’étais pas bon pour ça. J’étais même le pire.
PAS DE TEE-SHIRTS HAINEUX PORTÉS PAR L’ÉQUIPE PENDANT LE TOURNAGE, CETTE FOIS ?
Non. Enfin si, mais des tee-shirts sympas. Je me suis lancé dans l’aventure en pensant: «Ça va être difficile, il y aura des moments où les gens baisseront les bras, où ils auront l’impression de ne plus pouvoir continuer.» J’ai tout fait pour encourager le moral, concentrer les énergies… «Avatar» était un énorme challenge, mentalement surtout. On tournait en haute mer, on combattait des ouragans, des conditions dramatiques et on combattait le fait qu’on ne savait pas ce qu’on faisait. Personne ne savait ! On a inventé toute une terminologie pour des choses qui n’avaient pas encore de nom.
PAR EXEMPLE ?
Mettons que vous disposez d’un paysage virtuel bourré de nuances topographiques. Lorsqu’un acteur pénètre dans ce paysage – un acteur «physique» – il n’est pas soutenu par le terrain. On a dû inventer des décors à la physique modulable qui puissent reconfigurer le terrain en permanence. Personne n’avait jamais fait ça auparavant. Est-ce qu’on appelle ça «le décor» ? Mmmh, non, le paysage virtuel est le décor, là il s’agit de la structure sous-jacente qui souligne le décor. On a fini par appeler ça un «grid». Grid 4, Grid 5, Grid 6… Tous modulables à l’infini, de sorte que les acteurs pouvaient marcher dans n’importe quelle partie de cette forêt virtuelle. Ce film exigeait de moi, en plus de mon métier cinéaste, de devenir le parfait botaniste, le parfait ingénieur, le parfait physicien.
ON PARLE D’UN BUDGET GLOBAL DE 500 M$, MARKETING COMPRIS. ET SI LE FILM SE PLANTE ?
Qu’il ne rencontre pas les attentes du spectateur reste bien sûr une possibilité. Mais je refuse l’idée selon laquelle le succès ou l’insuccès d’«Avatar» dictera le cinéma de demain. Ce qui se joue, c’est la carrière du film. Il y a cependant certaines réalités industrielles à prendre en compte. Une production de cette ampleur, avec une campagne marketing de cette ampleur, ne peut pas faire moins de 150 M$ la première semaine de son exploitation aux Etats-Unis. Ce n’est pas une estimation de ma part, c’est mathématique.
«AVATAR»: SORTIE LE 16 DÉCEMBRE.
ENTRETIEN B. R.

LÉO HADDAD