Etienne Menu est-il le manager des Queues Raides de Brest?

Paru dans le numéro 137 de Technikart – 27/10/2009

Clash QUI C’EST, CELUI-LÀ ? _TROIS FEUILLETS POUR MIEUX CERNER UNE PERSONNALITÉ UN GROUPE DE SOSIES DE BOWIE, DE PRINCE ET DE DYLAN, UN LABEL RACONTANT L’HISTOIRE DE FRANCE SUR FOND DE RAP, L’APPARITION DU DARK’N’B… DANS LE ROMAN GRAPHIQUE «FACES B», ETIENNE MENU INVENTE DES HISTOIRES PLUS TRIPANTES QUE LA RÉALITÉ.

Ce n’est ni une bio scolaire, ni un essai vasouillard. «Faces B», l’un des livres les plus poilants, visionnaires et passionnés parus dans l’Hexagone sur le rock, est un roman graphique. Jan Krsn assure les illustrations. Etienne Menu signe les textes.Le procédé narratif: un chroniqueur radio raconte l’histoire d’un groupe, The Barons, tombé dans les latrines de la pop music. Tout au long de l’émission, en partant des crédits sur la pochette de leur unique album, l’intervenant retrace le parcours des musiciens, mi-génies mi-margoulins.

Au secours ? Un ouvrage ultraspé à destination de trois collectionneurs onanistes ? Non. C’est la force de «Faces B»: partir d’une petite histoire pour raconter la grande. Celle des arrière-cuisines de la pop culture, de l’envers du rock business, de crapules magnifiques et de prophètes irresponsables, de coups de putes et de destinées touchantes.

 

«J’EXTRAPOLE»
Si le disque de The Barons existe réellement, les itinéraires des gusses ayant participé à son enregistrement sont affabulés. «Mais je me base souvent sur d’autres faits réels pour extrapoler, nous explique Etienne Menu, sorte de neveu jovial de Christophe Hondelatte. Ce livre, c’est le reflet de mon amour pour la musique, ses destins tordus, ses chemins de traverse, loin des mythes officiels.»
Nous sommes dans un bar du XIe arrondissement, le Plein Soleil, il pleut. Etienne nous raconte son parcours. Il est né en 1979 à Boulogne. L’ado passe son temps à la médiathèque municipale où il emprunte des tonnes de disques, «de My Bloody Valentine à Harry Pussy. Puis, je me suis mis à la house: Chicago, Detroit, Mo’Wax…» Electronisé par cette musique, Etienne pige pour la revue «Octopus» et se branche sur la station FPP, «pour l’émission “Mondial Twist”, ils passaient de tout, sans œillère.» Le hip hop devient sa nouvelle marotte.

A LA NAISSANCE D’INSTITUBES
Pourquoi n’explose pas en France un hip hop moins bas de plafond, plus électro ? Il écoute l’Atelier, des amis, il faut que leur morceaux soient signés. Entouré de Tacteel, JR, Orio, Para One, Tekilatex, Etienne monte donc le label Institubes en 2003. «C’était génial, mais je les ai laissés continuer sans moi.» Car Etienne redouble alors d’activités. Après Khâgne, il décroche une maîtrise de philo (sujet: «Adorno et la pop music»), anime une émission sur radio Campus («WRCP»), fait partager ses passions sur un blog et se consacre à la traduction, pour Allia et Scali.
C’est lui qui s’est cogné «Rip it Up and Start Again» (de Simon Reynolds), «Qui êtes-vous, Michael Jackson ?» (de Margo Jefferson) et « le Dictionnaire snob du Rock » (David Kamp et Steven Daly). Il officie aujourd’hui comme traducteur pour « GQ » et s’apprête à transcrire en français la bio d’Arthur Russell. Le destin tragique de ce dernier a-t-il inspiré quelques pages de « Face B » ? « Pas vraiment. C’est plus du côté de managers comme Karakos, qui avait un label pointu, Celluloïd, et qui a fabriqué « la lambada », ou de MacLaren, Phil Collins et Talk Talk, aux parcours assez improbables, que j’ai puisé. »

SOSIE D’ELVIS
Les carrières des membres de The Barons passent ainsi par des groupes de gangsta rap gay (les Queues Raides de Brest), de visual metal, de sosies d’Elvis à plusieurs âges, de musique étatique, d’artistes mettant en scène leur fausse mort… De l’exagération ou de l’anticipation ? «Là, il y a une tournée d’anciens yéyés, leur retour: ils étaient donc partis… et même venus ! A quand une tournée de sous-yéyés ? A quand un groupe de pochettes, sans musique ? Ça ne me surprendrait même plus qu’il y ait un mouvement de jeunes riches en Kooples qui tabassent des joueurs de djembé.»
Vision situ du rock ? Dénonciation du tout-spectacle ? « Je n’accuse pas les escrocs, au contraire, ils m’inspirent. Le rock est surtout surprenant dans les coups de bol ou l’opportunisme. » Et c’est au menu de « Faces B », du surprenant.
«FACE B» (DIANTRE !). 152 PAGES, 16 €.
BENOÎT SABATIER