Faut-il se DROGUER POUR REUSSIR ?

Paru dans le numéro 121 de Technikart – avril 2008

Passage obligé des people en réhab, percée de la coke chez les lycéens, ruée fashion sur les junkies célèbres, sexe sous l’emprise de stupéfiants… Longtemps honnie, la drogue deviendraitelle l’atout ultime de la réussite ? «Technikart» a enquêté.

Trois phrases qu’il faut prononcer pour draguer et se faire des amis : « Tu veux un truc ? », « Je te rejoins dans les chiottes » et « T’inquiète, le videur, c’est mon dealer ». Des formules magiques qui ont toujours bien fonctionné pour moi. Tellement, que la première fois que j’ai couché avec une fille, à 14 ans, c’est elle qui me l’a appris le lendemain, au réveil. Pas grave (quand on passe la ligne, rien n’est grave), puisque j’ai eu ainsi des milliers d’amis que je n’aurais jamais eus sans ça, des centaines de filles que jamais je n’aurais osé aborder sans ça.

BAD BOYS TORTURÉS
Pas grave puisque j’étais un dandy destroy, un junky chic, le Lou Reed du VIe arrondissement remixé par le Pete Doherty de la night, et qu’elles étaient toutes folles de moi. Folles parce que, de retour des chiottes, justement, elles étaient soudain Nico ou Kate Moss, et que tous ensemble, on emmerdait la terre entière.
On était trop. Trop glam, trop rock, trop délire, trop quelqu’un… Comme aujourd’hui tous ces rockers ou ces actrices aux profils trop lisses qui annoncent, via leur conseillers en communication, qu’ils filent en rehab et qu’ils sont donc quelque part (au fond des narines sans doute) des bad boys et des bad girls torturés capables de jouer dans un film trop wild de Sean Penn. Image. Succès. Relations. Effacement des tabous, des inhibitions, des barrières morales, économiques et sociales, j’avais, comme le premier sniffeur venu, trouvé la recette miracle.
Je me suis donc injecté tout ce qui peut s’injecter (y compris de la vodka ou du Lexomil écrasé), j’ai sniffé tout ce qui peut se sniffer (mélangé à des tonnes d’Aspegic ou de murs grattés dans des cages d’escalier), j’ai fumé tout ce qui peut se fumer et bu tout ce qui peut se boire.
Dans chaque narine, j’ai désormais des Jaguar et des Ferrari, dans mes veines courent des Boeing et mes poumons ont aspiré en quelques nuits ce que gagnent en quelques vies des familles entières.
ENCORE PLUS STUPÉFIANT
Puis, un jour, mes amis sont morts. Mes idoles aussi. Kurt Cobain, Jimi Hendrix, Jim Morrison, Janis Joplin, Sid Vicious… Et moi-même, je ne me suis pas senti très bien. Seul et foutu, ballotté de HP en HP. Ce truc avait pris le contrôle de ma vie. « Misérable miracle », disait Michaux. Direction la rehab. La vraie.
J’ai découvert là une ivresse bien plus puissante que tous les alcools, bien plus stupéfiante que toutes les drogues. Mais aussi qu’on pouvait aimer ou faire l’amour sans être défoncé, puis s’en souvenir longtemps. Et surtout, que j’emmerdais quand même le monde. Que c’était moi, le mec le plus rock’n’roll de la planète, nu dans la violence, la noirceur et la beauté de la vie.
CHRISTOPHE TISON
(JOURNALISTE ET ÉCRIVAIN, AUTEUR DE «RÉSURRECTION UN JOUR, J’AI RENCONTRÉ LE DÉMON…», ÉDITIONS GRASSET, SORTIE LE 8 AVRIL)

LES CENTRES DE DÉSINTOX’, DERNIERS SALONS OÙ L’ON CAUSE ?
I WANNA GO TO REHAB !
Pour le show-bizz anglo-saxon, la case rehab est devenue un passage obligé pour relancer une carrière, trasher une image trop soft ou simplement occuper le terrain médiatique. Comment ça marche et pourquoi aucun acteur français ne s’y rend ? Notre enquête au bout du sniff.
Rehab is the new black ! », s’exclament en chœur les clones de Carrie Bradshaw en découvrant sur l’écran de leurs Mac les internements en cure de désintox’ des people les plus en vue. L’avez-vous remarqué ? Avec les sex-tapes, les rehabs font aujourd’hui partie intégrante du quotidien des célébrités. Celui d’Amy Winehouse ou de Pete Doherty, bien sûr, mais aussi de Paris, de Britney, de Kirsten. Et de beaucoup d’autres. En fait, la liste est tellement longue que cette double page ne suffirait pas à tous les lister.
Longtemps honteuses et plus ou moins bien cachées, les liaisons incestueuses qu’entretiennent les stars anglo-saxonnes avec la défonce s’étalent ainsi à peu près partout, amplifiées par la surmédiatisation des party-girls comme Lindsay Lohan ou Nicole Richie, qui ont bâti leur carrière sur un mouvement de balancier entre déchéance et rédemption. Les rehabs sont, elles, devenues une étape médiatique à multiples dimensions. Car si la drogue peut, à terme, vous transformer en zombie dépressif, rendre ostensible sa conso permet parfois de donner de la consistance à une carrière pleine de vides, à radicaliser une image trop lisse,voire à se trouver un petit copain.
AME TORTURÉE DEMANDÉE
Récemment, l’actrice Eva Mendes et la jolie Kirsten Dunst sont ainsi passées l’une et l’autre par la case rehab, dans la très chic Cirque Lodge, une clinique de l’Utah rendue célèbre par un paquet de célébrités. « Dans les colonnes du Daily News, les amis de Kirsten se moquaient d’elle en faisant remarquer qu’elle aurait tout aussi bien fait de se trimballer nue dans la rue, nous confie Sandra Salazar, responsable du service people étranger de Voici. C’est évident que cette rehab lui fait une sacrée pub et pimente un peu son image. »
Une illustration de cette narcotendance de fond ? Même abstinentes, certaines stars ne résistent pas à l’évocation de cette part sombre de leur personnalité, comme s’il s’agissait de prouver au public que, derrière ces façades photoshopées, se dissimulait une âme complexe et torturée. Ainsi, Fergie des Black Eyed Peas a trouvé intéressant de nous faire part de sa lutte quotidienne pour ne pas sombrer dans ses anciens travers à base de méthamphétamines.
La chanteuse Pink a, elle, révélé ses penchants pour l’héro lors de son adolescence et Justin Timberlake, comme pour justifier de sa normalité, confiait récemment à la cool : « Je consomme en privé. Le fait que je n’ai jamais été pris en flagrant délit ne veut pas dire que je ne me drogue pas. » Ouf, on a eu super peur.
D’AMY À OPHÉLIE
En France ? Rien tout de ça. Bridés par un système législatif hyper restrictif, les médias n’ont pas vraiment intérêt à l’ouvrir. « Si on le faisait, on risquerait gros, explique Gilles Daniel, directeur des programmes de MTV France. C’est pour cette raison que ces thématiques ne sont évoquées que chez Mireille Dumas avec une dimension très “confessions psy”. » Mais si les célébrités hexagonales qui s’adonnent aux plaisirs des paradis artificiels se font plutôt discrètes sur leur consommation, c’est avant tout parce que le déballage de ces addictions n’est pas vraiment un gage de crédibilité ou de VIPitude garantie. Et ce ne sont pas Ophélie Winter, Christine Bravo ou encore Fiona Gélin qui pourront nous contredire. Chez les Anglais, la situation est diamétralement opposée où Amy Winehouse et Pete Doherty sont, à leur manière, les figures de proue de cette nouvelle toxicomanie publique. Si ce n’est pas simplement leurs excès en tous genres qui ont fait d’eux ces icônes trash, cela leur a toutefois permis d’accéder à une forme de notoriété inédite, à la fois pointue et ultrapopulaire : « Vous savez, les journaux people qui s’intéressent à Amy pour ses problèmes de drogue n’ont pas un lectorat qui achète forcément beaucoup de disques, modère Valéry Zeitoun, boss du label AZ et responsable en France des intérêts de la chanteuse de Rehab. Je suis sûr que la majorité de ses fans souhaiterait la voir en bonne santé. D’ailleurs, à la sortie de son premier album, elle ne se droguait pas. Bon, en même temps, c’est vrai qu’il s’est moins vendu… »
LA RUMEUR PETE DOHERTY
Pour quelle raison sommes-nous tellement aimantés par le récit de ces destins chaotiques qui semblent évoluer en temps réel devant nos yeux ? Le sociologue Guillaume Erner a bien voulu nous dealer quelques lignes de réponse : « Dans une époque moraliste où l’on se noie sous les bons sentiments, l’addiction et la déchéance de ces stars forment la dernière portion de comédie humaine, l’ultime parcelle d’authenticité. »
Mais cette glamourisation de la défonce n’est évidemment pas du goût de tout le monde. « Kate Winehouse (sic !) semble plutôt fière de son mode de vie, mais a-t-elle conscience des ravages que subit l’Amérique du Sud et l’Afrique à cause du trafic de cocaïne ?, se demande ainsi Preeta Bannerjee, porte-parole de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC). Tous leurs discours apologétiques sur les drogues plombent notre travail pédagogique auprès des jeunes. »
Sans vouloir remettre en cause les drames humains occasionnés par le commerce de narcotiques, peut-on sérieusement reprocher à Amy ses lacunes en géopolitique ? Evidemment non. D’ailleurs, tous les militants antidrogue ne partagent pas ce constat. Pour le professeur en psychiatrie Michel Lejoyeux, cette nouvelle visibilité aurait, au contraire, de vraies vertus pédagogiques : « Que des jeunes puissent voir leurs idoles obligées de se soigner pour leurs problèmes de drogue, cela me semble bien plus efficace que tous les discours provenant du corps médical », affirme ainsi l’auteur de Du plaisir à la dépendance.
Coïncidence ? On murmure que Pete Doherty aurait été approché par la chaîne british Channel 4 pour le rôle de protagoniste d’un programme consacré à la prévention des drogues auprès des jeunes Anglais.
SHERYL CROW CANDIDATE
La situation demeure tellement surréelle que ce sont maintenant les célébrités supposées clean qui grincent des dents. Limite aigrie par ces stars surcokées qui font les gros titres de la presse alors qu’elle rame pour renouveler son style de cow-girl con-con, la chanteuse à guitare Sheryl Crow a ainsi ironiquement déclaré lors d’un concert privé à Londres qu’elle songeait à se faire interner : « Je pense y aller car je sais que ma carrière en bénéficiera. »
Là où Sheryl se gourre, c’est que, contrairement à ce qu’elle semble insinuer, rares sont les célébrités qui décident d’elles-mêmes d’aller se faire soigner. « Ce sont souvent les studios qui les obligent à partir en rehab sous peine d’annuler leur contrat, confirme François de Navarre, directeur de l’agence de paparazzi X17. Ils ne veulent tout simplement plus assurer des stars instables qui tombent dans la toxicomanie. C’est peut-être glamour mais, eux, ça leur coûte surtout beaucoup d’argent. »
Vrais tox, has been prêts à tout ou petits malins en quête de wild credibility, tous partagent pourtant une même dépendance qu’ils finissent par traîner comme un boulet. Résultat, dans cette bouillie de narco-people où la transgression est érigée en norme, on en vient à se demander si ce n’est pas la chanteuse pop Avril Lavigne et ses déclarations antidrogue aux accents évangéliques qui reste la plus subversive. Drôle d’époque, non ?
VINCENT COCQUEBERT

LA FERME DES INTOXIQUÉS
Dans «Celebrity Rehab With Dr. Drew» des has been au bout du rouleau tentent de se désintoxiquer sous l’œil des caméras de VH1. C’est grave, docteur ?
On appelle ça l’exception culturelle. En France, un auteur de best-sellers grillé par la maréchaussée en train de se taper une ligne sur le capot d’une voiture, peut menacer de poursuivre tout journaliste qui ébruite l’affaire tout en choisissant comme message sur son téléphone: «Bonjour, vous êtes bien sur le portable de Tony Montana…» Les Anglo-Saxons, moins schizophrènes, choisissent le plus souvent la transparence, n’hésitant pas à mettre en scène leurs addictions dans une pose dramaturgique où la rédemption joue le rôle du Graal. Ainsi, après «Shooting Tom Zizemore» – qui s’intéressait au penchant héroïnomane de l’acteur – sur la chaîne VH1, et «Mini-Me’s Gotta Pee» – où le nain d’Austin Power était immortalisé dans des scènes d’errances alcoolisées –, place à «Celebrity Rehab With Dr. Drew».
Toujours sur VH1, cette émission nous fait suivre la cure de désintox de célébrités humainement et professionnellement au bout du rouleau, le tout sous l’égide du célèbre Dr Drew, toubib star et acteur amateur à ses moments perdus. Diffusé dans une relative indifférence depuis début janvier, «Celebrity Rehab» a ainsi réuni dans la clinique de Las Encinas neuf has been dont la très abîmée Brigitte Nielsen, poivrote ultime, un pied dans la tombe, l’autre sur une peau de banane, mais aussi la pornstar Mary Carey ou encore Seth Binzer, chanteur du combo de néo-métal rigolo Crazy Town.
Mais que viennent-ils foutre dans un tel merdier ? «Ça leur permet de payer leur loyer et d’exister médiatiquement. Ils se disent: “Si le public ne veut plus consommer mon art, autant les laisser consommer mon âme”», analyse Bertrand Villegas de The Wit, un site Internet de veille cathodique.
Si, sur le papier, le mélange avait tout du programme explosif, «Celebrity Rehab» s’avère assez chiant. On retiendra les exploits de Seth, qui, motivé comme jamais, a réussi à débarquer à la clinique armé d’un pack de bières ou le fameux pétage de plombs du scientologue largué Jeff Conaway face à un Daniel Baldwin aussi vif qu’un gastéropode sous Prozac. Vous trouvez pathétiques ces gloires passées qui livrent en pâture le peu de fierté qui leur reste ? Pas VH1 qui vient déjà de signer une deuxième saison. Tox, un métier d’avenir ?
V. C.

VOUS REPRENDREZ BIEN UNE LIGNE DE MODE ?
LA FASHION EN MANQUE
LVMH qui fait poser Keith Richards pour sa dernière campagne, Kate Moss superstar malgré ses problèmes de dope, Amy Winehouse arrachée à prix d’or par Fendi… Le luxe fait de plus en plus les yeux doux aux drogués durs. Analyse d’une addiction qui rapporte.
1972. Seul dans sa chambre d’hôtel, Keith Richards s’emmerde. Pour la caméra de Robert Frank – qui réalise alors le documentaire Cocksucker Blues sur la tournée Exil On Main Street des Stones aux Etats-Unis –, il balance une télé par la fenêtre.
Quelques séquences plus tôt, il se fixait à l’héro dans sa loge avant de s’effondrer dans les bras d’une groupie. Le documentaire de Frank sera interdit par les Stones. Non parce qu’il cumule scènes d’orgies et de défonce mais parce qu’il enregistre en direct l’agonie d’une utopie : celle du rock.
LE ROCK, UN MÉTIER
Autoproclamés « plus grand groupe de rock’n roll du monde », les Stones sont, depuis 1967, l’incarnation d’un nouveau mode de vie hédoniste (sexe, drogue & rock’n’roll) adopté par les baby-boomers du monde entier. Patrick Eudeline, rock critique : « Keith Richards et le Velvet, ce sont eux qui m’ont donné accès à la mythologie de la drogue. Ado dans les 70’s, je me visualisais complètement en junkie. »
En 1970, les Stones décident de faire fructifier ce capital et fondent Rolling Stones Records. Ils deviennent des entrepreneurs et abandonnent la bohème défoncée londonienne (Andrew Loog Oldham viré, Marianne Faithfull larguée, Brian Jones noyé) pour la jet-set internationale via Bianca Jagger. Derrière une débauche convenue, Cocksucker Blues dévoile en fait une réalité insupportable aux yeux des Stones : le rock est devenu un métier et ce métier est aussi chiant qu’un autre. A une nuance près : pierre qui roule amasse du flouze.
«CERTAINS VOYAGES…»
2008. Seul dans sa chambre d’hôtel, Keith Richards s’emmerde. Pour l’objectif d’Annie Leibovitz, qui shoote alors la campagne internationale de Louis Vuitton (Gorbatchev et Deneuve sont déjà passés à la caisse, leurs cachets étant reversés au Climat Project de Al Gore), il prend la pose et plaque un accord sur sa guitare. Sur l’étui siglé LV, qui repose sur le lit derrière lui, on a déposé une tasse de thé. En d’autres temps, la petite cuillère qui l’accompagne aurait été cramée. Le slogan – « Certains voyages ne peuvent pas être traduits en mots » – nous renvoie aux trips opiacés que l’ultime dandy junkie effectuait, immobile, une seringue dans le bras.
Explication d’Antoine Arnault, directeur de la communication de Vuitton : « Keith Richards est intemporel. C’est une icône absolue et il a parcouru des contrées que je ne connais pas personnellement… » OK, Antoine n’a jamais touché à l’héro.
«S’ASSOCIER À L’HISTOIRE DU ROCK»
Mais au fait, Keith Richards, combien ça coûte ? Motus chez Vuitton. On chuchote quand même que l’icône serait repartie avec une somme astronomique (destinée au sauvetage de la planète) et sa valise sous le bras. Un choix surprenant pour Nathalie Fraser, rédactrice en chef adjointe de Mixte : « Elire Keith Richards comme égérie indique une prise de risque de la part d’une grande marque de luxe, l’envie de se démarquer d’autres maisons à l’image vieillote. Choisir un bagage Vuitton, c’est désormais s’associer à l’histoire du rock. »
Une histoire qui sent la poudre pour Patrick Eudeline : « Aujourd’hui, il n’y a que le luxe, intouchable à cause du blé en jeu, qui puisse se permettre de jouer ainsi sur l’ambiguïté. Ce qui m’étonne, c’est que ça passe, car la seule morale, ici, c’est : la drogue, on peut s’en sortir. A une époque où tu ne peux plus fumer une clope sur une pochette de disque, je trouve ça plutôt sympathique. »
SLIMANE ET DIOR
Après avoir exploité le porno chic, le marketing du luxe, jamais à court d’idées, s’attaque désormais à la défonce. Hier paria absolu des contre-cultures, le junkie est donc en passe de devenir un simple représentant de commerce. Une tendance qui s’affirme depuis que le rock et ses clichés sont revenus en force en 2000. La mode s’ennuie alors, malgré ses mannequins anorexiques de 14 ans qui vomissent des pommes. Le luxe, inaccessible, cherche, lui, à se démocratiser : les trentenaires vont devoir bouffer des nouilles pour se payer des sacs qui, jusqu’ici, pendouillaient au bras de Bernadette Chirac.
Pete Doherty cherche de son côté une subvention pour nourrir le singe sur son dos. La meute se jette sur lui, Dior en tête (Hedi Slimane documente le phénomène avec London Birth of a Cult), et le sanctifie héros des années 00 sur la bonne foi d’une junk attitude ad hoc.
L’héroïne est à nouveau chic tandis que la coke envahit le terroir. Sa relation tumultueuse avec Kate Moss redéfinie, elle, le standard Keith Richards/Anita Pallenberg à l’heure de la grande partouze entre Chanel et H&M. Kate est pincée le nez dans la coke par le tabloïd anglais Sun ? Ses contrats exclusifs avec les plus grandes marques explosent – on murmure qu’ils auraient triplé – tandis que Pete pose pour Roberto Cavalli.
1 M€ POUR AMY
Mais alors que le couple se sépare à la porte d’un centre de désintox’, déboule une petite juive sous une énorme choucroute, des tatouages sur les bras et de la poudre plein les poches. Comme un ouragan, Amy Winehouse emporte tout : le monde de la musique – Back to Black, 7 millions d’exemplaires vendus – et celui de la mode – Karl Lagerfeld et John Galliano s’inspirent de son look pour leurs derniers défilés, tandis que Fendi lui file 1 M€ pour un show de… quarante minutes – tout en monopolisant les unes des tabloïds une pipe de crack au bec ou se fritant jusqu’au sang avec son junkie de mari.
Pour Nathalie Fraser, « La vie des people est tellement mise en avant qu’on a l’impression que la moindre célébrité a des problèmes avec la drogue et l’alcool. Et comme les marques choisissent de plus en plus de faire appel à des people, on connaît forcément leur côté trash. » Aux dernières nouvelles, Amy préparerait sa propre ligne de mode et de cosmétiques en attendant que Blake sorte du gnouf.
Aujourd’hui, la vague du retour du rock a reflué, et Doherty, accroché à une branche, observe une créature préhistorique surgie des profondeurs : le roi Richards vient de reprendre son trône pour rafler la mise. En 1994, l’homme qui a sniffé les cendres de son père déclarait : « C’est quelque chose qui traîne derrière vous comme une ombre immense… Vingt ans plus tard,vous ne pouvez convaincre certaines personnes que je ne suis pas encore un junkie fou furieux. J’ai donc toujours cette image dans mes bagages.». Inutile de préciser la marque des valises.
CLOVIS GOUX

«PERSONNE NE FAIT DE PROSÉLYTISME»
Déjà auteur d’une bio sur Jimi Hendrix, Harry Shapiro sort «Waiting for the Man», une «histoire des drogues et de la pop music». Et répond d’un trait à nos questions.
HARRY SHAPIRO, À QUEL MOMENT LES DROGUES SONT DEVENUES «COOL» ?
Je pense que les drogues ont toujours été considérées comme cool dans le monde de la musique. Même en des temps de folie pure – celui de l’héroïne et du be-bop – il y avait un cercle intime de musiciens accros qui apparaissaient cool à ceux qui voulaient en être. Des élus, en quelque sorte.
LES ROCKS STARS SONT DONC DE BONS AMBASSADEURS DES DROGUES ?
Les affinités entre les rock stars et les drogues sont bien connues. Mais on ne peut pas les accuser de faire du prosélytisme. Les gens se défoncent pour pleins de raisons qui leur sont personnelles, mais il serait délirant de penser que parce que Kurt Cobain était héroïnomane, il aurait guidé ses fans, tel le joueur de flûte de Hamelin, directement dans les bras du plus proche dealer.
QU’EST-CE QUI CHANGE AVEC LA NOUVELLE VAGUE DE JUNKIE COMME PETE DOHERTY OU AMY WINEHOUSE ?
Ils nous prouvent surtout qu’il y aura toujours une association entre la drogue et la pop. Que cette histoire est éternelle et qu’il n’y a pas de raison que cela change. L’unique raison pour laquelle ces problèmes touchent désormais le grand public vient du fait que les médias sont obsédés par la célébrité.
LA PUBLICITÉ DE LOUIS VUITTON METTANT EN SCÈNE KEITH RICHARDS EST-ELLE UNE FIN IRONIQUE DE L’HISTOIRE DES DROGUES ET DE LA POP ?
Je pense que le fait que les Stones recommandent aux stars d’aujourd’hui de ne pas toucher aux drogues est une ironie encore plus grande. De toute façon, cette histoire n’est pas encore terminée.
«WAITING FOR THE MAN» (CAMION BLANC). 544 PAGES. 30 €.
ENTRETIEN C. G.

QUE SERAIT PETE DOHERTY SANS LA DOPE ?
«RIEN D’ EFFRAYANT!»
Pete Doherty et la dope, c’est une longue histoire d’amour paradoxale: tour à tour siège de ses angoisses et de son talent, elle est devenue celui de sa déchéance et de sa survivance médiatique. Retour sur un phénomène.
« Peux-tu fermer la porte de la chambre à double tour, s’il te plaît ? Si quelqu’un frappe, tu hurleras que nous sommes en train de travailler et qu’il ne faut pas nous déranger. Merci, tu es quelqu’un de confiance ! »
5 février 2004. Chambre 44 de l’hôtel Albion à Paris face à Pete Doherty. Le dandy dévasté anglais de 25 ans est en nage. Sa chemise blanche est trempée comme après une pluie diluvienne. Son visage d’ange maudit se déforme, alternant spasmes d’angoisse et mine extatique.
«C’EST TRÈS DUR»
Entre chacune des questions qu’on lui pose, le coleader des Libertines chauffe au briquet une dose de dope dans un papier d’aluminium. Il avale la fumée à travers sa pipe. Flash. Malaise. « Tout va bien se passer, tente-t-il de nous rassurer. Je ne suis pas un misérable junkie. Si je prends des drogues, c’est pour devenir moins sensible au monde qui m’entoure. Il m’arrive de couper net avec la dope pour ma santé, pour ceux qui me sont proches mais, dans ces moments-là, c’est très dur. Je n’ai pas encore trouvé les ressources en moi pour stopper net. Un jour… Un jour… Je n’ai pas peur de la mort, mais je la sens qui m’entoure, parfois… »
«COMME UN TERRORISTE»
Pete Doherty est le personnage rock le plus intense depuis Ian Curtis, Kurt Cobain et Jeff Buckley. Un extraordinaire singer-songwriter doublé d’un type capable de disserter sur la poésie de Keats, les chansons de The La’s ou Billie Holiday, l’honneur qu’il y a à supporter la calamiteuse équipe de foot de Queen’s Park Rangers et le A rebours de Huysmans. Doué, loyal, spirituel. Suintant coke, héro et crack par tous les pores, certes, mais fascinant.
Il donne des concerts gratuits n’importe où – squats de Whitechapel, bars parisiens, toit d’une voiture – pour ses fans. Il cambriole l’appartement de son complice Carl Barât et part purger une peine de taule. Il peut planter une interview sans explication valable et, le lendemain, vous proposer de le suivre de manière exclusive en taxi à travers Paris pour assister au tournage du clip de son single For Lovers enregistré en compagnie de son dealer, Wolfman. « Pour se faire remarquer il faut se comporter comme un terroriste. Sortir dans la rue avec une ceinture d’explosifs ou des chansons, c’est selon. »
PUBLICITAIRE DE LUI-MÊME
Johnny Borell, leader de Razorlight et ancien compagnon de squat de Doherty : « Le problème de Pete, ce n’est pas tant qu’il est accro à la drogue, mais plutôt qu’il est accro à l’attention que vous pouvez lui porter ! » Pete Doherty se dopait déjà avant de filer l’amour avec Kate Moss et d’enfiler le costume d’icône trash de service. Seule différence de taille : sa condition toxique n’était pas utilisée comme un argument de vente. Le chanteur d’un groupe de la scène parisienne : « Doherty ? C’était un poète, un romantique qui est devenu un publicitaire de lui-même. »
A mesure que le garçon s’est enfoncé dans la défonce, son talent a foutu le camp. Paris match, Gala, The Sun : tous se passionnent pour la trépidante existence de Doherty au pays des drogues. Au même moment, les albums de son actuel combo Babyshambles deviennent des épiphénomènes.
DANS SOLE BUS DES BABYSHAMBLES
On se remémore ce moment tragique où Doherty débarque, en août 2005, au festival Rock en Seine pour le premier concert hexagonal de ses Babyshambles. Pendant la journée les rumeurs le disaient retenu à Orly les poches pleines de poudre. D’autres, qu’il s’était endormi sur un banc d’un parc sans rien calculer. Sur scène, le garçon a le teint livide, les jambes en coton. Il exécute mécaniquement son punk rock soutenu par un groupe sous influence, vomit son « Fuck Forever » et minaude en prenant des poses : « Regardez comme je suis défoncé et cool ! »
Plus tard, Doherty nous hèle et nous fait rentrer dans le bus des Babyshambles. A l’intérieur du véhicule, l’ambiance confirme ce que l’on pensait : l’entourage du musicien est désormais composé à 100% de toxicomanes. Le tour manager sniffe de la coke en nous faisant un grand sourire. Un roadie s’allume un joint d’héroïne en matant la télé. Le chauffeur pique du nez sur son volant.
Et Doherty ? Il trône au milieu de cette cour des miracles, petit amiral hagard d’un bateau d’Albion qui prend l’eau de partout. « Je me drogue pour affronter le monde extérieur qui me rend parfois si triste. Rien de si effrayant ! » Le crack a-til définitivement bouffé le seul talent rock des années 00 ?
EN CONCERT LE 23 AVRIL AU GRAND REX, PARIS.
JEAN-VIC CHAPUS

UNE POUDRE QUI LAVE PLUS BLANC QUE BLANC
LA COKE REND-ELLE BEAU ?
Après la banalisation de la cocaïne, la voici qui se drape de tous les atours. Il paraît qu’elle fait mincir, qu’elle rend propre, sociable, attentif. L’écrivain Simon Liberati a testé pour nous l’indice de statisfaction à long terme. Aïe…
La cocaïne fait-elle mincir ?
Oui, mais pas longtemps. Dans un premier temps, l’intoxiqué annonce un déficit pondéral, dû à l’effet coupe-faim du produit, ainsi qu’aux diurétiques intégrés dans la coupe. A titre d’exemple: jusqu’à un litre et demi d’urine évacuée en une heure, d’après H.W. Maier, dans «la Cocaïne» (Payot, 1927). Du coup, l’intoxiqué «sèche» et, surtout, il s’aime «sec». L’obsession de la minceur, la phobie du gras, du liquide sont des symptômes psychologiques de l’addiction.
Attention, toutefois, à l’effet retour: la fringale de 16h30. Après une nuit blanche perdue à priser et une matinée consacrée à la redescente ou à la somnolence, le toxicomane en phase hypodépressive sent le besoin de se «refaire». L’appétit, endormi quelques heures, se réveille avec une acuité particulière. C’est le phénomène de boulimie passagère dit du «goûter du junkie». En l’occurrence, un gros en-cas souvent constitué de fromage à pâte molle, je pense notamment au camembert et à son complément nutritif: le vin rouge. Les rapports du camembert (ou du brie de Meaux) avec les dérivés cocaïniques restent à étudier. Quant au vin, il désangoisse et facilite l’envie de racheter de la drogue dès 18h30.
Dans certains cas, la sphère de l’oralité refusant toute spécialisation, la gloutonnerie et l’alcoolisme coexistent avec l’addiction. Je pense notamment à mon ami T, polyanxieux de 57 ans, décorateur renommé, qui, ayant remarqué que la drogue lui coupait l’appétit, a élaboré un rituel consistant à prendre le produit exclusivement après dîner, juste avant d’aller se coucher car il est bien connu que la bonne drogue n’empêche pas de dormir. Ce qui permet à ce père de famille intoxiqué depuis vingt-cinq ans de dîner à sa faim et de mener une vie en tout point normale, avec pour différence notable un surcoût de 1500 à 2000 € par mois. Il va de soi que le côté anxiogène de cette dépense inutile contribue pour beaucoup à son charme à ses yeux. Physiquement, T présente plutôt les caractéristiques habituelles d’un alcoolique d’âge mûr: teint fleuri et surcharge pondérale d’environ 20%.
Qui n’a pas connu de vieux toxicomanes (en général des revendeurs) présentant la caractéristique boursouflure en «poche à œufs» située dans la région inférieure de l’estomac. Je pense à J. M., célèbre dealer parisien aujourd’hui disparu, qui ressemblait, les mois précédents son arrêt cardiaque, au Père Ubu.
La cocaïne rend-elle propre ?
Ordonné, plutôt. La potentialisation des troubles obsessionnels conduit certains sujets à des comportements «rangeurs» ou «laveurs» typiquement névrotiques. L’obsession du ménage (amenant par exemple le sujet à passer l’aspirateur en pleine nuit ou à nettoyer son cabinet de toilette des heures durant) est un grand classique du genre.
C., célèbre créateur de mode de 53 ans, est atteint à chaque intoxication cocaïnique d’un trouble compulsif qui l’amène à ranger systématiquement tous les objets à sa portée, même les moins propres, comme par exemple les mégots de cigarettes dans son cendrier. Confortablement allongé sur son lit, suçant son pouce, C. prend plaisir à ordonner pendant des heures les filtres usagés, dessinant les motifs géométriques les plus compliqués. Moralité: la collection automne-hiver peut bien attendre.
La cocaïne rend-elle sociable ?
Non. Réputée conviviale, cette drogue rendrait plutôt casanier. 80% des intoxiqués depuis plus de dix ans avouent ne plus sortir de chez eux.
Aux soirées, ils préfèrent ce qu’ils ont coutume d’appeler «une petite fête entre amis», c’est-à-dire une réunion à deux ou trois autour d’une provision suffisante pour leur permettre de priser à intervalles réguliers jusqu’à une heure avancée.
Motifs de cette agoraphobie: anxiété, paralysie de la volonté, flemme de devoir s’enfermer aux toilettes.
La cocaïne rend-elle attentif ?
Pas toujours. M., public relations de 58 ans mondialement connue, se souvint devant moi s’être trouvée un après-midi face à un client, ami depuis quatorze ans, et lui avoir demandé: « Bonjour, vous êtes qui ? » Suite à ce dérapage, M avait opté pour une désintoxication. Pire, par délire d’interprétation, cette drogue rend paranoïaque. Qui d’entre nous n’a pas rencontré ce profil typique d’intoxiqué persécutif, persuadé d’être suivi par la police ou victime d’une conjuration mettant en cause des gens ou des objets inoffensifs, comme par exemple le matériel électroménager. H.W. Maier, le psychiatre suisse qui a étudié dès le début du siècle précédent, cite le cas d’une certaine X, employée de bureau, intoxiquée lourde (7 grammes par jour) atteinte d’hallucinations de nature schizophrénique: «Elle voit sur un arbre l’empereur Guillaume qu’elle prend pour une vache. La vision lui adresse ensuite un salut de reconnaissance. Toujours sur un arbre, elle aperçoit ensuite un soulier de dimension gigantesque.» SIMON LIBERATI

SNIFF… Simon Liberati est l’auteur du sublime «Anthologie des apparitions» et de l’applaudi «Nada Exist» (Flammarion), deux romans marqués au fer par la lutte contre la déchéance inexorable de ses héros.

POUR CERTAINS, LA DROGUE, C’EST TRÈS SEXE
SE DROGUER PLUS POUR BAISER PLUS?
La dope doperait-elle la libido ? La drogue dure fait-elle durer le plaisir ? On a souvent l’impression ceux qui jouent avec la poudre chopent plus facilement que le buveur de panachés moyen. Enquête sur une rumeur difficile à avaler.
Comme dirait France soir, les témoignages sont édifiants. Aussi hallucinants qu’un trip dilué dans un verre de punch au MDMA après un fix d’héro. La consommation de drogues a beau être peu propice à l’épanouissement physique et moral des individus, elle permet à certains de niquer autant que Hugh Hefner. On ne parle pas du petit joint avant de se mettre au lit entre étudiants colocataires. Pas même de coke, d’ailleurs, car, selon Jean, jeune et joli musicien dandy, « La coke est devenue le ticket d’une bonne soirée pour trop de gens aujourd’hui. Un paquet de crétins en prend pour sortir, parce que sinon, ils ont l’impression qu’ils ne vont pas s’amuser. »
Alors comment faire pour se démarquer ? Jean squatte la cuisine des apparts où il est invité, le temps de sniffer un peu d’héroïne, puis il va brancher la première fille qui passe. Faudra-t-il bientôt partager une pipe à crack avant d’emballer ? Qui vivra assez longtemps verra…
«LIMER PENDANT QUATRE HEURES»
Pour Stéphane, l’un des créatifs publicitaires les plus en vue de sa génération, « Il y a trois drogues majeures pour baiser : l’héro, la coke sous forme d’injection de freebase ou de crack, et les xeu (ecstasy NDLR). » Pour baiser mieux ? Plus ? Sans se fatiguer ? « Avec de l’héro et un ecstasy, tu limes pendant quatre heures sans t’arrêter, confirme-t-il. La première fille avec qui j’ai fait ça ne le savait pas, mais elle a trouvé que j’étais un très bon amant. Tu m’étonnes, elle a pris pour l’année. »
Adepte occasionnel de la piquouze et queutard invétéré, Stéphane est un peu comme Laurent Ruquier : il a tout essayé. « Le truc avec le freebase ou la coke en injection, c’est que ça donne très envie aux mecs de se faire enculer. » Notre témoin se félicite d’ailleurs de cette incitation chimique à découvrir de nouveaux horizons.« Oui, sauf que le lendemain t’as mal partout. » A chaque montée sa descente…
«UN PETIT PLUS POUR TOI-MÊME»
Mathilde a fréquenté les squats dorés de l’ouest parisien avant sa majorité. Elle en a conservé une addiction à l’héroïne qu’elle « soigne » depuis huit ans avec la fiole de méthadone qui ne quitte jamais son sac à main. Selon elle, « Personne n’a envie de faire l’amour sous trip (LSD NDLR). Et le MDMA, c’est sympa, mais ça donne pas très envie de sexe. » Alors, pour les filles, c’est quoi la drogue la plus sexuelle ? « L’héro, parce que tu es toute flagada », dit-elle.
C’est bien connu : les mecs ont envie de cul quand ils sont tendus, les femmes, quand elles sont relax.« Mais ce n’est pas lié à la personne en face de toi, admet Mathilde. C’est juste un petit plus pour toi-même, genre : “Tiens, je vais me faire une petite trace pour que ce soit encore plus cool.” » D’ailleurs, comme Stéphane, la belle copule en général avec des garçons qui ne consomment pas de tels produits. « J’ai juste couché avec le premier mec qui m’avait filé de l’héro. Les premières fois, ça décuplait tout. Mais après, ça casse tout… »
L’AUTRE NE DOIT PAS SAVOIR
Les autres, enchaîne Mathilde, n’étaient pas au courant de son état. Parce que « C’est un peu délicat de dire : “Bouge pas, je vais me faire mon trait…” » D’après Stéphane, c’est même « rédhibitoire » : « Si ta réputation te précède, dit-il, on ne t’envoie pas chier, mais on te demande de mettre une capote. » Quelle horreur, en effet… Pour Arnaud, presque 40 ans et pas mal d’expériences louches au compteur, le bémol de Mathilde est un doux euphémisme : « Un toxico, ça fait fuir les gens. Il ne faut surtout pas le dire. » De toute façon, explique-t-il : « L’héro, c’est très égoïste, ça donne un côté sagouin : tu dragues, tu fanfaronnes, parce que t’es déjà tellement bien que t’en n’as rien à foutre. »
Comme Stéphane, Arnaud a un rapport au sexe compulsif. Mais à l’entendre, on se dit que l’héro lui sert justement à se libérer de cette fringale permanente et insatiable : « Ça fait de toi un vrai macho, expliquet-il. T’as l’impression d’être au-dessus de ça. » Avoir moins envie de baiser pour… baiser plus ? Un rêve d’ado priapique enfin réalisé. Du moins, tant que le produit n’attaque pas trop les nerfs, le cerveau et la capacité à bander. Parce qu’en réalité, les effets pervers arrivent sans prévenir, aussi vite qu’une éjaculation précoce.
PRENDRE LES CHIFFRES À LA LETTRE ?
Attention, poncif : on peut faire dire ce qu’on veut aux chiffres. Une récente étude sur le sexe et la consommation d’héroïne donne, par exemple, les résultats suivants : sur un échantillon de 203 toxicomanes, 75% des hommes et 68% des femmes constatent que l’héroïne provoque une baisse de leur libido. Bien sûr. Mais, par ailleurs, 5% des hommes et 20% des femmes revendiquent au contraire son augmentation. Ou encore : 40% des femmes éprouvent une plus grande satisfaction sexuelle au cours des six premiers mois d’usage de l’héroïne. Ce qui est certain, comme le résume le docteur Elisabeth Galimard-Maisonneuve, c’est que « De nombreuses études ont montré le retentissement sexuel de l’héroïne : amélioration, au début, par son effet relaxant et analgésique pour les femmes souffrant de vaginisme (contraction douloureuse de muscles vaginaux NDLR), retard de l’éjaculation pour les hommes. » Et, poursuit-elle, « A plus long terme, peuvent survenir : une aménorrhée (arrêt des règles NDLR) et des anorgasmies chez la femme. Chez l’homme, une baisse de la libido et une dysfonction érectile. » Bilan : s’envoyer plus souvent et plus longtemps au septième ciel, c’est super, à condition de ne pas y rester.
PASCAL BORIES

SEXE, DROGUES ET PETITS EFFETS
La drogue, c’est mal. Et ce n’est pas parce que certains s’en servent pour doper leurs performances sexuelles qu’il faut les imiter. On vous aura prévenu.
COCAÏNE
Avantages_Aiguisé par la confiance en soi qu’occasionne la prise de poudre blanche, l’envie de s’accoupler avec la plus belle fille de la soirée est tenace. Tiens, et pourquoi pas avec ce top model très entouré ?
Inconvénients_Les problèmes d’érection ne tardent pas à arriver une fois le pantalon sur les chevilles. Le pire, c’est que l’envie du coït ne disparaît pas, et que ce qui pourrait aider à l’érection (tendresse, caresses) ne fait pas du tout envie. D’où une quadrature du sexe difficilement supportable.
Phrase-type_«C’est la première fois que ça m’arrive, ça n’a rien à voir avec toi.»
MDMA/ECSTASY
Avantages_Le désir de communion est intense, à rendre amoureux le pire des misanthropes. Le partenaire semble tout droit sorti d’une photo floue de David Hamilton, d’où un rapport généralement soft et tactile. Idéal pour ceux qui kiffent l’amour tantrique. Déconseillé aux acteurs de X hardcore.
Inconvénients_La déprime du lendemain s’abat sur le consommateur aussi inexorablement que la petite vérole sur le bas-clergé breton.
Phrase-type_«Tu es celle que j’attendais depuis toujours» (prononcé cinq minutes après la rencontre).
VIAGRA
Avantages_Sortez vos calculettes. Sachant que l’effet de la pilule bleue intervient une quarantaine de minutes après sa prise et qu’il opère pendant deux à trois heures, à quelle heure devrez-vous l’avaler sachant que votre rapport aura lieu au beau milieu de la nuit ?
Inconvénients_Si les effets sont réels sur l’érection (et sur les nausées), ils sont nuls sur la libido. Ce qui renvoie à un âge (l’adolescence) où la gaule survenait sans que l’on sache vraiment pourquoi.
Phrase-type_«J’ai encore envie de baiser.»
GHB
Avantages_L’excitation est telle qu’un simple poteau place de la République devient un objet de convoitise sexuelle. Gros succès chez les homos, malgré ses effets dissociatifs (la tête et le cerveau semblent ne plus fonctionner en même temps).
Inconvénients_Le dosage de la «drogue du viol» est un casse-tête, la zombification ou le comas du consommateur ne rôdant jamais très loin.
Phrase type_«Encule-moi là, personne ne nous voit» (en plein milieu du dancefloor).
CANNABIS
Avantages_Grâce à ses effets apaisants, il est très apprécié chez les filles qui cherchent un climat moins brutalement sexuel. Chez les garçons, l’ambiance n’est plus vraiment à «la chose».
Inconvénients_A proscrire pour la première nuit, surtout si l’on veut jouer sur l’épate de ses performances.
Phrase-type_«T’as des feuilles ?»
POPPERS
Avantages_La bouteille, en vogue dans les milieux homos, trouve aussi son petit succès chez les hétéros. Le flash d’euphorie est intense mais court (15 secondes) et ouvre l’appétit sexuel. Pour les rapports annaux, il relâche les sphincters de manière efficace.
Inconvénients_Maux de tête, aspect cadavérique, lèvres bleues… Le meilleur de moyen de se transformer en croisement de Michael Jackson et de Klaus Nomi migraineux. Sans parler de l’odeur de chaussette sale.
Phrase-type_«J’ai perdu le bouchon.»
R. T. ET P. T.

BEUH, COKE, ECSTAS: ON TROUVE PRESQUE TOUT DANS LES COURS DE LYCÉES
DOPE MINEURS
Il y a quelques semaines, «le Parisien» révélait que la coke faisait une percée dans les cours d’écoles. Pour bosser moins ? Pour draguer plus ? «Technikart» a confié au lycéen de sa rédaction, Boris Bergmann, écrivain de 16 ans, le soin d’aller vérifier sur place.
A. s’est levé du pied gauche, ce matin : « Mon dealer ne daigne pas me répondre, il doit encore dormir, l’enculé… » A. a oublié la caractéristique première chez le dealer : il dort tout le temps. Il vous livrera donc TOUJOURS à des heures étranges. B. et C. fument un joint devant le regard impuissant du proviseur.
Nous sommes devant la porte d’un lycée parisien, lundi, 10h00 du matin. D. et E. sont un peu des stars, ce matin. Ils ont mis sur leur profil Facebook qu’ils se faisaient « une soirée “c”samedi ». Tout le monde attend leur résumé avec impatience. A votre avis, lequel mentira le plus ?
E. : « J’ai kiffé, je ne trouve pas de meilleur mot, j’étais… Je ne sais pas… J’étais immortel. » F. est plus sceptique. Le regard noir, il renifle toutes les cinq secondes pour bien montrer qu’il en a pris. Il ne dira rien et, pour le plus grand malheur de E., cela impressionnera beaucoup les filles de leur classe. H., lui, ne touche pas à la drogue « car ça bousille le cerveau et que je ne veux pas détruire mon avenir ». Comme son père, qui a toujours détesté ça, il deviendra cadre pour travailler plus et gagner plus.
I. trouve que « la drogue sauve la vie. Quand je suis foncedé, j’ai des meilleures notes. D’ailleurs si tu veux, j’ai un plan beuh d’enfer… »
Il ne terminera pas sa phrase. J. a allumé un pilon de weed, tout le monde s’approche de lui. J. fera tourner, comme à chaque fois, car pour J., « on devient accro quand on commence à ne plus partager ». K. approuve d’un signe de tête.
LONGUE MÈCHE NOIRE
K. n’a jamais rien acheté, K. tousse quand il tire un peu trop fort sur le sdar, K. a une longue mèche noire qui lui barre le visage, K. lit Kafka pour impressionner « mes femmes », K. ment. K. adore J. On aime toujours celui qui roule notre premier joint, on aime toujours celui qui nous trace notre premier rail, on aime toujours celui qui plonge du MDMA dans notre verre pour la première fois. On aime moins celui qui préparera notre premier fixe. Mais K. s’en fout : « On meurt tous un jour, alors autant tout essayer. Et de toute façon, ah ah ah, on verra bien qui vivra le dernier, hein ! »
L. parle encore de son expérience du nouvel an : « Je ne m’attendais pas à ce que des mecs prennent de l’héroïne juste devant moi. Ils avaient l’air tellement… heureux. » Silence. M. ouvre la bouche, choquée : « Mais t’as pas eu, pendant une seconde, l’envie… d’essayer ? » M. est le type de fille à dire ce type de phrase. L. ne veut pas paraître trop bête. « Euh… »
«AAAAHHHH… C’EST BON, PUTAIN !»
Les cours sont bien loin. La semaine aussi. Samedi est arrivé avec ses filles, ses musiques horribles, ses clopes, ses fioles de vodka achetées 6,50 € chez l’Arabe du coin… La pire soirée de la semaine est en forme cette fois-ci. Elle ne va pas les rater, tous ces petits gars.
N. attend un dealer avec O. et P. Un pote qui est allé pécho des ecstas dans le XVIIIe . En attendant, on finit les quelques lignes trouvées dans le portefeuille du beau-père de O. qui est directeur dans une agence de pub et qui trompe sa nouvelle femme avec sa secrétaire, elle-même en tailleur Chanel plein de coke au dessus de l’épaule droite. Certains demanderont avec un accent méprisant – car ils ne prennent pas de drogue – comment ça s’est retrouvé là. D’autres diront que la boucle est bouclée.
« Aaaahhhh… c’est bon, putain, c’est bon ! » Les cristaux ont disparu dans les narines respectives de N., O. et P. La tête en arrière, P. regarde le bord normalement bleu de sa Carte Imagine R devenu blanc. Il pose son doigt dessus et se frotte les gencives. Demain, ils se rendront compte qu’elle était coupée à quelque chose. Le sang n’arrêtera pas de couler de leurs narines.
JOLIE BLONDE
Q. s’était juré de ne jamais y toucher. Mais R. est venu avec du crack. En plus, R. est son petit copain, alors la drogue est forcément bonne. Q. se retrouve couché sur un lit, le bras serré dans une ceinture coincée entre des dents.
Jonathan Richman avait donc raison : « I saw you girl today, walk by with “happy Johnny”. (…) The phone calls today concerns “happy Johnny”. He is always stoned, he is never straight. (…) I wanna take his place. He’s stoned, “happy Johnny” Now get this : I’m straight and I want to take his place. I like him too, “happy Johnny” but I’m straight and I want to take his place… » Certes, l’humour new-yorkais de la fin des années 70 n’est pas forcément très accessible, mais les amants modernes seraient-ils les seuls à penser que les femmes préfèrent les hommes clean ?
En tout cas, ce n’est pas l’avis de S. qui sait qu’il devra tirer sur le joint qui passe entre ses mains pour pouvoir se faire la jolie blonde qui lui fait des clins d’œil : « Tu vois, sans ça, je suis rien. Rien du tout. Je sais que mes phrases sont banales, mon regard, vide et mes blagues, nulles. Avec le shit, je deviens un mélange de Baudelaire, de Louis Garrel et de Franck Dubosc. »
DE LA «C» DANS SES MANCHES
T. et U. sont rentrés ! Ils sont rentrés dans cette boîte hype où il faut être vu pour être quelqu’un. Après-demain, à la première pause de 10h00, personne ne va les croire. U. se demande pourquoi personne ne pisse dans les pissotières, pourquoi tout le monde se borne à faire la queue pour des cabines puantes… Parce qu’il y a une cuvette et une porte.
V. et W. sont des habitués. Ils ont préparé le billet de 20 € roulé dans la paume de leur main. Ils ont serré la main à X., leur dealer, qui avait un sachet de « c » dans ses manches. « Ouf, il nous a pas carottés comme la dernière fois où il n’avait rien. On était venu jusqu’ici pour rien », dit V. W. approuve : « Ouais, c’était dur. » Derrière eux, Justice hurle qu’on ne sera plus jamais seul parce que « We are your friends ». Au fond, nous sommes nos propres amis… et nous sommes seuls.
C’est l’histoire d’une nuit qui s’appelle samedi. C’est l’histoire d’une nuit où on rentre en détestant le soleil et toute forme de lumière. C’est l’histoire d’une nuit qui ne sert à rien, un vide absolu. Un peu comme si des mecs avaient écrit une chanson pour dire que pendant cette nuit-là, il faut… D.A.N.C.E.
Y., comme moi, regrette le temps où les groupes s’appelaient Suicide. Y. vomit sur le trottoir d’une rue du VIe . C’est pas grave Y. ! Il y a des gens qui passeront nettoyer tout ça demain. Z. n’a pas pu pécho ce week-end. Il n’est pas de très bonne humeur. « Z., tu ne voudrais pas me parler de la drogue ? Ta vision sur le sujet. » « Casse-toi. Casse-toi, pauvre con ! »
BORIS BERGMANN