Giorgio connaît-il bien son Moroder?

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Revenu récemment sous le feu de l’actualité grâce à sa collaboration avec Daft Punk, Giovanni Giorgio Moroder, 75 ans, fidèle à sa moustache, sort ce mois-ci un nouvel album foisonnant de guests XXL qui sent bon le coup marketing. L’occasion idéale de revenir sur les collaborations les plus marquantes de sa carrière. Test à l’aveugle.

Capture d’écran 2015-06-08 à 15.00.58MIREILLE MATHIEU, EN FRAPPANT DANS NOS MAINS, 1972 (BARCLAY)
Giorgio Moroder : Je connais vraiment cette chanson ? (Après 30 secondes, Mireille entonne le refrain) Oh maisbien sûr, c’est Mireille Mathieu ! Mais c’est en quelle année ? 1972, vous dites ? Je crois qu’en fait, nous avions enregistré en 1969, mais j’ai très peu de souvenir de ce morceau…C’est pas si mal finalement. Pour être tout à fait honnête, je ne me souviens de rien, même pas de l’endroit où nous avons enregistré (Rires) Je n’étais peut-être même pas là                                           si ça se trouve !

Capture d’écran 2015-06-08 à 15.01.15DONNA SUMMER, I FEEL LOVE, 1977 (CASABLANCA RECORDS)
Alors ça en revanche, je m’en souviens très bien ! Donna et moi avons commencé à bosser ensemble à Munich au début des années 70. Certains de nos premiers morceaux ne marchaient pas vraiment jusqu’à « Love to love you baby » en 1975 qui fut un carton international. Par la suite, nous avons fait six ou sept albums ensemble dont plusieurs n°1 aux USA, ça marchait très fort. Travailler ensemble était évident, on se connaissait tellement bien qu’on n’avait pas vraiment besoin de se parler. Pour revenir sur «I feel Love», ce fut probablement la première chanson enregistrée avec un synthétiseur. Je voulais faire une chanson du futur, et avec mon ami Tommy on a expérimenté des sons de basses sur plusieurs Moog afin de trouver le son idéal. Ensuite, j’ai tout joué avec un seul doigt !

Capture d’écran 2015-06-08 à 15.01.07THE CHASE, MIDNIGHT EXPRESS OST, 1978 (CASABLANCA RECORDS)
Ça, ce n’est pas vraiment une chanson, c’est ce que j’appelle une pièce. C’est Alan Parker qui est venu me voir pour me faire composer ma première bande originale. Il recherchait un son de synthé comme celui de «I feel love» pour la scène d’évasion du film. C’est tout ce qu’il voulait. Pour le reste, il m’a dit de faire tout ce dont j’avais envie. Une fois le film terminé, il est venu à Munich un dimanche après-midi afin de faire le mixage final du score. Ça nous a pris deux ou trois heures maximum. À ma grande surprise, j’ai reçu un Oscar remis des mains même de Raquel Welch et Dean Martin. Qu’est ce que je pouvais faire à part allez le chercher ?! (Rires)

Capture d’écran 2015-06-08 à 15.07.23SPARKS, TRY OUT FOR THE HUMAN RACE, 1979 (OASIS)
Ah Sparks ! Ça, c’est bien ! Ils connaissaient mon travail et ils voulaient changer de style pour faire quelque chose d’un peu plus commercial. Moi je les connaissais depuis longtemps, j’aimais beaucoup «This town ain’t big enough for both of us». C’était incroyable de travailler avec eux. Ils sont très drôles les frangins, Ron le cerveau et Russell le playboy. À l’époque il était très beau Russell vous savez, et bourré d’énergie, du coup il était toujours entouré de superbes nanas. Et à côté, impassible, il y avait Ron avec sa moustache à la Hitler ! Bref, j’avais un ami à L.A., Bill Wyman (des Rolling Stones, ndlr.) qui avait tous les synthés de l’époque, et toutes les chansons ont été composées dans son studio. Qu’est ce qu’on s’est marré quand j’y repense !

Capture d’écran 2015-06-08 à 15.07.32BLONDIE, CALL ME, 1980 (CHRYSALIS)
Paul Schrader, le réalisateur, m’afait voir le début d’American Gigolo dans lequel Richard Gere arrive à Los Angeles en voiture, et il m’a ditqu’il recherchait quelque chose de rock mais pas trop, un délire «driving vous voyez ? Donc, j’ai composé la musique assez instinctivement, tout en réfléchissant à qui pouvait l’interpréter. Et Debby Harry de Blondie s’est imposée comme une évidence. Elle a écrit des paroles formidables qui collent parfaitement au morceau en seulement quelques heures, et nous l’avons enregistré en un après-midi à New York. Je n’ai quasiment rien changé ensuite. Aujourd’hui encore, je finis souvent mes DJ sets avec ce morceau et ça marche toujours aussi bien. Les gens adorent ce truc !

Capture d’écran 2015-06-08 à 15.07.39DAVID BOWIE, CAT PEOPLE,  1982 (MCA RECORDS)
Ah c’est Scarface ça… (Un temps.) Ah non pardon, c’est Cat People ! Alors c’est un peu la même histoire qu’avec Deborah Harry. À partir du moment où le morceau a été composé, je savais qu’il n’y avait que Bowie pour chanter dessus. Sa voix mystérieuse, son image très androgyne, c’était pour lui, quoi ! Il a aimé les démos et a écrit lui-même les paroles. Je suis parti à Montreux pour l’enregistrer et ce fut très rapide, il est tellement professionnel qu’en une heure, c’était fait. J’en garde un très bon souvenir, bien que beaucoup trop court malheureusement.

Capture d’écran 2015-06-08 à 15.07.45TONY’S THEME, SCARFACE OST, 1982 (MCA RECORDS)
Alors pour une fois, j’ai composé cette pièce avant de voir le film ! J’avais rendez-vous avec Brian De Palma pour parler d’une scène durant laquelle Tony Montana partait à New York. Il voulait quelque chose d’assez sombre et de très mystérieux et j’avais en tête ces notes très graves que m’avait inspiré Cold Song de Klaus Nomi qu’il avait lui-même tiré de Purcell. J’avais tout en tête, et je l’ai immédiatement joué de mémoire face à Brian. Pour ses B.O., De Palma travaillait beaucoup avec des Italiens comme Pino Donaggio et j’imagine qu’il pensait qu’en bon italien, je devais avoir une certaine sensibilité musicale. Mais finalement, je n’ai jamais vraiment su pourquoi il avait fait appel à moi.

Capture d’écran 2015-06-08 à 15.12.27SIGUE SIGUE SPUTNIK, LOVE MISSILE F1-11, 1986 (PARLOPHONE)
Sigue Sigue Sputnik, ooooh (Rires gênés). J’ai reçu un jour une bande démo avec plein de références et d’extraits sonores pour une chanson qui allait par la suite devenir celle-ci, accompagnée de tout un dossier fait de photos et de dessins. J’ai trouvé ça tellement suis dit : «OK, je le fais». Nous nous étions donnés rendez-vous dans un restaurant à Munich et j’ai vu tout le groupe débarquer à table avec leurs looks de scène ! Je n’en croyais pas mes yeux, tous les regards étaient tournés vers nous ! Le morceau a bien marché si je me souviens bien, mais le problème c’est qu’ils avaient tellement de publicité et d’argent que c’était trop pour eux, ça les a tué. L’album n’était pas très bon, et ils n’ont jamais vraiment rien fait après malheureusement. Mais c’était des gars très sympas !

Capture d’écran 2015-06-08 à 15.12.33DAFT PUNK, GIORGIO BY MORODER, 2013 (COLUMBIA)
Donc là, c’est moi qui chante pour une fois ! Les Daft m’ont demandé si je voulais faire quelque chose avec eux, j’étais à Paris à ce moment-là et Thomas Bangalter m’a appelé pour passer en studio. Je me suis dit que j’allais me mettre au piano pour chercher un air mais il m’a dit qu’il voulait simplement que je parle de ma vie. Nous avons enregistré durant plusieurs heures mon histoire et je n’ai plus eu de nouvelles. Six mois plus tard, je suis à Los Angeles et Thomas m’appelle pour me proposer de venir écouter le morceau terminé. Ce qui est fou, c’est que je n’avais aucune idée de ce qu’il voulait faire avec toute cette matière. Et voilà c’était fait. Pour l’enregistrement, il se sont servis de plusieurs micros datant de différents époques et correspondant à des moments précis de ma vie. J’ai dit à l’ingénieur du son que personne ne verrait la différence mais il m’a répondu que les Daft eux la feraient. Ce fut vraiment, à tous les niveaux, une expérience formidable.

                                                                                                                 Entretien Xavier Magot