À 18 ans, Ovidie tournait son premier film X en tant qu’actrice. À 19, le premier en tant que réalisatrice. Aujourd’hui, elle en a 34 et continue de réaliser des films. Son Baiser est diffusé depuis le 2 mai sur Canal +, un film féministe et humaniste en gode ceinture. Rencontre avec cette réalisatrice hors du commun.
Y a-t-il toujours autant de pression sociale concernant
les travailleurs du sexe aujourd’hui qu’à la sortie de Porno Manifesto (2002), quand vous évoquiez le fait qu’une seule vidéo X avait, à l’époque, le pouvoir de faire sombrer sa protagoniste dans la disgrâce la plus totale ?
On dit souvent que le porno est entré dans les mœurs, c’est relativement faux. Certes, on n’en a jamais autant consommé, sans payer, sans «disclaimer» à l’entrée, et malgré tout, on n’a jamais été autant stigmatisé qu’aujourd’hui car le X n’a jamais renvoyé une image aussi navrante. C’est valable pour les femmes, surtout, et les homos. Les hommes hétéros, en revanche, sont toujours glorifiés. Toujours cette histoire de phallus flamboyant, triomphant…
Vous êtes une féministe pro-sexe. Ça veut dire qu’il existe un féminisme anti-sexe ?
Clairement. Il y a un féminisme conservateur qu’on entend beaucoup en ce moment autour des luttes pour la pénalisation des clients des prostituées. Le féminisme pro-sexe prend la défense des travailleurs du sexe et considère que le porno, même s’il est majoritairement sexiste, doit être repris en main.
Votre nouveau film Le Baiser, explore surtout le sexe lesbien… La Vie
d’Adèle n’avait
pas bien fait le boulot ?
J’ai trouvé le film bien réalisé, là n’est pas le problème. Mais au niveau des scènes de sexe, il m’a un peu gêné. Elles sont un peu stéréotypées, on voit qu’il
n’y a pas eu de consultante dessus,
comme ça se pratique pourtant
ailleurs. Mais Le Baiser n’est pas
une réponse à La Vie d’Adèle. Et c’est
moins un film sur l’homosexualité
que sur la bisexualité : ça, c’est
une nouveauté. D’habitude la
bisexualité dans les films porno,
ce sont des filles avec des ongles
américains façon Freddy les griffes
de la nuit qui se mettent à brailler
dès qu’on les touche. Ce sont des
hétéros qui tournent des scènes
au service d’un homme. Le but
de mon film est de représenter la
bisexualité féminine telle qu’elle
est, mais aussi la bisexualité
masculine, et c’est la première
fois que Canal Plus va diffuser
une telle chose dans la case du
samedi. Le milieu du porno est
très homophobe : c’est une micro-
révolution car d’habitude, on ne
mélange jamais les sexualités dans un film. À l’époque où j’ai tourné Le Baiser, je fréquentais justement une fille, et je n’avais pas du tout envie de montrer uniquement des sexes en érection à gogo, ça ne m’inspirait pas… C’est donc la première fois que je fais un film qui me ressemble et qui est susceptible de m’exciter.
Le cinéma traditionnel ne montre pratiquement que du sexe qui souffre, gorgé de pathos. Je pense à Nymphomaniac de Lars von Trier par exemple. Le cul joyeux, on ne le trouve plus que dans le porno…
Oui, c’est vrai. Mais concernant Lars von Trier, on ne va pas non plus lui demander de faire des comédies burlesques, il fait de toute façon du cinéma qui souffre. Mais effectivement, il est plus facile, pour obtenir des financements et des visa d’exploitation, de représenter une sexualité plus douloureuse que complaisante. Nymphomaniac, je ne l’ai pas vu en entier donc je ne veux pas trop m’avancer sur le sujet, mais j’ai entendu des choses sur l’envers du décor du film qui ne m’ont pas plu. En octobre, j’étais au Porn Film Festival à Berlin et il y avait un panel organisé avec plusieurs réalisatrices qui évoquaient la question des scènes de sexe explicites dans le cinéma conventionnel. La doublure des scènes de sexe qui était prévue dans le panel s’est décommandée au dernier moment, en expliquant qu’on ne l’autorisait pas à en parler. Ça m’a chiffonnée… Et puis, le principe de ce que j’appelle les « doublures anus » me pose un problème, je trouve ça irrespectueux vis-à-vis de la chair à canon qu’on appelle uniquement pour effectuer une doublure génitale…
Les acteurs dits « classiques » devraient assumer le job jusqu’au bout, selon vous ?
Quand on est acteur, on est libre soit d’accepter, soit de refuser un rôle. Mais si on dit oui à un rôle qui exige des scènes de sexe, on les fait jusqu’au bout. Et on n’accepte pas qu’il existe une espèce de sous-prolétariat du cinéma booké là-dessus, juste pour venir écarter les fesses. La doublure double pénétration de Charlotte Gainsbourg me dérange dans Nymphomaniac. Surtout que dans la presse, elle insistait sur le fait qu’elle portait une prothèse en latex, que ce n’était pas elle, alors que franchement, que tu te fasses brouter la chatte ou la prothèse, il n’y a pas vraiment de différence… C’est comme si je te disais : «Je couche avec toi avec un préservatif donc ça ne compte pas, c’est pour du faux». Le problème ne se situe pas du côté artistique du film mais bien autour. Dans précisément cette obligation de se dédouaner des scènes de sexe pour ne pas passer pour une salope.
Votre film est assez soft, plus sensuel que génital… Le porno féministe hardcore, ça existe ? Il y a un public pour ça ?
Assez soft, assez soft… Il y a quand même une scène finale anale très longue ! Et beaucoup de gros plans explicites.
Non mais disons que c’est joliment cadré, éclairé, scénarisé… ce n’est ni crado ni brutal.
C’est pas un film hardcore mais ce n’est pas un film érotique non plus. Mais il existe en effet des
films féministes
hardcore. J’ai vu
récemment dans un
festival à Toronto un
film avec une scène
improbable de « tits
fucking », où la
nana enfonçait son
sein dans la chatte
de sa partenaire. Il
y avait là-dedans
une femme très
impressionnante,
très grande, très
dominante, qui, à un
moment, éjaculait
du lait maternel
sur le visage de son
partenaire… Ça m’a
fait éclater de rire.
C’était tellement énorme comme inversement des codes… Il existe des trucs costauds mais il n’y a pas de norme dans le porno féministe. Puisque la volonté, c’est justement de représenter une vraie diversité de sexualités.
Technikart #192
Juin 2015