James Cameron – Renaissance man

technikart n° 139 – février 2010

Pari technique gagné, records battus, barre des deux milliards en ligne de mire… L’ouragan «Avatar» passé, c’est l’heure des comptes. Où l’on constate que la 3D était un leurre et que le futur du cinéma sera classique ou ne sera plus. Et c’est James Cameron qui le dit, ici.

Les records sont faits pour être battus. Bubka attendait d’avoir assuré la victoire avant d’ajouter un centimètre et d’ajuster sa perche. Clap-clap-clap-clap, le stade scandait sa course en tapant dans ses mains. 6,10 m… 6,11 m… 6,12 m… Presque trop facile. James Cameron procède différemment. Il tente le record à chaque saut. Depuis le bout de la piste, TOUTES les barres semblent infranchissables. La clé de la réussite est dans la course d’élan. Cameron voulait créer un territoire mythologique, miroir révélateur des dérives contemporaines. Pour cela, il lui fallait créer en synthèse un monde plus organique que le vrai, ce qui est par définition impossible. Mais il l’a fait.
Le cinéma reste l’art du « comment ». Il y a beaucoup de technique là-dedans, bien sûr, mais l’astuce, le « truc » si l’on peut dire, réside dans le choix de raconter une fable ancestrale, histoire connue de tous qui ressemble à celle des Etats-Unis : homme blanc veut exproprier homme d’une autre couleur mais tombe amoureux de femme d’une autre couleur et finit par épouser son point de vue. Pocahontas a toujours représenté une terre vierge, un continent à conquérir. Dans Avatar, elle est bleue et virtuelle, mais Cameron la regarde comme Terrence Malick regardait Q’orianka Kilcher dans le Nouveau Monde.
On a dit que Cameron s’était donné pour défi d’inventer le cinéma du futur. C’était vrai, mais cela n’avait rien à voir avec la 3D, le relief ou l’Imax. L’enjeu était plus simplement de trouver des moyens upgradés de conter une histoire primitive, originelle, comme si c’était la première fois. Ce qui est une définition possible du classicisme. Cameron réconcilie les deux faces du génie, technologique et artistique, comme le faisaient les grands esprits de la Renaissance. Il y a de nouveaux mondes à conquérir et d’anciens mondes à préserver. Lui sait que ces deux démarches-là n’en sont qu’une seule.

 

JAMES CAMERON, DÉJÀ, EUH… BRAVO ?
Oui, merci, on flotte un peu, en ce moment. On espérait bien sûr que le film serait commercial, on aurait été des imbéciles de dépenser autant sinon, mais à ce point, ça nous dépasse un peu. J’en parlais hier soir à dîner avec Jon Landau, mon coproducteur. Je lui ai dit : « Jon, dans tes rêves les plus fous, tu aurais imaginé ça ? » Sa réponse : « Non. »

IL Y A CE PLAN, AU TOUT DÉBUT, OÙ JAKE SULLY SORT DU VAISSEAU QUI L’AMÈNE SUR PANDORA. IL EST SUR SON FAUTEUIL ROULANT, ON LE SUIT EN TRAVELLING-AVANT SUR LA PASSERELLE AU MOMENT OÙ IL DÉCOUVRE LE PAYSAGE DÉMESURÉ, LES ROUES ÉNORMES DU CAMION QUI LUI COUPENT LA ROUTE, LE MÉCA MONSTRUEUX… TOUT LE PROGRAMME DU FILM, ET SA SURDIMENSION, SONT CONTENUS DANS CETTE IMAGE.
Ça a toujours été l’idée. Que l’on découvre Pandora en même temps que lui, et que l’on soit comme happé, écrasé, par ce monde si différent, que l’on décode grâce à une somme de petits détails. Il y a des militaires : c’est une base. Il y a des impacts sur la carrosserie du camion, des flèches plantées dans ses roues : l’homme est en guerre contre une culture primitive, c’est une guerre déséquilibrée entre une armée technologique et une autre qui en est toujours à l’âge de pierre. On enregistre tout cela en un plan.

ET DONC, C’EST UN WESTERN.
Oui, du moins par aspects, parce qu’il y a la cavalerie, les Indiens, et que la plupart des gens ont tendance à réagir aux films à travers d’autres films. Mais notre démarche a été d’élargir cette proposition au maximum. Quand tu vois un arc et des flèches, tu penses aux Indiens, mais l’arc est sans doute l’arme la plus répandue dans les cultures tribales. A ma connaissance, la seule tribu guerrière qui n’utilise pas l’arc, ce sont les Maoris en Nouvelle-Zélande. C’est donc un western, oui, mais pas seulement.

LA CRITIQUE QUI REVIENT TOUT LE TEMPS EST, EN GROS: «BAH, IL S’EST PAS FOULÉ POUR LE SCÉNARIO, CAMERON.» ALORS QUE POUR RÉUSSIR À RELEVER LE DÉFI DU «JAMAIS VU», IL ME SEMBLE CLAIR QUE VOUS DEVIEZ ANCRER LE FILM DANS LE «DÉJÀ RACONTÉ», REVENIR À UNE FABLE ARCHÉTYPALE.
C’est exactement ça. Il y a une grande différence entre ce qui relève du cliché et ce qui relève de l’archétype ou de la clarté. Je voulais communiquer thématiquement et émotionnellement avec le public. Or, il y a déjà beaucoup de défis à relever pour le spectateur : découvrir un territoire nouveau, avec des formes de vie différentes, assimiler le principe SF de l’avatar, les personnages à reconnaître sous plusieurs incarnations… Donc, il fallait que les thèmes soient clairs, forts, affirmés. Je ne suis pas d’accord avec l’accusation de « simplisme ». L’archétype ne « simplifie » pas, il clarifie.

POUR QUE LE RÉCIT MARCHE, IL FAUT QUE LE MONDE VIRTUEL EN SYNTHÈSE SOIT PLUS «ORGANIQUE», PLUS TACTILE QUE LES PRISES DE VUE RÉELLES. CE QUI EST PAR DÉFINITION IMPOSSIBLE, SAUF SI LA DRAMATURGIE S’EN MÊLE ET PARVIENT À BROUILLER LES FONCTIONS DES DEUX HÉMISPHÈRES DU CERVEAU, ANALYSE ET ÉMOTION.
J’ai bien conscience de l’ironie qu’il y a dans le fait d’utiliser une technologie de pointe pour célébrer une culture dite « primitive » et le mythe rousseauiste du « bon sauvage ». Le cinéma est un art technique par définition. Mais la vocation de la technologie est d’atteindre un tel degré de sophistication qu’elle finit par disparaître et devenir une sorte de magie. Quand, gamin, je regardais les films de Ray Harryhausen, je n’avais pas la moindre idée de comment c’était fait et je m’en foutais royalement. Quand on voit des personnages courir pieds nus dans la forêt tropicale, qu’ils soient bleus et fassent trois mètres de haut ne rentre pas en ligne de compte. C’est la découverte de cette forêt qui est en jeu.

ON NE S’EN REND MÊME PLUS COMPTE, QU’ILS FONT TROIS MÈTRES DE HAUT. EN REGARDANT LE FILM, J’AVAIS BEAU SAVOIR QU’ILS ÉTAIENT EN SYNTHÈSE, J’ÉTAIS PRESQUE CONVAINCU DE VOIR DES ACTEURS PEINTS EN BLEU…
Tant mieux. Notre fenêtre ouverte sur un film, quel qu’il soit, ce sont les personnages, donc les performances. Le plus grand enjeu était de préserver ça, de faire en sorte que ce que les acteurs produisaient ne soit pas abîmé par le passage aux images de synthèse. Les deux premières années de travail ont été consacrées à tenter de s’assurer que les émotions seraient respectées à la lettre. Ma peur panique était de devoir dire à Sam Worthington : « Exagère un peu ton jeu, sinon ça ne passera pas. » Et je n’ai jamais eu à le lui dire. Je ne suis pas un animateur, je n’aime pas trop ça, j’aime travailler avec les acteurs et avoir des scènes en boîte à la fin d’une journée de tournage. Je veux pouvoir leur dire que le moment qu’ils ont créé a été fixé par la caméra et que, même en bleu, il se retrouvera TEL QUEL sur l’écran.

QUAND LES DEUX HÉROS S’EMBRASSENT, IL FAUT QU’ON VOIT UN PUR BAISER DE CINÉMA. ET MÊME QU’ON LE «RESSENTE» CHARNELLEMENT, SANS LA DISTANCE POÉTIQUE DE LA REPRÉSENTATION.
Comme cinéaste, ça m’a pris pas mal de temps pour y arriver, mais j’ai appris à ne pas trop analyser ce que je fais. Ni pourquoi je le fais, ou pourquoi une image me semble suffisamment forte ou non. Un peu comme les artistes surréalistes tentaient de rester connectés avec leur état de rêve, mon travail consiste à essayer de rester en contact avec mon imaginaire, pour pouvoir le transmettre au spectateur. Les gens du marketing venaient nous voir en nous proposant des slogans comme « Un voyage au-delà de votre imagination ». Et je disais : « Non, non, surtout pas, c’est presque insultant. Comme s’ils n’en avaient pas, de l’imagination. » Au contraire, le but est de connecter notre imaginaire au leur, trouver un « état imaginaire » commun, proche du rêve. Ce que je dis fait sens ou pas du tout ?

CE QUI NE FAIT PAS SENS, C’EST D’IMAGINER QU’ON PUISSE RESTER PROCHE D’UN ÉTAT DE RÊVE ALORS QU’ON TRAVAILLE SUR CHAQUE IMAGE PENDANT CINQ ANS.
Ah, oui, c’est toute la difficulté. Le truc, c’est de croire à la première impulsion et d’y rester fidèle coûte que coûte. Quand un artiste me montre un dessin ou une ébauche, je dois pouvoir dire intuitivement : « Oui, ça » ou « Non », en m’efforçant de préserver coûte que coûte la direction de départ. Ensuite, bien sûr, pour savoir s’il faut un nuage ou non dans tel coin de ciel, dans un film live, tu pointes ta caméra vers tel ou tel endroit, et s’il y a un nuage, il est dans le plan. Sur un film comme celui- ci, tu n’as simplement pas d’« endroit » où pointer ta caméra. C’est comme si tu étais en train de faire une énorme fresque, et que tu avais le nez collé sur des milliers de micro-détails. La vision d’ensemble, tu ne l’as qu’à la toute fin, quand tu fais quelques pas en arrière. Avatar, je ne l’ai pas regardé UNE SEULE FOIS d’une traite avant que les effets spéciaux ne soient 100% finis, à quelques jours de la sortie.

NON !
Si… On a fait une projo avec quelques amis, Arnold Schwarzenegger, Steven Spielberg et leurs épouses, plus le cast, et je l’ai découvert pour la première fois avec eux. C’était miraculeux.

ON PARLAIT DE WESTERN, ON PENSE BEAUCOUP AU MYTHE DE POCAHONTAS OU À «LA FLÈCHE BRISÉE» DE DELMER DAVES.
Oui, le film avec Jimmy Stewart. Je ne l’ai pas revu depuis gamin, mais c’est un film décisif, précurseur dans sa façon d’envisager les Indiens à travers l’itinéraire d’un Blanc qui passe de l’autre côté, qui essaie de comprendre les choses de leur point de vue. Comme Danse avec les loups, plus récemment. Moi-même, j’ai revu des films comme la Forêt d’Emeraude, Lawrence d’Arabie ou L’homme qui voulut être Roi, toutes sortes de films où le héros européen essaie de pénétrer une culture qui lui est étrangère et de la comprendre de l’intérieur.

DANS LES ANNÉES 60-70, IL Y A EU UNE VOGUE DE FILMS QUI UTILISAIENT LE WESTERN POUR FAIRE UN PARALLÈLE AVEC LE VIÊT-NAM…
… Oui, des films qui utilisaient des codes du western pour commenter l’actualité. On a fait un peu l’inverse, en se servant de la science-fiction pour raconter une histoire classique.

EN PLAÇANT CETTE HISTOIRE DANS LE FUTUR, VOUS ENTENDEZ AUSSI ÉVOQUER LE VIÊT-NAM, LE MOYEN-ORIENT AUJOURD’HUI, CETTE RÉPÉTITION PERPÉTUELLE DU PÉCHÉ ORIGINEL AMÉRICAIN, CE PARADOXE QUI CONSISTE À AVOIR ÉDIFIÉ UNE «TERRE PROMISE» SUR UN PARADIS QU’ON A SOI-MÊME SOUILLÉ.
Il n’est pas facile pour les Américains de dealer avec leur propre histoire, c’est vrai… Mais c’est la même chose pour l’Australie, l’Afrique du sud, l’Amérique du sud. Partout où sont allés les Européens, là où les cultures étaient moins avancées sur le plan militaire et technique, ils ont cherché à les absorber ou à les remplacer. Cette histoire a autant de formes qu’il y a eu de colonies. Là encore, le seul endroit différent est la Nouvelle-Zélande, où nous avons tourné. Là-bas, les Anglais n’ont pas réussi à soumettre les Maoris. Ils ont dû composer avec eux d’une façon qui n’existe nulle part ailleurs.

POURQUOI AVOIR APPELÉ LA PLANÈTE «PANDORA» ?
Bon, c’est une référence classique, bien entendu. J’ai choisi la plupart des noms arbitrairement, en écrivant le premier traitement. L’idée était que les premiers hommes arrivés sur cette planète y ont vu un endroit dangereux, inhospitalier, et l’ont nommé Pandora parce que, dans le mythe classique, elle représente la source de tous les maux. Mais Pandora était aussi la première femme dans la mythologie grecque. Et le film raconte la lutte entre une énergie mâle – celle de la conquête, de la puissance – et une énergie femelle, nourricière, en quête d’harmonie. Et puis j’aimais le fait que quand Pandore parvient à refermer la Jarre dont sont sortis les maux qui accablent l’humanité, la dernière chose qui y reste enfermée est…

… L’ESPOIR.
Et de l’espoir, il y en a toujours à la fin de mes films.

LE MYTHE DE PANDORE EST L’ÉQUIVALENT GREC DE CELUI D’ADAM ET EVE.
C’est vrai. La colonie sur Pandora s’appelle « Hell’s Gate », la porte de l’enfer. Mais si tu y pénètres et que tu apprends à y vivre, tu te rends compte que c’est au contraire un jardin d’Eden, un endroit magique, synonyme de liberté et d’éveil spirituel. Un des buts du film est de changer la perception qu’on en a entre la première impression, menaçante, et la seconde. Alors, on tire le tapis sous les pieds du spectateur qui découvre les hommes pour ce qu’ils sont, des envahisseurs. Ceci dit, je suis assez réticent vis-à-vis du mythe d’Adam et Eve. Faut pas me lancer là-dessus.

MAIS SI, AU CONTRAIRE, JE VOUS LANCE.
Pour moi, c’est le moyen qu’ont su trouver des religions paternalistes pour réprimer la curiosité de l’être humain, sa soif de savoir, et pour imposer une vision négative de la femme, coupable de la faute originelle. Mon idée de la femme, bien différente, s’incarne dans les quatre personnages féminins du film. Et même cinq, si on compte la conscience de la planète, dont on ne voit que la manifestation de la colère.

LE FILM PROPOSE EN QUELQUE SORTE UNE VISION POST-CYBER DE LA SCIENCE-FICTION.
Il y a plusieurs façons de répondre à cette idée. Nous-mêmes avons créé un réseau cybernétique, auquel nous sommes de plus en plus connectés et qui influe sur notre évolution en tant qu’espèce. Les Na’Vi, eux, sont pluggés avec la nature, capables d’y stocker leurs souvenirs, leurs émotions, et de maintenir un contact entre les vivants et les morts. Comme c’est de la science-fiction, il faut conserver ce genre de trace de plausibilité ou d’explication scientifique. Mais il est évident qu’il y a une autre lecture, mystique ou religieuse, où la nature se fâche et vient botter les fesses des bad guys.

ON VOUS SENT TRÈS CRITIQUE SUR NOTRE RÉSEAU À NOUS.
Au moment du boum d’Internet, il y a quelques années, j’ai dit : « Wow, on va tous être interconnectés, mes enfants auront des amis en France, en Inde, en Chine, tout le monde se comprendra, on réalisera qu’on est tous agités par les mêmes émotions universelles. » Et paf, non. Les moteurs de recherche nous permettent au contraire de rétrécir encore plus nos horizons en nous recroquevillant entre gens qui se ressemblent. Un white supremacist timbré qui prétend que la Shoah n’a pas eu lieu et qu’il faut exterminer les Juifs patati, patata, va trouver 10 000 mecs qui sont d’accord avec lui sur la planète et se dire : « J’ai raison, je ne suis pas seul », alors qu’il a trouvé les 0,000001 % qui pensent les mêmes conneries que lui. Internet nous permet d’être encore plus divisés qu’avant. Je suis très déçu par ça.

AU-DELÀ DE LA RÉFÉRENCE AU 11 SEPTEMBRE, QUAND L’«ARBRE DE VIE» EST ABATTU, ON NE DOIT PAS RÉAGIR DE FAÇON «ROMANESQUE» MAIS VISCÉRALEMENT, COMME DEVANT UN BLASPHÈME.
Ecoutez, c’est bien d’avoir des thèmes écolo ou anti-corporatistes. Mais les gens savent très bien tout cela. Ils savent pour les lobbys pétroliers, ils savent que Obama est allé à Copenhague les mains dans les poches, ils savent tout des problèmes du climat. Un film de divertissement ne t’apprend rien, mais il peut transformer cette info en émotion, donc en réaction. C’est le même principe qui explique la popularité du mythe de Gaïa : l’idée que dans la nature, tout est interconnecté de façon complexe et qu’il faut prendre garde à ne pas briser cette harmonie. Le mythe est simplificateur mais il a le mérite de créer de l’émotion. Quand l’arbre tombe, c’est un peu l’image de tous les arbres que l’on abat au quotidien. Et, métaphoriquement, la chute de toutes les espèces, de la nature elle-même. Avec un peu de chance, si tu le ressens, peut- être que cela aura un impact sur ta vie quotidienne, ou sur la façon dont tu voteras la prochaine fois.

«AVATAR» EST TRÈS PROCHE DU CINÉMA DE TERRENCE MALICK, ET PAS SEULEMENT PARCE QUE «LE NOUVEAU MONDE» ÉTAIT UNE VERSION OFFICIELLE DE POCAHONTAS…
Malick est un génie, l’un des rares à créer de la poésie visuelle. D’ailleurs, vous avez remarqué que le personnage n’est jamais nommé dans le film ?

SEULEMENT DANS LE GÉNÉRIQUE DE FIN…
On travaillait déjà sur Avatar quand le Nouveau monde est sorti, mais j’ai été sidéré par sa façon sublime de nous faire ressentir combien l’héroïne est connectée à son monde. Certains pensent que vivre en harmonie est un concept hippie, le lion qui dort avec l’agneau, etc. Ce n’est pas ma conception des choses. La nature est vicieuse, trouver l’harmonie, c’est savoir trouver sa place, que ce soit en tant que prédateur ou en tant que proie. Comme dit Neytiri : « Notre Mère sacrée ne prend pas partie. » La nature ne dit pas si la gazelle doit réussir à échapper ou si le lion doit parvenir à la dévorer. Toute sa beauté réside dans cette terrifiante symétrie, qui crée un monde divers et complexe. Isolés dans nos bulles de réalité – bureaux, voitures, écrans –, on est de plus en plus coupés de cette richesse. J’entends des gens dire qu’ils sont « déprimés » de devoir quitter Pandora à la fin du film… J’ai envie de leur conseiller d’aller faire une randonnée.

ON VA ENCORE VOUS REPROCHER D’ÊTRE NAÏF.
Est-ce que je dis qu’on doit aller courir pieds nus dans la jungle ? Non, on ne saurait pas le faire, de toute façon. On doit continuer à se développer dans le sens du progrès technologique, et je suis convaincu que cela nous sauvera si on parvient à orienter nos efforts dans la bonne direction. On trouvera de nouvelles formes d’énergie, de nouveaux horizons, à condition de ne plus faire du profit notre Dieu et de ne plus croire que la croissance économique est le meilleur chemin pour l’humanité. C’était vrai au cours des mille dernières années, mais ça ne le sera plus pour les cent prochaines.

ENTRETIEN LÉO HADDAD


 

Technikart #139

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