Jeffrey Katzenberg : «Je ne suis pas un bon perdant»

20 minutes pour 20 ans. Entretien express avec Jeffrey Katzenberg.

 

Jeffrey, vous fêtez les 20 ans de Dreamworks cette année. Mais vous, vous arrêtez ?
Vous plaisantez ? Nos films sont tous structurés sur le même mode. Ils sont en trois actes. Tous. Aujourd’hui, à 20 ans, Dreamworks vient d’atteindre la fin du premier acte. Il en reste deux. On a bâti les fondations, mais on doit vivre de nouvelles aventures.

Avec ou sans vous ?
On verra. J’espère avec moi… personne n’est éternel. Et je reste très ambitieux. Très impliqué. Je ne suis pas encore sur la pente descendante.

Je voulais vous parler des films… J’ai l’impression que les débuts furent difficiles. «Fourmiz», «Prince d’Egypte», on sent encore l’influence de Disney. Je ne trouve pas. Au contraire. La première chose que j’ai dite à Spielberg, c’est précisément que je ne voulais plus faire du Disney. J’y avais travaillé dix ans, je respectais cet héritage, mais je ne voulais pas les copier. Prince d’Egypte était ce qu’un Disney Movie ne pourrait jamais être. Un film biblique très sérieux. Fourmiz ? Une comédie newyorkaise sophistiquée. Ce que Disney n’aurait jamais produit. C’était nos années recherche et développement.

Pas les meilleures sur le plan du box office.
Ce n’étaient pas des blockbusters, mais ils ont eu leur petit succès. Puis, il y a eu Shrek. Le Graal. Au-delà du succès, ce film était justement la réponse définitive à ceux qui disaient qu’on imitait Disney. C’était un anti-Disney. Pardon, l’antithèse des Disney puisque l’on prenait le conte de fée pour en renverser les codes. C’était un film PG, c’était irrévérencieux et il y avait des stars de comédie – ce que Disney ne faisait pas. C’est devenu notre étoile polaire.

Votre lapsus est amusant. Etant donné la manière dont s’est déroulé votre départ de Disney, ça peut sembler ironique…
Hehe, oui, à « ironie» dans le dictionnaire, vous trouverez cette histoire.

Est-ce que ce succès vous a paralysé en terme artistique ?
Non. La spécificité de Dreamworks, contrairement à Disney ou Pixar c’est qu’on n’a pas de recette. Pas de formule… Raiponce c’est une formule Disney. La Reine des neiges aussi. Les films Pixar, aussi. Ils ont un univers très codé. Bien faits, mais étroits.

Le problème c’est que sans formule, comment définir l’identité d’un studio ? Ce que vous reprochez à Pixar, c’est aussi sa force.
Notre identité c’est la comédie et la subversion. Mon boulot, c’est de vous faire rire. Même si on peut réaliser des films plus sérieux comme Dragons, il y a de la comédie dans tous nos films. Et surtout des personnages. Je dis Kung Fu Panda et vous pensez à Pow. Je dis Madagascar et c’est Melvin. Croods et c’est la famille qui vient à l’esprit… C’est notre signature, bien plus que pour nos concurrents. Regardez La Reine des neiges : vous pouvez me dire qui est l’héroïne ou le héros du film ? Moi non. Le seul personnage dont on se souvient, c’est le bonhomme de Neige.

J’ai envie de vous parler de «Spirit».
Cool. Quand on me demande mon Dreamworks préféré, je le cite souvent. Ça surprend, parce que c’est un de nos films qui a le moins bien marché.

Pourquoi le citer alors ?
Parce que c’est le seul film 100% animation à la main qu’on ait réalisé. Et parce que je m’identifie au personnage. Toute ma vie on a essayé de me faire passer pour le méchant de l’histoire. Mais personne n’a réussi. Je vais vous raconter une histoire de jeunesse. J’ai quitté le domicile familial très jeune. Et quand on lui demandait pourquoi elle l’avait accepté, ma mère répondait : « Jeffrey était un étalon sauvage. Si je n’avais pas ouvert la barrière, il serait quand même parti. Au moins, de cette manière, il sait qu’il peut revenir à la maison ». Et j’étais un étalon sauvage. Vraiment. Et je suis revenu parce que je savais que je n’étais pas emprisonné… Spirit c’est ça.

Un tournant majeur, c’est «Dragons.» C’est le moment où on s’est dit que vous pouviez vous aligner sur Pixar et faire autre chose que de la comédie mainstream
Ce que je peux dire c’est qu’il existe différents critères pour juger du succès des films. Le Box office en est une. Et sur ce plan, on a eu à peu près autant de succès que Disney ou Pixar, on a la plus lucrative franchise de films d’animations avec Shrek, on a crée des personnages qui sont entrés dans la pop culture. Mais pour revenir à votre comparaison Pixar / Dreamworks, est-ce que j’espère que les critiques vont aimer nos films ? Bien sûr ! Au moins autant qu’ils aiment les Pixar ? Ce serait mentir que de vous dire le contraire. Je suis un compétiteur. Je n’aime pas la deuxième place. Je vais te donner ma réponse cynique : « Quand on me montre un bon perdant, je vois un perdant ». Je ne suis pas un bon perdant. Désolé.

 

Gaël Golhen


 

Capture du 2015-05-11 15:41:50 Technikart SuperCannes #02   16 mai 2014