Jérémy Fel, le fils spirituel de Stephen King ?

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Et si, lors de son passage à Paris il y a deux ans, Stephen King en avait profité pour faire des bébés ? Enfin, les rejetons seraient mutants et seraient rapidement parvenus à l’âge adulte. En tous les cas, l’auteur de Misery et Shining a bel et bien trouvé un fils spirituel en la personne de Jérémy Fel qui, avec Les Loups à leur porte, nous offre l’un des premiers romans les plus stimulants (et importants) de la rentrée (1).

Certains lecteurs risquent fort de cauchemarder, avec ce terrifiant roman-mosaïque qui nous transporte des Etats-Unis à la France. Vous n’êtes pas prêt d’oublier Daryl, digne successeur du Michael Myers de la saga Halloween (promis, on ne spoile rien), l’étrange serveuse Mary-Beth, les malheureux Paul et Martha Lamb, le kidnappeur d’enfant Duane Parsons ou cette maison non loin d’Annecy qui rappelle le manoir du Rebecca de Daphné du Maurier. Et qui est vraiment le cynique Walter ?  Avec une précision narrative diabolique (une construction imparable !) et une indéniable efficacité d’écriture, Jérémy Fel réussit un vrai bon néo-thriller horrifique qui assume ses influences américaines (Joyce Carol Oates en tête) sans jamais être écrasé par celles, trouvant une voix (et une voie) personnelle(-s) en jouant avec les chromos du genre. Vous allez adorer avoir la trouille avec ce bizut qui, s’il aime la culture US, ne joue pas au « yé-yé »…

Votre roman se déroule dans une atmosphère très « américaine ». De manière générale, quel est votre rapport avec la littérature anglo-saxonne ?
Mes lectures sont majoritairement composées de romans américains, et ce depuis le lycée, où, parallèlement aux classiques qu’on nous enseignait, j’ai découvert des auteurs comme Burroughs, Salinger, ou Ellroy. J’étais déjà fasciné par les Etats-Unis, surtout grâce au cinéma, à des films comme Paris Texas, A Perfect World, My own Private Idaho… Et cette fascination s’est naturellement prolongée par la littérature…

Cette imprégnation pour la culture anglo-saxonne relève-t-elle d’un imaginaire que vous vous êtes façonné ou avez-vous multiplié les pèlerinages aux Etats-Unis ?
Tout ici est affaire d’imaginaire, et faire se dérouler une partie de mon roman dans ce cadre était, de par mes références et ma sensibilité, une évidence dès le départ. Je ne suis jamais allé au Etats-Unis, et j’aime cette idée de tenter d’en capturer l’essence par le simple prisme de l’imaginaire. Bien entendu, je me suis beaucoup documenté. Je ne cherche d’ailleurs pas du tout à singer la littérature américaine, Les loups à leur porte est un roman français, dont une bonne moitié se déroule dans le Midwest et à San Francisco, pas une – vaine, j’espère – tentative d’écrire mon « roman américain ».

Quels sont les auteurs qui vous ont particulièrement marqués ?
Burroughs en premier lieu donc, puis des auteurs très divers comme John Irving, William Faulkner, Michael Cunningham, Stephen King, Dan Simmons, Laura Kasischke , William T.Vollmann…Ces dernières années, la découverte de l’oeuvre de Joyce Carol Oates a été déterminante. Dans une interview récente, elle a expliqué que pour elle écrire c’était « confronter la part civilisée de l’homme à sa part de sauvagerie ». J’y souscris totalement, et cela peut tout à fait résumer ce que je tente moi-même de creuser dans ce premier roman. Je suis fasciné par la force qui se dégage de ses œuvres, la complexité de ses personnages, cette façon de les malmener et de sonder leurs âmes, de ne pas avoir peur de confronter son lecteur aux pulsions humaines les plus sombres. On sent à chaque page que pour elle écrire est une nécessité vitale

Qu’est-ce que la littérature anglo-saxonne propose  de différent par rapport à la littérature française ?
Ce que j’aime retrouver dans les romans américains que je lis, c’est cette diversité de tons, ce souffle, cette ambition, cette profusion de personnages, d’histoires… J’avoue avoir un peu de mal à a trouver tout cela dans la littérature française contemporaine, à part chez des écrivains « de genre » comme Alain Damasio ou Jean Philippe Jaworski… Je suis persuadé que nous avons tout à gagner à sortir de notre petit pré carré et à nous confronter à d’autres façons de concevoir l’écriture, sans nous imposer de barrières, sans nous dire que nous ne sommes pas aptes à parler de tels ou tels sujets ou à aborder tels ou tels genres. Il n’y a qu’à voir ce qu’a accompli Céline Minard dans son Faillir être flingué, western écrit par une femme française et qui n’a rien à envier aux classiques du genre…

Vous avez été scénariste de courts-métrages avant d’écrire ce roman dans lequel on retrouve un vrai univers graphique. On pense à Twin Peaks par exemple. Est-ce que vous êtes aussi influencé par cette cette partie de la culture américaine  ?
Pour Twin Peaks la comparaison me touche beaucoup. Lynch est mon cinéaste préféré. C’est en voyant des films comme Blue velvet ou Lost Highway que j’ai commencé à écrire des petites scènes de films, aussitôt attiré par cet univers effrayant, onirique, décalé. Je suis aussi un grand consommateur de séries TV ; actuellement j’en regarde cinq ou six en parallèle et je me réfrène autant que possible pour ne pas en commencer d’autres… Bien entendu la façon dont certaines sont construites m’inspire beaucoup. J’aimerais qu’à la longue mes romans deviennent aussi addictifs qu’une saison de Lost ou de Breaking Bad. Happer le lecteur dès les premières pages pour ne plus le relâcher par la suite…

Enfin, avoir écrit les scénarios vous a-t-il facilité la tâche dans la rédaction de votre roman ?
Le scénario n’a, bien entendu, rien de littéraire en soit – et ce n’est qu’une étape dans l’élaboration d’un projet filmique. Il ne s’agit que de décrire ce que l’on verra ou entendra à l’écran. Au départ j’en écrivais dans le simple but de les réaliser, mais, après être passé derrière la caméra, je me suis rendu compte que c’était l’écriture en elle-même qui me passionnait, créer des histoires, des atmosphères, des personnages…C’est là que je me suis lancé dans l’écriture d’un premier roman. Le passage d’une écriture purement technique à une autre, plus littéraire, ne s’est pas fait sans difficultés, mais j’ai eu la chance de rapidement trouver mon propre style, celui qui me paraissait m’être le plus naturel, et qui reste en même temps assez marqué par ces diverses expériences scénaristiques, notamment par son côté visuel, tout en images…

(1) Stephen King estégalement au cœur du dernier roman, très attendu (et précédé d’un très enthousiaste bouche-à-oreille), de Delphine de Vigan, D’après une histoire vraie. 

                                                        Propos recueillis par Léonard Desbrières et Baptiste Liger

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Les Loups à leur porte (Rivages, 438 pages, 20 €)