JOSS WHEDON SAUVERA- T-IL LES SÉRIES ?

Paru dans le Hors Série Htv de Technikart – 18/07/2008

De retour dans une industrie sinistrée après un détour par le cinéma, le super auteur de «Buffy» pourrait mettre fin à la crise des séries avec «Dollhouse», son nouveau bébé. Promis ?

MIS À PART LES ÉPISODES QUE VOUS AVEZ RÉALISÉS POUR «THE OFFICE», VOUS N’AVIEZ PLUS TOUCHÉ À LA TÉLÉVISION DEPUIS L’ANNULATION DE «FIREFLY» IL Y A CINQ ANS. VOUS REVENEZ AUJOURD’HUI DANS UN PAYSAGE DÉVASTÉ, NON ?
Je n’étais pas conscient des changements industriels dont vous parlez jusqu’à ce qu’on rentre en production. Pour le genre de séries que je fais et le genre d’histoire que je veux raconter, rien n’a changé. Mais tout ce qui existe autour a radicalement évolué, oui : le nombre d’actes dans un scénario, la prise en compte du double standard d’écran, la nécessité de présenter à la chaîne plusieurs montages différents, celle de documenter chaque étape du tournage pour les bonus DVD et le contenu on-line… Le processus est plus complexe et, pour tout dire, beaucoup moins fun. On a un peu l’impression que tout le monde est paumé et envisage le pire. En même temps, je deale avec des executives de studio plus intelligents que ceux qui les précèdent. Ils respectent mes intentions, aiment les prémices du show et soutiennent le cast à 100 %. Et le plus important, c’est ça : les intentions.

 

«DOLLHOUSE» ET «FRINGE», LA DERNIÈRE CRÉATION DE JJ ABRAMS, S’APPRÊTENT À EXPÉRIMENTER UN FORMAT INÉDIT SUR UN GRAND NETWORK : 55 MINUTES PAR ÉPISODE POUR SEULEMENT 5 MINUTES DE PUB (CONTRE 17 AUPARAVANT, NDR). VOUS ÊTES À L’AISE AVEC ÇA ?
Je crois que c’est 50 minutes de métrage, 5 minutes de promos Fox et 5 minutes de pub. Mais ça reste dix minutes de plus que ce que j’ai l’habitude de produire. Le nouveau paradigme rend le boulot plus difficile, c’est sûr. Mais tant qu’on a le soutien de la chaîne…

D’UN AUTRE CÔTÉ, TOUT S’EST PASSÉ ÉTONNEMENT VITE SUR «DOLLHOUSE». VOUS INVENTEZ LE CONCEPT DE LA SÉRIE EN DÉJEUNANT AVEC ELIZA DUSHKU (EX-FAITH DE «BUFFY», NDLR), LA FOX DIT OUI DANS LA FOULÉE ET LE PILOTE EST TOURNÉ DANS LES MOIS QUI SUIVENT. UN CONTE DE FÉES, NON ?
Oui, le charme a opéré pendant la conception. C’est la naissance qui pose problème. Mais la conception est toujours plus facile que la naissance, et elle prend moins de temps. Mais oui, j’ai inventé la série par accident au déjeuner et, le soir même, j’avais la Fox au téléphone. Pendant ce temps, la ville entière cherchait un moyen de reprendre le travail… Cela dit, on rencontre déjà nos premiers problèmes de croissance : on ajuste le show au fur et à mesure, on essaye de trouver le ton, de sorte qu’on entrera dans le deuxième épisode en sachant où on va.

ET CE «WEB MUSICAL» DE 40 MINUTES, «DR HORRIBLE’S SING ALONG BLOG0», VOUS L’AVEZ VRAIMENT FAIT DANS VOTRE COIN ?
Je n’étais pas seul, j’avais quelques personnes autour de moi pour l’écrire et le diffuser. Mais ça a été financé par le studio de « Moi ». Je suis l’unique couillon à prendre un risque là-dessus. Pour la première fois, je me retrouve de l’autre côté du chèque.

L’IDÉE, C’EST DE TRAVAILLER DE PLUS EN PLUS DE CETTE FAÇON ? EN DEHORS DU SYSTÈME DES CHAÎNES ?
J’adorerais, oui. Le système est une broyeuse. Si vous avez de la chance, on vous laisse faire votre truc à l’intérieur de la machine, sinon on vous encule.Ca m’est arrivé, ça m’arrivera encore.Travailler en dehors du système confère un degré de liberté ridiculement élevé. Plus besoin de pitcher l’impitchable : « Alors voilà, c’est une comédie musicale on line à propos d’un super vilain trop timide pour parler à une jolie fille dans une laverie automatique ». Et plus besoin d’entendre : « Euh… vous êtes sérieux ? » Là, on se contente de le faire, c’est bien.

VOTRE STATUT D’AUTEUR CULTE, C’EST VOTRE ASSURANCE-BOULOT ? UNE GARANTIE POUR CONTINUER À PITCHER DES IDÉES AUX STUDIOS ?
C’est réconfortant, oui. Très souvent, je me dis que ma carrière est finie et que je vais passer le restant de ma vie à faire des apparitions dans des conventions «Buffy». Et puis je tombe amoureux d’une histoire que j’aimerais raconter. Le soutien des fans est précieux. Les studios me reçoivent et m’écoutent parce qu’ils savent que mon nom draine un public déjà acquis à la cause. Aujourd’hui, si je devais arrêter, je pourrais. Plus besoin de jouer ma vie sur chaque projet ou de paniquer à chaque fois que les financiers exigent des changements. Je me lance dans tous ces projets avec la même attitude : je le fais parce que c’est cool. Et c’est tout. Si ça signifie écrire dans mon grenier de la poésie que personne ne lira jamais, so be it.

L’INDUSTRIE A TELLEMENT LA TÊTE À L’ENVERS QU’IL EXISTE DÉJÀ UNE CAMPAGNE DE FANS POUR SAUVER «DOLLHOUSE» ALORS QU’ELLE N’A MÊME PAS ENCORE ÉTÉ DIFFUSÉE ! VOUS EN PENSEZ QUOI ?
J’apprécie le geste. Les gens sont protecteurs vis-àvis de mon travail, je ne peux pas leur en vouloir. Mais je ne crois pas que ce soit d’une grande aide. Ça positionne la série comme un canard boiteux ou une bizarrerie «de genre» destinée à quelques happy few. Elle n’est même pas encore sortie de l’usine !

«DOLLHOUSE» S’ANNONCE TRÈS CONCEPTUEL. L’INTÉRÊT, C’EST D’AVOIR UN PERSONNAGE QUI EN CONTIENT PLUSIEURS ?
Le show parle d’identité. Qu’est-ce qui dans notre personnalité nous appartient totalement ? Qu’est-ce qui nous a été inoculé par le monde extérieur, notre environnement, nos parents ? La série pose les questions les plus vieilles du monde : Qui m’a fait ? Qui suis-je ? Et que suis-je si l’on me retire ce que je considère être le fondement de ma personnalité ? Un dispositif qui se prête particulièrement bien à « déshabiller » un personnage, à le mettre à nu. Ils traversent tous une crise identitaire dans « Dollhouse », pas seulement Eliza/Echo. Pour elle, c’est juste un peu plus littéral.

C’EST DONC UN «ENSEMBLE SHOW», AUTANT QUE L’ÉTAIENT «BUFFY», «ANGEL» ET «FIREFLY» ?
Oui. Eliza est la star, le show est taillé sur mesure pour elle. Mais il est aussi conçu pour accueillir un groupe de personnages, en partie pour la ménager, qu’elle n’ait pas à apparaître dans toutes les scènes. De cette façon, l’univers de la série respire mieux. Et on contourne le gimmick qui consisterait à la faire changer de costume et d’identité à chaque épisode.

SI ON DEVAIT COMPARER «DOLLHOUSE» À UN FILM OU UNE SÉRIE DÉJÀ EXISTANTS ?
Parfois, on en parle comme de la rencontre entre « Alias » et « Code Quantum ». D’autres fois, on cite des titres comme « Memento », « A.I », « Ne me quitte jamais » de Delmer Daves… On trouve sans cesse de nouvelles références : « C’est ça ! Non, c’est ça ! C’est surtout ça ! ». Chaque semaine, on aura le suspense de savoir quelle identité assumera Echo tout en gardant à l’esprit le feuilleton de sa vie. De ses vies.

«DOLLHOUSE», COMME «FRINGE», A EU DROIT CET ÉTÉ À SA BANDE ANNONCE SUR INTERNET. QUE PENSEZ-VOUS DE CETTE NOUVELLE FAÇON DE MARKETER LES SÉRIES COMME DES BLOCKBUSTERS DE CINÉMA ?
Le trailer était pas mal… Mais la série est un drama avec un peu d’action et de tambouille SF dedans. Le problème qui se pose en marketant « Dollhouse » aussi fort est que le spectateur, en janvier, ne va pas comprendre pourquoi la série n’est pas aussi bruyante que le trailer. J’ai déjà eu ce souci avec Fox par le passé, mais c’est plus un tango qu’une bataille. Ils poussent dans une direction, moi dans une autre, et quelque part au milieu jaillit un show qui satisfait tout le monde.

EN TERME DE MISE EN SCÈNE, VOTRE EXPÉRIENCE CINÉ SUR «SERENITY» A-T-ELLE ÉTÉ BÉNÉFIQUE SUR LE PILOTE DE «DOLLHOUSE» ?
Je me contente d’être moi-même. Je pose la caméra où j’estime qu’elle doit être. Je ne suis pas très «flashy» ni particulièrement… imaginatif (il s’esclaffe). Dans ce cas précis, il s’agissait d’approcher ce monde avec douceur. Mais j’y suis allé tellement doux que je vais sûrement devoir tourner des plans additionnels pour rendre ça plus énergique. Dans la version du pilote qu’on a actuellement, je vois tous les éléments, ils sont là, mais je ne les sens pas. Et devoir cadrer pour deux échelles d’écran en même temps, c’est une tannée.

CADRER POUR DEUX ÉCHELLES D’ÉCRAN ?
Oui, cadrer à la fois pour les téléviseurs standard 4/3 et pour les nouveaux écrans 16/9 Haute Définition. Il faut rester très vague sur les contours de l’image. On ne peut plus vraiment «composer» de la même manière…

PARLONS COMICS. VOTRE RUN SUR «ASTONISHING X-MEN» VIENT DE S’ACHEVER. SANS AUCUN DOUTE LE «X-MEN» LE PLUS «WHEDONIEN» QU’ON AIT JAMAIS LU. COMMENT S’APPROPRIER À CE POINT UNE MYTHOLOGIE AUSSI ÉTABLIE ?
Le truc justement,c’est de ne pas se l’approprier complètement, au risque de saloper le boulot. J’ai écrit « X-Men », « Runaways » et le scénario d’« Alien 4 » pour une seule et même raison : parce que j’adore ces titres. Je ne pourrais jamais m’empêcher d’être moi – même si ma façon d’écrire a été grandement influencée par ma lecture des « X-Men ». Donc j’apporte à toutes ses séries mes obsessions personnelles : tout remettre à plat, sélectionner une poignée de personnages que j’aime et dans le cas des « X-Men », rendre cet univers moins tentaculaire que par le passé. Qu’il s’agisse de comics, de films ou de séries télé, j’écris toujours pour parvenir à « ce moment », celui qui vous coupera le souffle ou vous fera bondir.

VOUS AVEZ CONTRIBUÉ À L’ÉCRITURE DU «X-MEN» DE BRYAN SINGER AVANT D’EN ÊTRE ÉCARTÉ. QU’AVEZVOUS RESSENTI LORSQU’ILS ONT REPRIS DANS «X-MEN 3» VOTRE HISTOIRE D’ANTIDOTE DÉVELOPPÉE DANS «ASTONISHING X-MEN» ?
Bah. Ça fait partie du jeu et du principe de «pot commun» mis en place chez Marvel. Je ne suis pas super enthousiaste, pour ne rien vous cacher. Mais je suis plus déçu de ce qu’ils en ont fait que de ne pas avoir été payé.

«BUFFY SEASON 8», LA CONTINUATION DE LA SÉRIE EN COMICS, EXPLORE UN MONDE OÙ LA TUEUSE EST DEVENUE GÉNÉRAL D’ARMÉE ET DAWN UNE FEMME DE 50 PIEDS. AURIEZ-VOUS EMPRUNTÉ CETTE DIRECTION SI LA SÉRIE AVAIT CONTINUÉ ?
Non. Pour commencer, il n’y aurait jamais eu de saison 8 à la télé. On ne voulait plus donner, on était crevés. En comics, l’idée était de propulser cet univers hors de la vie de tous les jours pour l’emmener dans la fantaisie pure.Tout est permis, Mega Dawn inclus. Je sais que certains fans sont furieux : ils nous reprochent d’avoir ressuscité Buffy “pour le fun”. Eh bien oui, désolé…

A MES YEUX, LA SEULE FAUSSE NOTE DANS VOTRE OEUVRE EST «SERENITY», LE FILM TIRÉ DE «FIREFLY». MALGRÉ UNE ÉCHELLE PLUS GRANDE AU CINÉMA, TOUT M’A PARU PLUS PETIT…
Mmm… ça m’a paru plus petit à moi aussi. La série était chère à mon cœur. Le film était une bonne expérience en soi mais il ne produit pas le même effet, je suis d’accord. J’y apporte des réponses et une certaine forme de conclusion dont j’avais besoin, moi. Le cinéma est l’art du dénuement et de la quintessence. Comment emmener des personnages d’une scène à l’autre pendant deux heures en faisant en sorte qu’ils ne faiblissent jamais ? A la télé, on reprend son souffle sans arrêt, l’afflux de publicités impose de mettre continuellement l’action en « pause ». Et, après ça, vous faites une pause géante d’une semaine. L’approche de l’écriture est radicalement différente d’un médium à l’autre. Si vous partez d’une série aussi foisonnante que « Firefly » et que vous décidez de la boucler en deux heures de temps, vous allez fatalement vous retrouver avec quelque chose de moins satisfaisant. Aujourd’hui, j’ai tendance à regarder le film avec mépris, mais c’est mon job en tant qu’artiste.

EN FAISANT «THE FOUNTAIN» DEUX FOIS, DARREN ARONOFSKI A DU SE POSER LA QUESTION DE SAVOIR S’IL ÉTAIT UN RÉALISATEUR DE BLOCKBUSTER OU UN INDÉPENDANT. EST-CE QUE VOUS VOUS POSEZ CETTE QUESTION ?
J’aimerais savoir ce qu’a répondu Aronofski. J’adore « The Fountain ».

IL N’A PAS RÉPONDU. «THE FOUNTAIN» AURAIT PLUS OU MOINS DÉCIDÉ POUR LUI SUR CE COUP-LÀ…
Ça a toujours été mon rêve d’être un « Company Man », d’être sous contrat chez Warner par exemple, et de réaliser des blockbusters estivaux. Mais plus je m’approche de ce monde-là (il s’est retiré du « Wonder Woman » produit par Joel Silver pour cause de différends artistiques, ndlr), plus il a tendance à disparaître. En fin de compte, je crois que j’aimerais être un maverick indépendant. Pour pouvoir dormir un peu.

PROPOS RECUEILLIS PAR BENJAMIN ROZOVAS