LADJ DE GUERRE

Paru dans le numéro 127 de Technikart – 22/10/2008

APRÈS LES ÉMEUTES ET LA POLITIQUE, LE CINOCHE
Réalisateur du furieux «365 Jours à Clichy Montfermeil» en 2005, Ladj Ly poursuit son entreprise de conscientisation des masses avec le docufiction «Go Fast Connexion». Portrait d’un «enfant sauvage des Bosquets».

Certains se rendent au taf l’échine courbée. Ladj Ly, lui, voit sa vie comme une mission commando permanente. Pas un hasard donc qu’à 28 ans, ce fils de Malien, aîné d’une fratrie de treize enfants, ait réussi à se tracer un destin dans le paysage artistique français. Pas un hasard non plus si celui qui s’est fait connaître avec l’imposant 365 Jours à Clichy Montfermeil, témoignage coup de boule des émeutes de 2005, revient aujourd’hui avec ce Go Fast Connexion en forme de doigt d’honneur à tous les reportages putassiers de TF1 ou de M6 (voir ci contre). Créateur de Koutrajmé Toukos, branche brute du collectif, Ladj, alias « l’enfant sauvage des Bosquets », bâtit une œuvre cinématographiquement pulsionnelle, nourrie par une urgence sociale qui lui colle à la peau.

EXPO SUR LES MURS
Son aventure débute en 1997. Ladj, 17 ans, vient de larguer les études et découvre à peine les charmes de l’intérim quant il se retrouve pour la première fois acteur dans Clichy Montfermeil, séquence onirique réalisée par son pote d’enfance Kim Chapiron. « Je n’avais même pas compris que j’allais jouer dans un court métrage. Quand j’ai vu mon nom au générique, j’ai complètement débloqué. » Sous l’euphorie, Ladj se prend au jeu, apparaît dans plusieurs courts (les Frères Wanted, la Barbichette, etc.) et passe derrière la caméra lors de certains tournages.
Au sein de Kourtrajmé, son émancipation s’exprimera à travers des projets à la tonalité militante mais étrangement vierge de tout moralisme casse couilles. En 2004, il met sur pied une expo photos à même les murs (pourris) de Montfermeil où s’étalent, en formats géants, les visages d’habitants de la cité. Un happening fauché qui fait le tour du monde grâce au livre 28 Millimètres mais lui vaudra une plainte (aujourd’hui retirée) du maire UMP Xavier Lemoine.
Quelques mois après, caméra au poing, Ladj Ly immortalise l’embrasement de son quartier et tire de sa centaine d’heures de rushes ce reportage panoptique que l’on connaît. « Ladj est l’un des seuls à savoir filmer la banlieue sans aucune condescendance et avec une réelle puissance esthétique », analyse Mouloud Achour avec qui il vient de signer un doc sous forme de roadtrip autour du quatrième festival grolandais de Quend.

SF ENTRE LES TOURS
Disparu de la mémoire médiatique, le spectre des émeutes plane toujours sur le travail de Ladj Ly qui ira jusqu’à s’inscrire en 2008 sur une liste municipale menée par Laurence Ribeaucourt, une assistante sociale de terrain : « J’ai ainsi pu me rendre compte à quel point la politique est un milieu de crapulerie ahurissant. » Aujourd’hui, lui qui vit toujours aux Bosquets, semble être devenu le correspondant permanent de cette cité désertée par les médias. C’est lui qui a fourni le 20 octobre au site Rue 89 les images de cette bavure, survenue le soir de France Tunisie, impliquant plusieurs flics du commissariat de Gagny. Et si Ladj n’hésite pas à s’extraire de ce décor pour jouer dans Sheïtan ou collaborer à de multiples productions Kourtrajmé en Afrique ou au Brésil, il y revient toujours, notamment à travers ce projet de long métrage avec Mohamed Mazouz, de La Caution, pitché comme de la SF entres les tours de Clichy Montfermeil. La guerre des mondes, vous l’avez voulue, la voilà.

LES SECRETS DE TOURNAGE DU FAUX «DROIT DE SAVOIR»
Teaser du film «Go Fast», «Go Fast Connexion», docu-fiction sur un groupe de dealers de Montfermeil, signé Ladj Ly et featuring Charles Villeneuve, est le dernier buzz Internet de Kourtrajmé. Making-of des scènes-clés par son réal’.

00’00’’_L’IDÉE DE «GO FAST CONNEXION»
Ladj Ly: «Ce projet s’est fait à la suite de notre rencontre avec l’équipe de “Go Fast” durant leur tournage à Clichy-sous-Bois. Au départ, ils voulaient qu’on leur fasse un truc un peu naze genre “la Cité et ses talents” pour un bonus du DVD, mais j’ai réussi à leur vendre l’idée d’un film dans la continuité du leur qui évoquerait ce qui se passe une fois la drogue arrivée dans la cité. On l’a tourné en cinq jours avec un petit budget de quelques milliers d’euros. Dès le départ j’avais en tête de parodier le “Droit de Savoir” en poussant à l’extrême tous ses stéréotypes et en se situant cette fois du point de vue des dealers et non pas de celui des flics.»

00’01’’_L’INTRO DE CHARLES VILLENEUVE
«Quand la prod’ a réussi à convaincre Villeneuve de participer, on n’y croyait pas car il représentait tout ce qu’on voulait précisément dénoncer. Mais lorsqu’il nous a rejoint à La Forestière, l’un des ghettos de Clichy-sous-Bois, c’est lui qui était sur le cul devant cette misère dont il ne connaissait rien. Dans les commentaires, on a repris tous ses gimmicks – “Les banlieues sont des forteresses” où fleurissent des “eldorados souterrains” contrôlés par des “bandes organisées”. Il a joué le jeu à fond. Dans l’intro, lorsqu’il parle du cannabis, on l’entend dire que c’est un produit à “prescrire” au lieu de “proscrire”. Un clin d’œil de sa part que l’on a découvert qu’au montage.»

1’12’’_BYRON PRÉSENTE SON ÉQUIPE DE DEALERS
«Byron, qui tient le rôle du caïd, fait partie du noyau dur des acteurs de Kourtrajmé qu’on essaye de mettre en avant. Si toutes les scènes ont été écrites, il y a aussi pas mal d’improvisation de leur part. A travers ce gros plan sur une bande de dealers, on voulait réussir à capter des moments de vie, comme une sorte de dédicace aux mecs des halls d’immeuble. On les voit tourner en rond, fumer des joints, casser des trucs à force de s’emmerder. Ce côté loose, c’était aussi une manière de tourner en dérision les discours bidons comme quoi circuleraient dans les cités des milliards d’euros d’économies parallèles.»

7’30’’ ET 11’00’’_LE CONTRÔLE DE POLICE, LA DÉCOUPE DES BLOCS DE SHIT
«La scène du contrôle d’identité, si tu fais attention, tu remarques dans le premier plan qu’on est dans une Peugeot 308 et que, deux secondes après, on passe dans une Audi. En fait, ce sont des images d’un vrai contrôle de police tournées pendant les émeutes de banlieue qu’on a glissées là pour accentuer l’effet de réel. Pour celle de la découpe du cannabis après sa réception en Go Fast, on tenait surtout à illustrer le côté “gérants de PME” des dealers. Si c’est du vrai shit ? Oui et non. C’est en grande partie du savon dans lequel on a rajouté quelques vraies plaquettes.»

18’30’’_LES SORTIES CLUBBING DE BYRON
«Les dealers, même ceux qui se font de l’oseille, sont en réalité de vrais galériens sans aucun but précis. Là, Byron se casse la tête toute la semaine pour finalement aller craquer sa thune en boîte. Sa vie est un énorme mensonge: il se fait passer auprès de ses troupes pour un caïd du grand banditisme et prétend être fils de ministre quant il s’agit d’entrer dans des lieux huppés. Après ce passage, on enchaîne sur la partie la plus sombre, quand lui et Nizar, son associé, vont tabasser un mec à qui ils ont avancé du shit. On voulait créer une mauvaise ambiance juste avant de dévoiler le pot aux roses.»

21’17’’_LE MAKING OF DE FIN
«A la vue des retours, plus de la moitié des gens restent persuadés que tout est vrai jusqu’à la fin du film. On avait réalisé une première version, sans aucune voix off, qui donnait un rendu assez glauque, presque trop tendancieux. Après la polémique autour de “Stress”, on craignait de se faire une nouvelle fois épingler, que les gens ne comprennent pas et nous taxent de racisme. Mais si le making-of de fin permet de rendre le message assez clair, certains, qui ne regardent pas le film jusqu’au bout, nous laissent des commentaires haineux car ils pensent qu’on a retourné notre veste.»
«GO-FAST CONNEXION» DE LADJ LY: SUR LE NET.

ENTRETIEN VINCENT COCQUEBERT

VINCENT COCQUEBERT