Le Cluedo intello de Laurent Binet

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Laurent Binet, le romancier préféré de François Hollande revient avec un thriller mettant en scène Foucault et cie. Un régal.

Il est toujours intéressant de fouiller dans les archives d’un magazine. Ainsi, lors de la parution du premier roman de Laurent Binet – salué par les Goncourt, qui lui ont donné leur prix du débutant en 2010 –, on avait écrit dans un bas de baromètre : « Un sujet XXL, une écriture XXL ». Autant dire qu’on ne donnait pas cher de la peau de cet agrégé de lettres dans nos pages, au vu de ce pavé autour de la tentative d’assassinat du chef de la gestapo Reinhard Heydrich. Malgré tout, on avait – comme tout le monde – mis le nez dans son enquête sur la campagne de François Hollande, Rien ne se passe comme prévu, événement de la rentrée 2012 qui ne connut toutefois pas le succès du bouquin du même genre de Yasmina Réza, cinq ans plus tôt. L’histoire avec le garçon partait décidément mal et, lorsque La Septième leçon du langage (aïe, le titre…) est arrivée dans les boîtes aux lettres, l’optimisme n’était pas forcément au rendez-vous. À tort : le second roman de Laurent Binet se révèle en effet un petit régal, aussi culotté qu’ambitieux, aussi intelligent que divertissant.

Et si la mort de Roland Barthes, renversé un jour de 1980 par la camionnette d’une blanchisserie, n’était pas un accident ? Et s’il avait été assassiné avec préméditation ? Et s’il y avait eu, Mesdames et Messieurs, une conspiration derrière ça ? Avec des «si », Laurent Binet met tout le milieu intellectuel de l’époque en bouteille. Il imagine qu’en plus des six fonctions du langage définies par Jakobson, il en existerait une septième, performative, qui permettrait par la simple parole de contrôler son auditoire, et donc le monde. Barthes aurait mis la main dessus, ce qui suscite jalousies et convoitises. Qui a bien pu vouloir sa peau ? Kristeva, Derrida, Deleuze, Debray, le pauvre BHL ? Un inspecteur et un sémiologue s’associent pour mener l’enquête pendant cinq cents pages d’une course-poursuite haletante qui nous mène de Paris à Venise en passant par Bologne, un campus américain, les arrière- cuisines de la campagne présidentielle de Mitterrand et jusqu’à un sauna gay où l’on surprend Michel Foucault en pleine action.

On se souvient de la phrase de Frédéric Berthet : « Le dialogue est à peu près aussi impossible entre un écrivain et un universitaire qu’entre un mérou et le directeur d’un centre océanographique. » Un romancier peut-il écrire sur des intellectuels ? Ce diable de Binet parvient à en faire des personnages pittoresques – Sollers, notamment, en sort rhabillé pour quelques hivers… Le Logos Club, mystérieux cercle qui est une sorte de franc-maçonnerie des linguistes et des rhéteurs, ajoute un supplément d’atmosphère proche du thriller. Si Binet n’est certes toujours pas un génie du style, il est assurément un maître de la construction diabolique, ce qui fait de son livre une curiosité assez inouïe qui, tout en parlant de marottes de spécialistes, finit par loucher vers la littérature de gare. Sa Septième fonction du langage, c’est un Da Vinci Code pour doctorants en syntaxe ! Avons-nous trouvé Saussure à notre pied ? Affirmatif. Vous reste à découvrir qui est le meurtrier de cet amusant et épatant Cluedo intello…

                                                                                                                  LHDLR

Laurent Binet, La septième fonction du langage, Grasset, 495 pages, 22€