Comique ta mère

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Canal+ se lance dans la sitcom à l’américaine, drôle et rentre-dedans. Pour « H » elle fait appel aux lascars les plus déjantés des deux côtés du périph : Jamel et Eric & Ramzy. Reportage.

12h30. La Plaine Saint-Denis, 40° à l’ombre. Une queue s’est formée devant l’entrée des studios ÀB. Autour de moi, des grappes d’ados appétissantes, blacks, blanches et beurettes, pouffent de rire. Bientôt un gentil vigile nous fait avancer dans un long couloir orné des photos des stars qui firent le succès d’AB : actrices d’Hélène et les Garçons ou du Miel et des Abeilles. Nous pénétrons dans l’enfer de la société du spectacle. Je suis en sueur.
Tout a commencé parce que Canal+ a décidé de se lancer dans la sitcom adulte, à l’américaine, sexy, impertinente, caustique. Drôle. Il était temps que l’audiovisuel français marche sur les traces de Friends et Seinfeld, Spin City ou Dream On. Dans son enthousiasme, la chaîne cryptée a décidé de produire trois sitcoms d’un coup : H, une parodie de série hospitalière, Eva Mag, une satire de journal féminin, et Blague à part, l’histoire d’un comique. Comme Seinfeld ou Friends, les épisodes seront tournés en public, devant une assemblée riante et étudiante, évidemment essentielle à l’alchimie de l’ensemble. C’est du moins ce que nous explique Jérôme, le monsieur Loyal chargé de chauffer la salle.
Mes copines et moi sommes assis dans des gradins qui font face à des décors figurant un hôpital. Nous nous trouvons ici pour voir H. La série est réalisée par un vieux dinosaure de la comédie « à la française », Edouard Molinaro, et interprétée par la crème des nouveaux comiques bronzés : Jamel, tchacheur fou à Radio Nova et chroniqueur caillera à Nulle part ailleurs, et Eric et Ramzy, nouvelles idoles des jeunes et seul duo comique à mériter ce nom. La confrontation devrait être mémorable. C’est bien plus qu’une sitcom qui se tourne ici : l’accession au pouvoir d’une nouvelle génération. Autour d’eux, Catherine Benguigui, la Bécassine de Canal+, Jean-Luc Bideau et bien d’autres encore.
Le monsieur Loyal nous résume l’histoire : « C’est un hôpital, il y a des histoires d’amour, ça va déconner. Simplement, on va faire plusieurs prises pour une scène alors, pensez à rire toujours avec la même intensité ! » Flottement. « On veut les cadeaux Canal+ ! », crie une nana derrière moi.    « Ouaaaaaais ! », entonne le reste des troupes. Un peu déstabilisé, le type nous fait patienter en nous promettant des pauses-pipi et des pauses-cigarette.

Capture d’écran 2015-07-23 à 12.24.5813h30, « Aaaaaaaaaaaaaaah !  » Une clameur retentit dans le public. Jamel vient d’apparaître. Son bras paralysé toujours dans la poche. Il est suivi par Eric et Ramzy. Tous portent des blouses blanches. Soudain, Jamel et Ramzy, sortent des Mars et des Bounty. de leurs poches et les balancent dans le public avec le sourire cruel du dompteur de Lions. Re-«Aaaaaaaaaaaaaaah !», « Je pensais pas que Ramzv était si mignon », lâche une jeune panthère qui tient dans ses crocs un Mars. On crie, on les interpelle.
Aussi à l’aise qu’un boxeur montant sur le ring, les trois acteurs marchent de long en large, répondent, invectivent, les bras levés. Derrière eux, les acteurs et les techniciens observent la scène, légèrement incrédules. Comme si leur vision du métier était en train de changer. Ramzy repère une beurette qui a pour lui les yeux de Juliette. Il demande à ses copines « Elle est mignonne. EIle vient d’où ? »
« Gonesses !!! », rugissent les filles, comme si c’était synonyme de félicités éternelles. Devant tant de ferveur, on se sent con de venir de Paris. La salle est chaude.

13h50. Première scène pour Jamel, Eric et Ramzy : 5 *. Discussion dans la salle de garde. D’emblée deux impressions. 1) Le sitcom live n’a rien à voit avec le théâtre. Trop de caméras et de techniciens massés devant les acteurs pour qu’on puisse y voir quelque chose. Le public suit la scène sur des téléviseurs suspendus au-dessus de sa tête. 2) On s’en fout. On rigole franchement. Sur écran comme en vrai. Et toujours au même niveau. Monsieut Loyal doit être content. Pourtant le scénario n’a rien de transcendant. Une histoire de glandus en blouse blanche qui salivent sur les infirmières. L’êpisode d’aujoud’hui ? Ramzy a volé les timbres de collection du médecin-chef pour envoyer les cartons d’invitation à son anniversaire. On est limite chez Hélène et les Glaçon.
Seulement, voilà : les trois guignols nous font battre des mains comme des enfants. Jamel est un pur geyser comique. Son parler banlieue dérape sans cesse vers des digressions absurdes qui font mouche. Il rapproche de façon incongrue les mots avec l’air innocent du bébé pittbull qui réclame la caresse. Derrière moi, Linda veut l’adopter : « Il est si mignon. Mais pourquoi il a toujours la main dans la poche ? » Eric et Ramzy ne sont pas en reste. Le premier excelle dans ce registre doux et naïf qui plaît aux filles et qui est la marque du véritable crétin. Quant à Ramzy, long et épileptique comme un jour sans pita, il joue les bilieux autoritaires, éternelle grande gueule maladroite et éminemment sympathique.

Jamel: « Esprit d’Al Pacino, descends sur moi ! » L’équipe technique rigole nerveusement. On recommence.

 

14h30. Deuxième scène. Aucun des trois ne sait les glissières du scénario. Préfèrent improviser. Ces types sont en perpétuel dérapage incontrôlé. Des acteurs tous-terrains qui ont développé leur tchache à coups de boutades dans le RER. Entre les prises, ils continuent à déconner à longs jet sanglants. Et ne respectent rien. Avant la deuxième scène, Molinaro va dire « Moteur ». Jamel l’interrompt et, théâtral, lève la tête vers le ciel : « Esprit d’Al Pacino, descends sur moi ! » L’équipe technique rigole nerveusement. On recommence. Soudain Ramzy interrompt : « Esprit de Robert de Niro, descends sur moi ! ». Ah, ah, ah.

16h30. A foræ de déconner, l’ambiance se crispe. Jamel vient de louper plusieurs fois sa réplique. Voilà qui se jette aux pieds de Molinaro en hurlant : « Siouplaît, m’sieur Molinaro, excusez-moi ! » On reprend. Jamel se plante à nouveau, Ramzy se lance dans une grande tirade moraliste : « Jamel, tu veux devenir acteur ou rester une merde toute ta vie ? » L’êquipe technique se regarde, mi-amusée, mi-effarée. Mais qui sont ces oufs qui défient aussi légèrement toutes les règles du milieu, sa déférence fayote, son professionnalisme mielleux ?
Molinaro semble fatigué. Dans son dos, des filles commencent à chanter le tube de Titanic. Monsieur Loyal, pour les faire patienter, leur a proposé de s’exprimer. Deux cents ados prépubères entonnent en choeur le tube de Céline Dion. La scène tremble, les gradins chavirent. Le moment est magique. Du gand portenaouaque. « C’est plus bordélique que Friends » souffle mon voisin, jeune homme élégant qui a assisté à l’enregistrement de la ricaine série dans la cité des anges.

19h30. C’est terminé. Tout le monde est fatigué et repu, comme après l’amour. La dernière scène, l’anniversaire de Ramzy, était assez calamiteuse. Lampions et jolies potiches : on se serait cru dans la funeste cafétéria d’Hélène et les Morpions. C’est toute l’ambiguité de H: Jamel, Eric et Ramzy  sont mordants et stylés, mais semblent évoluer dans une de ces crétineries moutonnantes qui firent le succès d’AB Productions. Des loups dans une bergerie en carton. N’empêche. Même si la série s’avère au final moins drôle qu’au tournage, on aime à penser que ces trois-là donnent un grand coup de latte dans le cinéma comique franchouillard. Bousculent sa tradition, coincée entre le mauvais boulevard et la culture cours Florent, entre acteurs guindés et jeunes premiers hystériques. La France accédant à la sitcom à l’américaine par la grâce d’acteurs bronzés ? Le paradoxe est réjouissant. Dehors il fait moins chaud. Dans le bus qui nous ramène vers Paris, Linda se tourne vers ses copines : « C’est quand l’enregistrement de Hit Machine ? »

«H», à partir du 17 octobre sur Canal+. Sortie de la cassette vidéo du spectacle d’Eric et Ramzy le 20 octobre (Polygram Vidéo).

 

REPÈRES
LOUIS DE FUNÈS

Capture d’écran 2015-07-23 à 12.28.47Comique français sous-estimé qui s’usa la santé à force de grimaces hystériques et de pétages de plomb homériques. A joué dans *Oscar », réalisé par Edouard Molinaro.

 

SMAÏN
Capture d’écran 2015-07-23 à 12.29.01Le premier acteur comique rebeu à avoir explosé. Un pur rejeton du café-théâtre qui imposa le style banlieue sans vraiment connaître celle-ci.

 

< SEINFELD >

Capture d’écran 2015-07-23 à 12.29.12Sitcom US qui casse la baraque parce qu’il ne s’y passe rien. Ce portrait de New-Yorkais désoeuvrés dérape souvent dans l’absurde.

Télévision par Patrick Williams

 

 

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« Molinaro, je lui ai appris il y a deux jours que Louis De Funès était mort. Il était sur le cul … »

Jamel Debbouze : « Ta mère, ça se dit plus »
Année plaquée or pour Jamel : il a fait son biz dans le « KX » sur Radio Nova, embrouillé le téléspectateur à « Nulle Part Ailleurs » et traversé « Zonzon », le film de Laurent Bouhnick. Il revient sur la sitcom « H », l’improvisation et le futur. Un vrai kif.

Jamel, qu’est-ce que ça fait de travailler avec Edouard Molinaro ? Au début je flippais : Molinaro, c’est la old school. Et puis en fait, c’est une bombe : un super directeur d’acteurs qui donne des indications toujours justes. Il t’impose rien, il va dans ton sens. Pourtant, merde, c’est EDOUARD MOLINARO. Il a dirige Lino Ventura, Jacques Brel. Je lui ai appris il y a deux jours que Louis de Funès était mort. Il était sur le cul…

Dans « H », Eric, Ramzy et toi déconnez à plein tube… La comédie, c’est pas un travail pour moi. C’est un vrai kif. Avec Eric et Ramzy, ça fuse dans tous les sens. On est sur le plateau comme on est dans la vie. Aucun de nous trois n’a pris des cours. On vient des quartiers de banlieue. On joue la comédie en permanence. Quand on se faisait contrôler les papiers, on était toujours obligé de sortir une tchache. En fait, on n’est pas des acteurs. On joue à l’acteur.

Quel est ton parcours ? J’ai fait de l’improvisation théâtrale pendant sept ans. T’as jamais vu les matchs d’impros ? Y’a un maître de cérémonie, des championnats. C’est un réel duel, avec le public qui vote. C’est pas du théâtre : c’est une gymnastique du cerveau.

Tu te situes où par rapport à Smaïn ? J’adore Smaïn, mais on est très différents. C’est lui qui m’a donné envie de faire ce que je fais aujourd’hui. A l’époque, je le regardais, j’étais comme un fou. Mais les choses ont changé. On parle plus de la même manière. « Ta mère », c’est fini, ça se dit plus. Je dis pas qu’il est dépassé. C’est un super acteur. Simplement, les codes ont changé.

Comment définirais-tu ton style ? J’ai pas vraiment de style, je fais ce qui me plaît. Bien sûr, je suis rebeu, j’habite dans une cité, alors je suis catalogué. Mais si je parle des banlieues, c’est parce que je connais. Ce que j’aime, c’est l’absurde, le décalage. Je fais pas le rebeu. Je m’amuse à faire rire. C’est un vrai kif.

Entretien P.W.


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