« Le fléau de l’inceste reste tabou en France »

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Dans son récit autobiographique, larchitecte Mathilde Brasilier revient sur un passé extrêmement douloureux. Elle évoque une enfance volée, une petite fille de 5 ans violée comme son frère. Le violeur était leur père. Il y avait le jour, il y avait la nuit, il y avait linceste est un livre saisissant et important qui ose aborder un fléau persistant. En France, il existe officiellement 2 millions de personnes concernées.

Le 12 mai dernier, l’Assemblée nationale a adopté un amendement à la proposition de loi sur la protection de l’enfance pour réintroduire le crime dinceste dans la loi. Votre sentiment sur cette avancée ?
La plupart des pays européens l’avaient déjà inscrit depuis longtemps. Je constate que la France était très en retard sur ce sujet…

Comment lexpliquez-vous ?
Sur un plan culturel, l’inceste est beaucoup plus tabou que le viol. Alors qu’il s’agit d’un viol in fine. Notre pays reste bizarrement rétif quand il s’agit d’aborder cette question. Le paradoxe français : beaucoup de viols se passent en famille et en même temps, l’inceste, on ne veut pas en entendre parler. D’ailleurs, je remarque que cette loi, votée à l’unanimité n’a pourtant pas fait l’objet d’un sujet dans les divers JT et aucune émission de télé n’a relaté le sujet ! Le fléau de l’inceste reste tabou en France.

Pourtant ce fléau existe bel et bien…
Oui, d’après les sondages, il existe 2 millions de cas en France recensés. Il y a donc 2 millions de personnes qui osent en parler. Je pense qu’il existe une large part qui ne veut ou ne peut pas en parler. Car un bon nombre de ces victimes finissent pas se suicider.

N’y a-t-il pas eu une sorte de complaisance concernant ce sujet-là ?
Oui, car contrairement à ce qu’on pense, c’est souvent dans des milieux favorisés que cela se passe.

Vous-même, vous êtes issue d’un milieu plutôt favorisé…
Effectivement. Je suis née dans le VI ème arrondissement de Paris. Je suis issue d’une famille parisienne connue. Mon père était architecte Prix de Rome.

Dans votre livre, vous avez décidé d’évoquer ce drame familial. Comment est née cette décision ?
J’avais décidé de faire ce travail à la faveur de ma rencontre avec Catherine Dolto en 1992.

Comment Catherine Dolto est venue vers vous ?
En connaissant mon histoire, notamment le suicide de mon frère survenu en 1985. Elle a perçu une douleur en moi. Elle m’a proposé une thérapie d’haptonomie : une thérapie par le touché. L’idée était de comprendre pourquoi j’étais insomniaque depuis l’âge de 8 ans. Elle a jalonné ce terrain de l’enfance pendant assez longtemps et d’un coup, j’ai vécu le souvenir de ces viols via diverses séquences.

Vous aviez oublié tout ça ?
Oui, totalement. J’ai vécu une vie « normale » pendant un temps. J’étais mariée, architecte, j’ai eu deux enfants mais je m’interrogeais beaucoup sur les circonstances et les causes du suicide de mon frère et de cette insomnie persistante notamment. Depuis l’âge de 8 ans, on m’a administré des somnifères, notamment du Valium.

Combien de temps a duré ce calvaire ?
De l’âge de 5 à 10 ans. Tout cela s’est arrêté net quand, lors d’une séquence, mon frère et moi avions réussi à lui échapper. Après cet épisode, mon père a pété les plombs. Il s’est fait interner pendant six mois et n’a jamais récidivé.

Finalement, cette amnésie vous a en quelque sorte sauvée ?
Oui mais pas mon frère qui lui n’était pas amnésique. Il s’est suicidé en 1985.

Aujourd’hui où en êtes-vous ?
Je vais bien. Je prends toujours des somnifères. Il n’y a pas un soir où je m’endorme sans voir auparavant l’image de mon père. Ne serait-ce qu’un quart de seconde.

Propos recueillis par Sylvain Monier

Il y avait le jour, il y avait la nuit, il y avait linceste de Mathilde Brasilier (éd. Mélibée)