LE PALAIS CONTRE-ATTAQUE

Paru dans le Hors-Série Art de Technikart – 10/10/2008

Backstage au Palais de Tokyo avec son directeur Marc-Olivier Walher et Thierry Taittinger, nouveau membre du comité d’administration et patron de «Beaux-Arts magazine». On parle bilan, gestion et directives, la veille du vernissage de l’exposition «D’une révolution à l’autre», la carte blanche offerte à l’artiste londonien Jeremy Deller.

Conservateur du musée des beaux-arts de Lausanne, créateur d’un centre d’art contemporain à Neuchâtel, Marc-Olivier Walher a participé à la mise en route du MAMCO à Genève puis a dirigé pendant six ans le Swiss Institute-contemporary art à New York. C’est le cow-boy suisse de l’art contemporain. Et comme tous les cow-boys, il aime les challenges et les grands espaces : « Avec lui, on est en même temps dans le cosmique et les alpages. Il a une approche des arts interplanétaire et suisse à la fois, c’est mon rocker helvète préféré », lance Thierry Taittinger, fan de rock et, apparemment, de Wahler. Depuis qu’il a repris les rennes du Palais de Tokyo en février 2006, succédant au tandem Sans-Bourriaud, Marc-Olivier tient à défricher les interstices de l’art, traverser et briser frontières et catégories. Pour lui, l’art contemporain est une perturbation des habitudes, un trouble du confort, une matière organique. Son credo : le cross over et l’interpénétration des cultures, des genres, des marges. Son programme : production-exposition-promotion.

 

OPTIMISME RÉACTIF
Quand on lit la presse, rien ne va plus pour la création artistique française : artistes invisibles sur la scène et le marché international ; manque de connexion entre les acteurs du monde de l’art ; paupérisation de la critique ; retard colossal en matière de mécénat, etc. Pourtant, quand on écoute Marc-Olivier Wahler, on se sent tout de suite beaucoup mieux : « Je suis très confiant quant à la situation de la France et à son rayonnement à l’international. Elle développe son propre dynamisme, sa propre identité avec une nouvelle génération d’artistes très énergique et suffisamment forte pour être présente partout. Nous appartenons à la globalisation, il n’y a pas une exception culturelle française ! Je pense que l’art français n’a pas à être défendu mais qu’il faut juste savoir en faire la promotion. » Le grand Suisse balance un sourire et enchaîne : « Dans cette perspective, le Palais de Tokyo est un outil de travail efficace pour les artistes car il est centré sur la production de pièces souvent monumentales qui ont une réelle répercussion sur le plan international. C’est une plateforme active. Je pense par exemple au projet monté avec Raphaël Siboni et Fabien Giraud cet été. Grâce à l’expo, ils étaient à la biennale de Santa Fe et sont aujourd’hui invités au New Museum de NY. Pourtant, ils sont jeunes, vivent à Paris et n’ont pas de galerie ! »

MÉCÉNAT ET SYSTÈME D
Pas de production sans argent, sans contact, sans réseau. Walher l’a compris depuis longtemps, fort de ses expériences curatoriales suisses et américaines : « Aujourd’hui, il faut un relais du privé, c’est un mal nécessaire. Plus de la moitié du budget du Palais provient de financements privés. Le mécénat nous permet d’être souple, autonome et ultraréactif. C’est notre force. Ça nous permet de prendre des risques, de relever des challenges, comme celui de programmer le Dump de Christophe Büchel. On trouve des solutions. On le fait pour les artistes. » En complément, Marc-Olivier Walher, décomplexé du lobbying, affûte ses réseaux à l’étranger. En première ligne, les chalets de Tokyo qui labellisent et dispersent l’esprit du Palais dans le monde entier. « Ce sont des endroits où l’on passe quand on a du temps ou que l’on prête à des amis. Le prochain se fait à Naples dans un appartement, chez un curateur. Et j’ai le projet d’en réaliser un à Tokyo. » Quand ? « Pas d’agenda fixe, mais de la réactivité et de la spontanéité. Tout dépend des rencontres et des contacts engagés. » S’entourer, Walher sait faire. Le comité d’administration du Palais est d’ailleurs à l’image de sa politique : transcatégorielle. Catherine Breillat, Charlotte Gainsbourg ou Maja Hoffmann, la grande mécène suisse, « apportent feedback et input sur le programme en même temps qu’un large panel de contacts. C’est donc important, préciset-il, de ne pas avoir que des artistes d’art contemporain “rain-rain” dans le comité administratif. » Thierry Taittinger est plutôt d’accord : « Pour ma part, je souhaite contribuer au rayonnement de l’institution à travers la mise en place de partenariats dans le cadre du Tokyo Art Club, qui est un lieu d’échanges privilégiés entre les acteurs du monde de l’art et ceux de l’entreprise. Après, en tant que patron de Beaux-Arts magazine, je supporte, au sens anglais du terme, toutes les expositions qui se font. » Taittinger est à fond : « Ce qui est génial au Palais, c’est qu’il n’y a pas d’art mineur. Personnellement, je m’intéresse à la culture rock. Ici, on lui donne une large place. Dans la nouvelle exposition d’ailleurs, toute une partie est consacrée aux archives du Golf Drouot, à ce temple de la rock’n’roll attitude à la française. » Puis, il dévie sur LOVE, ce groupe mythique des 60’s ou sur la scène folk française et Herman Dune. Impossible d’arrêter la machine. Le chef d’entreprise est « un rocker frustré » incollable et intarissable sur la matière rock. (lire Un enfant du rock, Gallimard, 2008). Le cow-boy suisse dégaine : « On dit que l’art contemporain est complexe, certes, mais la grande chance que l’on a aujourd’hui pour sa démocratisation vient des références utilisées par les artistes, qui ne sont plus seulement des renvois à l’histoire de l’art mais à la culture populaire, à la science fiction, etc. On le voit très bien dans l’expo “curatée” par Deller. »

2009, ANNÉE MAGNÉTIQUE
Walher et son Walherboroug ont choisi de brancher la programmation 2009 sur une ligne haute tension. Trois grands chapitres sont prévus pour l’année prochaine. « A travers eux, on va s’interroger sur l’idée d’une dynamique au sens physique du terme, explique-t-il. Le premier grand rendez-vous tournera autour de l’électromagnétisme. Quatre artistes invités : Roman Signer, Ceal Floyer, Laurent Grasso et Micol Assael questionneront, dans quatre expositions personnelles, les possibilités de cette oscillation permanente entre deux pôles opposés. Une fois de plus, l’épisode donnera le ton des modules, des jeudis, des conférences et des concerts. » En parallèle, Walher développe de nouveaux modes d’expositions et exploite tous « les interstices du Palais » avec des performances sur le répondeur téléphonique ou sur le web. Le deuxième chapitre s’appelle le Chasing Napoleon, sous-titré « comment construire une centrale nucléaire dans son jardin ». « Il s’agit d’artistes qui développent une société autonome et des instruments de défense, un peu comme Unabomber. Je vais reprogrammer Christophe Bü chel ou Micol Assael pour montrer une autre facette de leur travail. » Enfin, le troisième volet sera une carte blanche offerte à l’artiste Charles Ray : « Une très grande expo est prévue sur les notions d’espace et d’objet allant de la sculpture sumérienne à John Mac Cracken en passant par Giacometti, Caro ou Jude. »

«POMPIDOU-ALMA», LE HAPPY END !
Finalement, tout le monde est content. Christine Albanel a confirmé l’installation en 2011 du « centre Pompidou-Alma » dans les 15 000 m 2 vacants des sous-sols du palais de Tokyo. Trente millions d’euros seront débloqués par l’Etat pour cet espace d’expositions dédié aux artistes confirmés de la scène française. Marc-Olivier Walher qui craignait une amputation de l’autonomie et de la liberté d’action du Palais de Tokyo, a été rassuré. « L’inquiétude ne venait pas de Beaubourg mais de la situation. Déjà affectataire des lieux, Pompidou aurait pu en devenir également le locataire et être en somme juge et partie. Il faudrait qu’un transfert d’affectation du bâtiment soit mis en œuvre pour que la cohabitation entre le Palais et Pompidou soit saine et sereine. » Olivier Kaeppelin, délégué aux arts plastiques, a justement été missionné pour trouver les solutions adéquates quant au statut juridique des deux entités. Une gouvernance pleine et entière s’ouvre-t-elle au Palais de Tokyo concernant ses espaces ? « No limits but there is a future ! », conclut Taittinger.

JULIE ESTÈVE