LE RETOUR DE BLUR : «C’EST COMBIEN DE CARACTÈRES, UN TWEET?»

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Les (autres) frères ennemis de la Britpop, Damon Albarn et Graham Coxon de Blur, sont de retour avec un nouvel album, The Magic Whip, sorti 16 ans après leur dernier ensemble. Interview Hibernatus donc.

Technikart : Ça fait bizarre de vous retrouver en promo pour un nouvel album. Damon, vous disiez en 2012 qu’il n’y aurait jamais un nouveau Blur. Et Graham, Pitchfork comparait votre départ du groupe en 2002, à celui de Brian Jones des Rolling Stones…

Damon : Heureusement que ça ne s’est pas fini pareil pour notre cher Graham, noyé au fond d’une piscine.

Vous tournez de nouveau ensemble depuis 2009 mais sans nouveaux titres. Vous avez eu peur de finir comme les Stones ? Un groupe de stade qui joue son best of ?

Damon : Nous tournions avec nos anciens titres tout simplement parce que nous n’avions rien de nouveau à proposer. Nous avons sorti deux inédits en juillet 2012 (The Puritan et Under The Westway, ndlr.), mais c’était pour accompagner ce gigantesque événement qu’étaient les Jeux olympiques de Londres. On se laissait porter. Un jour en Amérique du Sud, un jour à Djakarta, et un jour… Hong Kong. Date annulée, visite en studio, album enregistré. C’est aussi simple que ça.

Graham : C’était ton idée, d’aller en studio. Une idée un peu folle sur le moment. Je ne l’avais pas vue venir.

Damon : Le studio était plutôt naze d’ailleurs (Avon Studios à Kowloon, merci pour eux, ndlr.), on ne voulait pas y passer trop de temps. Tu y allais, tu avais immédiatement envie d’en sortir. Mais as-tu besoin de confort quand tu bosses ? C’est la raison pour laquelle très peu de groupes sortent encore de bons albums à ce stade de leur carrière. Le studio est confortable, l’enregistrement est confortable, et la musique devient confortable. Tu remets tout au lendemain. Tu préfères aller au spa.

Il y en a un très beau ici… (l’interview se déroule dans un luxueux hôtel parisien, ndlr.)

Damon : Oh, pour les journées promos, c’est OK ! (Rires.) Je choisis les hôtels en fonction de ça. Et le reste du temps, on est là, à vous parler de ces choses qui n’existent pas vraiment, comme la signification de la ligne de basse du couplet du troisième titre.

Allons-y alors ! Thought I was a spaceman, c’est votre Ziggy Stardust ?

Damon : Dès que tu parles d’espace dans une chanson, les gens pensent à Ziggy Stardust. Disons que l’album a un peu de David période Berlin en lui. Ce n’est pas une évidence, mais il y a de l’ADN en commun.

Et Ong Ong, c’est votre hommage aux Kinks ?

Damon : Euh, j’imagine.

Vous les écoutiez en studio ?

Damon : (Il coupe.) J’écoute les Kinks depuis 25 ans.

Graham : Je vois ce que tu veux dire. Je découvre encore des choses que je ne connaissais pas dans la musique des Kinks. Ce que j’aime chez eux, c’est cette vibe, très sixties. Tu t’imagines sur une plage aux Bahamas en écoutant leur musique. Et sur cette plage, il y a Ray Davies, mais aussi Kevin Ayers. Et tu prends le soleil ! (Rires.)

Damon : Je suis allé voir la comédie musicale sur les Kinks cette semaine, celle coécrite par Ray Davies (Sunny Afternoon, au Harold Pinter Theatre à Londres, ndlr.), il y raconte comment le groupe n’a pu jouer aux États-Unis pendant quatre ans, et comment ça leur a porté préjudice. J’avais de la pitié pour lui. Il ne fait que se plaindre, tout le temps.

Graham : Le cliché du musicien grincheux !

La presse anglaise se plaint de la qualité de la scène musicale du pays en ce moment. Il paraît qu’on s’ennuie chez vous.

Damon : J’étais aux Brit Awards. Eh oui, c’était déprimant. Si j’étais un astronaute, comme dans notre chanson, et que cela devait être ma première rencontre avec l’espèce humaine, je repartirais aussitôt.

Pourquoi, précisément ?

Damon : Quand nous étions jeunes, la pop music avait un sens. Elle comptait réellement pour quelque chose.

Graham : Regarde un mec comme Billy Bragg. Il raconte des choses, avec intelligence, dans ses chansons. Aujourd’hui, plus personne ne fait ça.

Damon : Aujourd’hui, c’est platitude sur platitude. Mais j’imagine que c’est à l’image de notre époque. Aujourd’hui, tu vas voir un groupe, et tu passes le plus clair de ton temps à filmer le concert, puis tu le partages sur Internet. Comme un « lifestyle totem » : « Regardez, tout ceci est moi, m’aimez vous ? » Mon Dieu ! Avec Facebook et Twitter, une sorte de conscience artificielle se développe, et je la regarde comme un alien. Un alien déprimé.

Blur s’est séparé en 2004, un an après la sortie de Think Tank (album enregistré sans Coxon, ndlr.) La même année, James Blunt sortait son premier album.

Damon : Moui ?

Vous regrettez de ne pas avoir été dans les parages ? Pour, euh… Riposter ?

Graham : You’re Beautiful de James Blunt est sans doute le point de départ de cette immense vague d’ennui. C’est sûrement la chanson qui a changé les choses. Cette musique est trop… Douce. C’est ce que font les artistes aujourd’hui : des reprises de grands classiques, mais de la façon la plus douce possible. C’est effroyable. Mais je dois dire que j’aime assez James Blunt. Pas sa musique, mais le mec.

Il est plutôt drôle.

Damon : James Blunt ? Vraiment ?

Oui. Sur Twitter, il a du répondant.

Graham (se tournant vers Damon) : Il n’avait pas dit un truc vraiment idiot à ton sujet ?

Damon : Rien à battre. T’as combien de caractères pour écrire un tweet déjà ?

140.

Damon (dédaigneux) : Mouais.

Vous êtes à l’aise avec l’idée de vieillir ?

Damon : On ne peut pas y faire grand chose tu sais. On apprend toujours. C’est ça être humain. Apprendre à accepter l’idée que rien ne dure pour toujours, et qu’un jour, tu deviens obsolète.

Graham : Mais c’est compliqué de s’en rendre compte. Beaucoup de groupes et d’artistes jouent encore, alors qu’ils auraient du arrêter il y a longtemps.

Mais on ne le sait pas, quand on devient un vieux con. On ne s’en rend pas compte.

Graham : C’est tout le problème. Je suis certain que cet album a du sens, en 2015. (Il réfléchit)… Enfin, presque certain !

Damon : On en revient à cette idée de confort. Si tu es trop à l’aise, mentalement ou financièrement, cette chose qui fait de toi un artiste, qui te fait avancer, s’évanouit. L’argent, c’est génial pour tout le reste. Mais pas pour l’écriture. Tu dois garder un sentiment de danger. Toujours.

Propos recueillis par Nico Prat

The Magic Whip, sortie le 27 avril (Warner)