Tout le monde m’appelle Suzy – Chapitre 1

Attachment-1

Chapitre 1 :

-Biscotte, qu’est-ce qui vous fait dire que vous êtes un bon flic ? -Je ne sais pas. Je dirais…ma détermination.
-Vous croyez ?

-Et bien, comment vous expliquer ? Lorsqu’une affaire me tombe dessus, c’est un peu comme l’amour….Un genre de coup de foudre…quelque chose qui me dit que cette affaire est pour moi…

-Et vous ne la lâchez plus, n’est-ce pas ?

-Oui, vous avez raison. Lorsqu’on aime, on aime vraiment. Ca ne s’explique pas.

-Et vous avez toujours ressenti ce genre de chose ?

-Je crois. Tout commence par un dépôt de plainte…La personne ne sait pas trop où poser les yeux. Elle est silencieuse, vous comprenez. Un silence absolu. Cela ne dure que quelques secondes avant de démarrer l’entretien. C’est à ce moment précis que je contemple la sincérité des mains. Il y a ce que j’appelle une nervosité au niveau des doigts. Comment vous dire…Au début, la personne affiche une assurance radieuse. Mais imperceptiblement, la paume se rétracte. La tension s’installe. Et les phalanges se figent. Mon cœur bat alors sur le même tempo que son index. C’est alors que je sais….

-Pardon, je ne vous suis pas ?
-Et bien je sais que cette affaire sera pour moi.

Séance Biscotte le 17 août 2007

*****

Lorsqu’elle entre dans le bureau de Biscotte, il finit l’aile d’un avion. Un joli supersonique, voué à un atterrissage forcé venant rejoindre une escadrille entière de papier entassée dans une jolie poubelle à l’angle de son armoire. Accouplé d’abord au cul de sa souris, il lui a suffit de quelques clics pour régner sans partage sur tous les jeux pourris. Puis il a regardé sa messagerie. Zéro message. A peine a-t-il constaté le désastre, qu’il s’est crée 5 nouveaux contacts, s’additionnant aux deux cents autres précédents. Ensuite il a chaté grâce à cette nouvelle liste. (Inventée de toute pièce.) Biscotte n’a pas d’ami…Seulement voilà, lorsqu’on s’emmerde à longueur de temps, il faut bien trouver quelque chose. D’où la création d’avions en papier. (Pas plus idiot que les vidéos débiles qui circulent sur le net.) Mais à 10 h 30 précises, son programme, (ultra chargé) est bouleversé. Une hystérique hurle dans son bureau :

-Mon Dieu, mais c’est un scandale !!!! Vous pensiez peut-être m’empêcher de porter plainte ?

Biscotte est consternée. Par réflexe, il a détruit son dernier prototype.

-Il l’a tuée, répète-t-elle en colère. Je vous dis qu’il l’a descendue…

-Possible, mais vous, vous venez de descendre mon Rafale.

Une conversation plutôt musclée dont les premiers échanges ne déstabilisent pas cette femme. L’inspecteur entrevoit en un éclair le regard de haine.

-Ca m’est bien égal, vous comprenez.

Elle dit cela en élevant le ton. Et ajoute en serrant les dents :

-Je vous préviens, la prochaine fois, votre rafale ne sera plus qu’un mirage….

Biscotte est halluciné. Pourtant ce matin, son assistant l’avait prévenu :

– Tenez, un café, vous en aurez bien besoin. Elle est revenue… »

-Qui ça ?

-La femme qui a perdu son chien.
-Oh non ! S’il vous plaît, Guillaume, faites la patienter…

C’est alors qu’il a filé à son bureau. Dans un dernier sourire, son assistant a essayé de lui dire :

-Mais, il s’agit de Madame Friquet ? Vous savez, la femme du plus grand industriel de France ?

-Pardon ?

Aussi bizarre que cela puisse paraître, Biscotte n’en a jamais entendu parler. Guillaume a écarquillé les yeux. Il avait l’air si étonné de le voir réagir ainsi qu’il a pensé tout à coup : « c’est une blague ! » La fatigue, peut-être ? Mon œil. L’inspecteur ne faisait pas exprès. Seulement, s’il ne connaissait pas les Friquet, pas facile de lui expliquer que le député-maire lui-même veillait personnellement à cette affaire.

-Excusez-moi, Monsieur l’inspecteur. Permettez-moi d’insister mais c’est le chien de la famille Friquet et…

-…Je vous en prie Guillaume. J’ai du travail qui m’attend.

Il est parti aussitôt en courant. Une heure plus tard, voilà que cette femme fait irruption dans son bureau :

-Pas pu faire autrement, Monsieur l’inspecteur.

Biscotte lance un regard un peu exaspéré vers Guillaume.

-Soyez gentil, laissez- nous.

Il n’a plus qu’à écouter Madame Friquet.

-C’est lui, je vous dis que c’est lui…

Madame Friquet trépigne. La veille, elle a tout raconté à son assistant. Son mari a simulé un accident. Elle tient dans la main un code pénal. Tout est écrit :

– Selon l’article R-655-1, la mort d’un animal domestique est punie d’une amende de 1500 euros. Et selon l’article 521-1, les sévices graves sur un animal domestique sont punis de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.

Elle verdit.

-Le doute n’est plus permis, Monsieur l’inspecteur : mon mari est un assassin.

Biscotte objecte :

-Mais c’était un accident, non ? Un cycliste sur la route. Et votre chien a aboyé. C’est bien ce que vous m’avez raconté…

-Vous y croyez, vous ?

Brève affirmation de l’inspecteur :

-Bien sûr. Une minute d’inattention et vous vous retrouvez dans le fossé.

Et là, un nouvel élément :

– Avez-vous lu le rapport d’autopsie du vétérinaire ?

Elle cherche dans son sac. Mais ne trouve rien.

-Mon Dieu, je vous assure. Je l’ai pourtant pris…

Le regard qui s’appesantit sur elle se teinte d’une compassion interrogative.

-Ah!Oui?

Stress.

-Je vous dis que oui.
-Vous êtes sûre ?
L’inspecteur sort un dossier.
-Bon, reprenons, Madame Friquet.

Il lâche cette phrase avec une extrême lassitude. Depuis quelques mois, il n’est plus un vrai flic. On l’a foutu dans une voie de garage. Il bosse dans la rubrique des chiens écrasés. Fini les délinquants et les trafiquants. Désormais, il s’occupe des femmes en détresse.

Votre mari aurait commis des tortures sur un animal domestique avant de l’assassiner. C’est bien ça ?

-Oui, parfaitement.

-Et bien, soyez plus précise.

-J’ai eu un curieux pressentiment, voyez-vous. Parce que la veille, mon mari était très en colère. On lui avait mis une contravention de 150 euros pour déjection canine. Vous comprenez, Monsieur l’inspecteur ?

Madame Friquet s’explique d’un air pincé. Suzy serait morte d’une hémorragie cérébrale. Le rapport d’autopsie indique de graves lésions cutanées. Il parle de brûlures au troisième degré, comme si son chien avait été foudroyé.

-Vous vous rendez compte ?

Elle porte la panoplie habituelle de la banlieue ouest : collier de perles et serre- tête. C’est une habituée. En 24 heures, elle est venue trois fois. (10 heures, 12 heures, 16 heures.)

-Il y a eu d’abord ce comportement bizarre. -De quoi parlez-vous ?
-Suzy ne regardait plus son feuilleton préféré. Biscotte enfonce le clou :

– Ah oui, vous avez raison. Lorsqu’un chien en arrive à ce stade, on peut se dire qu’il y a un sacré problème.

Elle poursuit comme si de rien était :

– Alors, mon mari a pris son véhicule. Forcément, il a eu un accident. Et vous savez pourquoi ? Parce qu’il voulait s’en débarrasser.

Biscotte écoute d’une oreille distraite. Difficile d’admettre qu’il est devenu une assistante sociale. Son boulot l’ennuie. Il en est réduit à dialoguer avec les familles pour leur éviter le divorce. Le chien fait partie du chantage. Et il en a la preuve :

-Dites-moi, Madame, Suzy est votre chien ou le chien de votre mari ?…

En principe, la femme ne trouve rien à répondre. C’est alors qu’il ajoute :

…car si c’est le chien du couple, je serai également obligé d’enquêter sur vous. La plupart des femmes décideraient aussitôt de ne plus porter plainte. Ce

n’est pas le cas de Madame Friquet. Elle persiste dans ses accusations.

-Mon mari est un psychopathe.

Le ton monte.

-Je crois que vous ne comprenez pas la raison de ma présence. Il est malade.

C’est la première fois qu’il voit ça. Une bourgeoise au bord de la crise de nerfs.

-Je vous en prie convoquez-le et débrouillez-vous pour qu’il passe aux aveux.

(Vraiment pas froid aux yeux ! Encore un peu et elle lui explique ce qu’il a à faire, maintenant.)

-Je crois qu’il serait temps pour lui de reconnaître sa culpabilité, non ?

Biscotte n’en peut plus. Il décide de clore l’entretien :

-Ah oui ? Mais il me manque une pièce importante au dossier, Madame… -Pardon ?
-Le rapport d’autopsie.
Madame Friquet n’en démord pas.

-Je vous dis qu’il était dans mon sac.

Soudain il a une proposition à lui faire :

-Je vous promets, Madame, que j’en parlerais à votre mari mais à une seule condition…

Biscotte enchaîne :

-Si vous quittez mon bureau immédiatement.

Sur quoi, l’inspecteur la raccompagne à la porte. Affaire classée !!! Une fois seul, il rallume son ordinateur. A sa grande surprise, il découvre qu’une autre plainte a été déposée sous le même nom : une dénommée Framboise Friquet aurait disparu de la clinique des Fleurs. Aussitôt, il se lève et traverse le couloir. Guillaume le renseigne :

-C’est exact, Monsieur l’inspecteur. Hier à 12h00, le professeur Pathos est venu signaler une disparition. Il s’agit de l’héritière la plus riche de France.

-Quoi ! Vous voulez dire que Framboise Friquet serait la fille de Madame Friquet ?

-Oui, évidemment.

Cette découverte le laisse sans voix. (Puis digérant sa surprise, il ajoute)

-Et ça ne vous gêne pas de me prendre pour un con ?

L’assistant baisse la tête. Pendant qu’il regarde ses pieds, l’inspecteur s’interroge. Comment se fait-il qu’on ne lui en ait pas parlé ?

Admettons que ses collègues croient à un enlèvement. A leurs yeux, seul le silence préserverait la victime d’un assassinat. Supposons donc qu’ils décident de ne rien communiquer, même à la presse, une question se pose : peut-on oublier d’informer la famille ? Peut-on imaginer que Madame Friquet ne soit pas au courant de la disparition de sa propre fille ?

Objection, elle en est informée mais elle préfère ne rien dire. D’accord, mais dans le cas de cette femme, ça parait peu probable. Son côté commère rend cette hypothèse plutôt fragile. A moins qu’elle en ait eu l’interdiction. Mais par qui ? Ses collègues ? Oh mon Dieu ! Seraient-ils allés jusque-là ?

Ses yeux se posent sur son assistant. Guillaume fourre ses mains dans les poches, ennuyé. Il ne peut lui en dire plus.

-C’est un ordre du commissaire.

Biscotte encaisse.

– Rassurez-vous, j’avais compris.

Conclusion : On l’a vraiment mis au placard.

L’inspecteur se retire. On veut lui en faire baver. Il traverse le couloir. Arrivé dans un cagibi, il aperçoit une table à moitié bancale. C’est désormais son bureau. Il n’y a pas de fenêtre. Si on décide de ne plus l’informer des affaires courantes, pourquoi ne pas le virer ? Pourquoi ses collègues préfèrent-ils tourner la tête lorsqu’ils le croisent ? C’est lié au commissaire. Le commissaire Sanglier. C’est quasiment sûr : Biscotte est dans le viseur du commissaire divisionnaire. Mais alors, pourquoi le garde-t-il ? Pour la seule jouissance de mâter un insoumis quand ça lui chante…

-Eh bien, ça ne marchera pas avec moi, déclare tout fort Biscotte, en se croyant seul.

Quelqu’un est assis dans l’obscurité. Il allume l’interrupteur, va pour saluer. Et là, …Madame Friquet se retourne les mains crispées.

-Je sais que c’est difficile à croire. Vous me prenez sûrement pour une folle. (Décidément, il y a certaines personnes qui comprennent vite.) Exaspéré

Biscotte lui crie dessus :

-Qu’est-ce qui vous prend de m’attendre ainsi dans mon bureau ?

– Ne vous énervez pas, Monsieur l’inspecteur. Si je suis revenue, c’est que j’ai quelque chose d’important à vous montrer. Regardez, c’est le rapport du vétérinaire. La pièce maîtresse du dossier, n’est-ce pas ?

Elle ne lui pose la question que pour attirer son attention. Réussi. Biscotte écoute calmement.

-Suzy souffre d’hémorragies sous- cutanées. Le vétérinaire a noté des brûlures au troisième degré et une destruction des plaquettes sanguines. Il s’agit bien des symptômes dont je vous avais parlé.

-Et alors ?

-Ecoutez la suite. Un peu plus loin, le vétérinaire indique un problème avec les radios.

-Comment ça ? Une panne ?

-Non. Les clichés ont bien été pris. Mais une grosse tâche blanche est apparue. Tenez c’est dans le dernier paragraphe…Le vétérinaire dit que ce n’est ni une erreur, ni une surexposition. L’appareil a été parasité par des radiations…Hypothèse: Suzy aurait été contaminée par des radiations nucléaires. C’est écrit.

Elle fixe le sol de longues secondes. Puis dirige son regard sur Biscotte :

– Vous me comprenez ?

L’inspecteur est méfiant. Ce sont les effets d’une radiation nucléaire, maintenant, qui auraient assassiné Suzy ? L’inspecteur met cette aberration de côté et préfère vérifier. Rien ne prouve que cette femme n’ait pas falsifié les écrits de l’autopsie. Lorsque Madame Friquet se lève, et laisse tomber le document, elle a l’air désemparée. De la main gauche, elle montre la pièce à conviction. L’index devient prophétique. C’est alors que Biscotte se dit qu’il pourrait ouvrir une enquête. Avec une certaine nervosité, il ramasse les feuilles éparpillées sur le sol. Sa pensée s’envole vers Suzy, vers cette pauvre victime…Des mois qu’il n’a pas eu un vrai boulot. Prudence. Madame Friquet ne doit pas savoir le fond de sa pensée. (Elle n’hésiterait pas à assiéger son bureau.)

-A bientôt, dit-il discrètement. Je vous tiens au courant.
Une fois seul, il essaye de joindre la clinique. Mais la nouvelle lui arrive en

pleine poitrine :

-Désolé, je ne peux vous transmettre l’appel. -Pourquoi ?
Le vétérinaire est mort.

Biscotte raccroche, encore sous le choc. L’homme était en bonne santé. Deux disparitions dans la même journée, c’est troublant. Mais dans l’enquête de Biscotte, c’est plutôt inespéré.

C’est le 18 août 2007 à 16 h 00.