Le slow-romantisme va-t-il triompher de Tinder ?

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Marre de vivre dans un monde où le désir sert surtout à alimenter la consommation ? Le slow-romantique Chatelard aussi. Il nous explique en quoi et pourquoi :

Vivons-nous comme l’annoncent certains une période de déclin menant droit vers le chaos ? Assis en face de nous à la terrasse du Café Cassette de la rue de Rennes par une belle matinée de mars, Alexandre Chatelard se méfie des faux prophètes. Droit dans sa veste, lisant l’avenir dans son thé, il prévoit à l’inverse une renaissance : « J’ai longtemps été en guerre contre notre époque. Maintenant, je me mets à l’adorer. L’histoire n’est pas écrite à l’avance, il va se passer plein de trucs. Je ne retrouve pas chez les gens de 20-25 ans la résignation des trentenaires, et, avec tous nos moyens de communication, l’intelligence peut être contagieuse. De nouveaux bâtisseurs vont arriver. »
Si les chantiers sont nombreux, le chanteur a décidé de s’attaquer à celui, épineux, des rapports entre les hommes et les femmes – sans être à proprement parler conceptuel, son album Elle était une fois ne parle que de ça, de l’amour moderne devenu un produit de consommation écœurant, et des issues de secours qu’il est urgent de débusquer : « On vit dans un monde où le désir, essence du système, est partout à alimenter la consommation, infusé dans toutes les sphères de l’humain, dans les moindres recoins. Ce n’est pas nouveau : cet amour actuel, c’était déjà celui de Marivaux, fait de circonstances et de mensonges. Mais maintenant, ça s’est répandu à l’ensemble de la société. Il faut être narcissique, montrer qu’on est au taquet, qu’on fait du sport, qu’on ne mange pas de gluten… C’est pour ça que je ne suis pas sur les réseaux sociaux : tu vois l’énergie que ça prend et l’angoisse que ça crée ? Pour moi, c’est comme le 20h de TF1. Ça crée du mauvais stress qui ne débouche sur rien – Facebook ne produit que du néant. Pour moi, le véritable amour est une transcendance, la quête de quelque chose de supérieur. Dans l’amour courtois, on était poussé à tirer le meilleur de soi. Sur Tinder, on se contente d’avoir l’air beau gosse. Il y a une exigence à retrouver. » 

ARRANGEMENTS GRAND SIÈCLE ET ÉLECTRO CONTEMPORAINE

Nostalgique de cet « amour formel et sécurisant, contraignant certes, mais qui permettait d’avoir un ancrage et d’avancer dans la vie », Alexandre se définit comme « mystique » et « un peu moraliste sur les bords, à la manière de Balzac, spectateur critique de la société ». Une telle vision rappelle plus le temps de saint Louis que celui des valets Valls et Hollande – et ce n’est pas le troubadour Chatelard qui nous contredira : « La France est un royaume, ça ne sera jamais autre chose. La République est un principe qui désunit, avec cet hémicycle ou ces élections complètement absurdes… Alors qu’il y avait dans le roi une dimension bienveillante, symbolique et unificatrice. Je suis pour un principe d’unité, j’ai de l’affection pour cette  idée. Je ne suis pas pour le faste qu’il y a autour, le faste m’ennuie, mais j’aime l’image d’une France paisible… » Aux démocrates qui auraient décroché, parlons enfin de musique. Admirateur de Brassens, Alexandre ne fait pas dans la chanson terroir ou le rétro médiéval luth, culottes bouffantes et hauts-de-chausse. Nourri de l’esprit courtois et royal, il prendrait plutôt la succession de cette avant-garde française qui va de Debussy à la French Touch en passant par Jacno et François de Roubaix, condensant pop, arrangements Grand Siècle et électro contemporaine, sans peur et sans reproche. Le résultat ? Des morceaux inclassables qui agissent comme des philtres d’amour.


Paru dans Technikart #200, avril 2016

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