Le web rend-il bourré ?

Monsieur Poulpe

Bidouilleur du Net depuis ses 15 ans, Monsieur Poulpe s’est attiré les foudres des hautes instances en conviant des célébrités à descendre des shots de vodka sur YouTube ( Recettes pompettes ). Insolence, picole, santé publique et âge mur : le Net peut-il se permettre ce que la télé (et la loi Evin) réprouvent ?

C’était début avril. Le Bagel Studio, mastodonte du rire YouTube avec ses 330 millions de vues et son écurie de comiques post-ados, balançait un teaser en ligne. Ses 45 secondes ont réussi à faire rager madame la ministre de la Santé Marisol Touraine, l’association ANPAA (Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie), et le représentant du lobby viticole Vin et Société en bonus. Chacun y va de son communiqué : « Une mise en scène de people en état d’ivresse manifeste », « une émission stupide et désolante qui banalise et encourage l’ivresse » , « une publicité contraire aux règles de sécurité pour la santé des personnes. » …  Tous exigent le retrait du teaser et l’annulation de diffusion pure et simple de l’émission.
La cause du scandale ? Une émission d’une vingtaine de minutes où l’animateur et son guest « font à manger et boivent de l’alcool » . Devant l’ire provoquée, le gang décide de passer outre. Le mercredi 13 avril à 18 heures, les compères balancent le premier épisode des Recettes pompettes : on y voit Stéphane Bern, carburant comme l’animateur Monsieur Poulpe aux shots de vodka, évoquer sa mère disparue la larme à l’œil, passer un coup de fil à son pote de vacances Nikos Aliagas et discourir sur la dureté du métier d’animateur télé comme s’il prononçait l’éloge funèbre de Mère Teresa. Résultat, des retours enthousiastes du public du Bagel et près de 1 500 000 vues en trois semaines. Après Stéphane Bern, c’est Antoine de Caunes qui se la colle avec le Poulpe, pour un « tempura de crevettes à la Trouvilloise » sauce canal grande époque. Ivres morts les deux gusses goûtent puis recrachent les gambas avant d’affirmer l’affection qui les lie par des « je t’aime » envoyés sans ménagement en guise d’adieu.

Impossible à la télé ? Ce sera sur le Web Aux origines, il s’agit d’un divertissement québécois proposé et animé par Éric Salvail, disponible sur une chaîne privée canadienne, VTélé. Le format de trente minutes s’y répète chaque semaine et les personnalités se succèdent pour cuisiner une recette, tout en buvant des shots de vodka. Le Poulpe tombe dessus il y a un an, lorsque le réalisateur Xavier Dolan est invité à préparer une sorte de pâté chinois au canard. Il concocte dans le secret avec son producteur Lorenzo Benedetti (l’homme de l’ombre du Studio Bagel) une version pour l’Hexagone.
Assez vite se pose le problème de la loi Evin qui encadre l’alcool et sa promotion dans les médias. « Avec Lorenzo, on a passé un coup de fil au service juridique de Canal. Impossible à la télé ? Pas grave, ce sera sur le Web, qui reste pour nous un espace de liberté à part » , résume Monsieur Poulpe. Ils contactent les créateurs canadiens de l’émission et obtiennent le droit d’en réaliser la version française. Ils trouvent également, avant la première diffusion, un sponsor, le livreur de bouffe Take Eat Easy. « On voulait trouver un sponsor un peu malin et ne pas rajouter d’huile sur le feu » , justifie l’animateur : la vodka polonaise engloutie par les invités n’est jamais nommée. S’écartant de la promotion pure et dure de la picole, rajoutant même des avertissements en beau milieu de l’émission, il considère l’émission légale.
« On ne fait jamais l’apologie de l’alcool. Faut plutôt voir tout ça comme une cascade. D’ailleurs, on répète plusieurs fois que c’est hyper-dur. » Autre argument de la défense : « Cette émission s’adresse à des adultes, il faut arrêter de croire qu’une émission sur le Net, c’est forcément pour les gamins. » Fin de la plaidoirie : « C’est presque un acte militant de tourner une émission aussi produite pour une diffusion en ligne. » … … La suite de l’article dans le Technikart #201.

PAR PIERRE ARDILLY
PHOTOS THOMAS LAISNÉ


Paru dans Technikart #201, mai 2016

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