« MARRE DES POMPIERS »

Paru dans Hors-Série Art de Technikart – 10/10/2008

Claude Lévêque a été choisi pour représenter la France à la 53e biennale de Venise. Entretien exclusif avec un artiste engagé. Après s’être impatienté pour l’ouverture du Centre Pompidou-Alma, Claude Lévêque dit ne pas s’intéresser à ce qui est étiqueté subversif et provoquant.

« Je n’ai pas envie d’être un artiste politique, dit-il. C’est très limité et je revendique une certaine liberté.» Préférant s’intéresser à l’action sur les perceptions et créer des effets de miroirs renvoyant à des situations de sociétés, il produit « des univers assez plombés » pour voir comment le corps et le mental réagissent.

Claude s’alarme contre les nouveaux pompiers, les politiciens corrompus et le formatage. Une prise de conscience est elle possible ? « Aujour d’hui quand j’entends le qualificatif de subversif ou d’activiste dans l’art, je crie au secours ou j’éclate de rire. Dans le monde où nous vivons je ne vois pas comment l’art est activiste et encore moins subversif, mis à part qu’il demeure essentiel pour le plaisir. »

AVEC PLUSIEURS ARTISTES, TU T’ES POSITIONNÉ SUR LA CRÉATION ET LA PERTINENCE DU CENTRE POMPIDOU-ALMA. AUJOURD’HUI EN FRANCE, LA SUBVERSION EST-ELLE POSSIBLE, NÉCESSAIRE, ET PAR QUELLE VOIE ?

Claude Lévêque : Par les voies poétiques ! Mais attention, la poésie, ce n’est pas le mièvre. Je me méfie du cynisme et j’ai du mal à croire à la provocation chez un artiste.

LA SUBVERSION, L’ACTIVISME SERAIENT-ILS ALORS DE BONNES RECETTES ?
C’est une nostalgie des années 70. Par exemple, l’exposition Hardcore fut une proposition quelque peu naïve. Lorsque Damien Hirst opère par un acte spéculatif, il est excellent. Mais aujourd’hui, la façon dont il agit, en fonction de la conjoncture, semble meilleure que son art. Peut-être que cela est subversif dans le monde de la spéculation, alors que son langage plastique est un peu pauvre. En agissant dans le système économique actuel par des moyens habiles, il engendre une attitude, une forme adaptée.

DANIEL BUREN DIT QUE TOUTE ŒUVRE EXPOSÉE DANS UN MUSÉE, QUI NE POSE PAS EXPLICITEMENT LE RÔLE DE CE CADRE, AGIT DANS L’ILLUSION D’UN IDÉALISME, CELLE D’UN ART POUR L’ART, QUI MET LA PRODUCTION DE L’ARTISTE À L’ABRI DE TOUTE RUPTURE, DE TOUT QUESTIONNEMENT.
C’est ce que j’appelle les « nouveaux pompiers ». Il y a aujourd’hui une nouvelle génération formaliste qui répète une leçon bien apprise. Cela laisse la porte ouverte à des arguments pas toujours intéressants et pas toujours en accord avec le travail que l’on perçoit. Il ne faut pas être désactivé visà-vis de la réappropriation du réel, vis-à-vis de l’homme, de l’urbain, des situations économiques ou des affectations sentimentales.

FACE À L’ARTISTE BON ÉLÈVE, POMPEUX ET POMPIER, L’ARTISTE DOIT ÊTRE INADAPTÉ ?
Non, pas nécessairement. Il est difficile de répondre à cette question. L’artiste a une part de liberté, mais dès qu’il devient piégé par un système, cela n’est plus bon. La caricature, la répétition et l’autoplagiat sont redoutables. Certains artistes utilisent toute une symbolique liée à la psychanalyse avec un excès de pathos. Par exemple, Annette Messager a réussi là où ces artistes ont échoué. Pour moi, les artistes pompiers sont ces artistes qui enrobent leurs concepts par des arguments critiques et analytiques qui ne sont pas toujours à la hauteur de ce qu’on voit. Ils sont malheureusement victimes de formatage.

EST-CE QU’UNE PRODUCTION ARTISTIQUE PEUT AMENER CHEZ LE SPECTATEUR UNE PRISE DE POSITION, UNE PRISE DE CONSCIENCE ?
Peut-être suis-je désillusionné mais je n’y crois pas vraiment. Je ne pense pas qu’un artiste puisse entraîner une prise de conscience politique, qu’il puisse prendre position. L’artiste créé des échanges avec le public entraînant des réactions, mais il n’est pas là pour changer le monde.

CONCERNANT LA SOCIÉTÉ DU SPECTACLE, FOUCAULT, SE MOQUANT DE DEBORD DISAIT: «NOTRE SOCIÉTÉ N’EST PAS CELLE DU SPECTACLE, MAIS DE LA SURVEILLANCE (…). NOUS NE SOMMES NI SUR LES GRADINS SUR LA SCÈNE, MAIS DANS LA MACHINE PANOPTIQUE.» COMME VOIS-TU NOTRE POLITIQUE SÉCURITAIRE, L’EMBRIGADEMENT DE LA PENSÉE ACTUELLE ?
Je suis extrêmement pessimiste face à cette situation qui plie les gens à une discipline. Je crois plus en une forme de résistance fragile. Dans mon travail, je ne réagis pas là-dessus et, à aucun moment, je me dis que je vais faire réagir le public face au monde. J’ai plus envie de resserrer mes expériences, de les protéger de cela.

POUR TON PROJET DE LA BIENNALE DE VENISE, EST-CE QUE L’HISTOIRE, LES ENJEUX ET LE SYSTÈME D’ORGANISATION DE LA BIENNALE SONT LE TERRAIN DE TON INVESTIGATION ?
Tout sera le terrain de mon investigation, Tout sera le terrain de mon investigation sauf le challenge.

POUR TON PROJET DE LA BIENNALE DE VENISE, EST-CE QUE L’HISTOIRE, LES ENJEUX ET LE SYSTÈME D’ORGANISATION DE LA BIENNALE SONT LE TERRAIN DE TON INVESTIGATION ? 
Tout sera le terrain de mon investigation, Tout sera le terrain de mon investigation sauf le challenge. Certes je peux être critique vis-à-vis des institutions et les remettre en cause. Mais je suis à la fois un artiste institutionnel et à la fois un artiste indépendant. J’ai une position ambiguë. J’ai toujours évité d’être un cheval de course, d’être dans la compétition. Je vais essayer d’être égal.

JEFF KOONS DIT QU’IL A UNE RESPONSABILITÉ ENVERS SON TRAVAIL, QU’IL «ESSAYE DE CRÉER QUELQUE CHOSE AVEC LES MEILLEURES INTENTIONS, POUR AIDER LES GENS. L’ART PEUT AIDER LE SPECTATEUR ET LUI DONNER CONFIANCE.» TU EN PENSES QUOI ?
C’est un peu prêcheur, mais c’est juste. Jeff Koons est un véritable artiste, qui retourne des situations, il est le plus warholien des artistes de notre époque. Jeff Koons est un artiste d’attitude qui pervertit les lieux communs, les objets affectifs.

PROPOS RECUEILLIS PAR TIMOTHÉE CHAILLOU