Nathalie Arthaud: Besancenot en fille, ça vous dit ?

Elle est trentenaire, elle kiffe l’URSS et elle ne veut surtout pas gagner les élections. Qui ? Nathalie Arthaud, nouvelle cheftaine de Lutte ouvrière. Dans son viseur, les patrons, le capitalisme et… Olivier Besancenot.

« Avec Besancenot, tout est clair. Avec Arthaud, tout est chiant… » Lille, quartier Moulins, salle municipale Courmont. Une étudiante égarée au meeting de Lutte Ouvrière résume l’incroyable défi qui attend Nathalie Arthaud. A 39 ans, cette prof’ d’économie-gestion qu’on commence à voir un peu partout, est la nouvelle porte-parole de Lutte Ouvrière: l’autre parti d’extrême gauche… Celui qui n’a pas renoncé au discours fleuves sur l’histoire du marxisme-léninisme et aux envolées lyriques sur la promesse universelle du kolkhoze fleuri.
_ « Les travailleurs au pouvoir exproprieront la bourgeoisie, briseront la dictature des groupes industriels et financiers sur l’économie mondiale, et transformeront en propriété collective les usines, les banques, les grands moyens de transport, les chaînes de distribution, les richesses naturelles… »
_ « Ouaaaais…!! » (réactions du public)
« La société pourra enfin maitriser ses conditions matérielles d’existence, produire en fonction des besoins et s’acheminer vers le communisme, une société sans exploitation, sans privilèges, sans classes sociales aux intérêts opposés.
_ « Yahoouu…!!» (approbation de la salle).
C’est trop long pour le Journal de 20h. C’est trop fou pour aller chez Denisot… Et c’est un peu compliqué pour les journalistes. Mais le gros des militants, celui qui n’a plus vingt ans depuis longtemps, prend son pied en hochant la tête comme s’il écoutait pour la première fois le chant des partisans. Pour beaucoup d’entre eux, Nathalie Arthaud est le tube de l’année. Même si c’est un disque un peu rayé… A quelques minutes d’intervalles, avec ses petites notes dans la main et sa loupiote de pupitre dans les yeux, elle fait le même discours qu’Arlette, sous la surveillance d’Arlette et parfois même avec les mots d’Arlette (« Travailleuses, travailleurs… »). Pour un peu, chacune aurait pu jouer la doublure de l’autre, mais on n’aurait pas tenu jusqu’à 22 heures… Et c’est plutôt pas mal si on aime les choeurs de l’Armée Rouge. Il y des moments forts (« il fallut alors déménager au delà de l’Oural, en quelques mois plus de 2600 usines… »), elle articule bien. Et elle est même plutôt jolie quand elle sourit… Le problème, c’est qu’en réalité à part ceux qui connaissent déjà les paroles, personne n’a rien compris. Et surtout pas la bande de faux vigiles avec des oreillettes en carton qui comptent les mouches au premier rang (le service d’ordre de LO). Bombardée porte-parole nationale en plein naufrage du capitalisme, l’histoire lui donne raison, mais elle fait un cours sur la dérive bureaucratique de l’URSS des années trente. La saga infernale des plans sociaux empire d’heure en heure, mais elle remonte le temps depuis 1917. Le monde bascule en plein chaos? Elle est en pilote automatique sur son Spoutnik… « On s’adresse à la conscience des gens justifie Nathalie Arthaud. Le rôle d’un parti comme le nôtre dans l’époque actuelle est de pouvoir alerter sur les ennemis éventuels… » Après les patrons, la justice la Police, l’Etat, la bourgeoisie, les écolos, les alters et les nouveaux activistes… L’ennemi « éventuel », c’est clairement Olivier Besancenot. Même âge, même parcours, mêmes idées, même goût du sport (il fait de la boxe, elle fait de la course), même fascination pour tata Arlette (il a fait deux campagnes avec la vieille, elle lui parle comme si c’était Rosa Luxembourg), tout les rapproche en apparence (à part Joey Starr…). Et pourtant, les deux trentenaires de l’extrême-gauche sont visiblement programmés – par leurs aînés – pour s’entretuer. « Il faudra des militants qui transmettent une tradition politique et organisationnelle, prévient Nathalie à la tribune .» Sous entendu, pas des gugusses en basket qui font la java avec Alain Chabat. « Des militants qui ne confondent pas l’anti-capitalisme avec la destruction politique et économique de la bourgeoisie. » Comprenez, le NPA c’est sympa mais on préfère les barricades…  « Des militants qui ne confondent pas la critique de quelques aspects néfastes du capitalisme avec la nécessité d’une autre organisation de la société : le communisme. » Le quoi? Depuis sa désignation comme porte-parole de la LCR, Olivier Besancenot n’a jamais prononcé le mot qui fâche (communisme). Et pourtant, lui aussi rêve du grand soir et justifie la violence révolutionnaire (en cas d’agression de la bourgeoisie). « Il faut donner des armes à la population, explique-t-il tranquillement dans Technikart en Février 2002 ». Lui aussi veut nationaliser tout ce qui bouge, exproprier les banques, annuler la dette et faire de l’économie un vaste service public avec l’embauche immédiate de… un million de fonctionnaires. Simplement, lorsqu’il met des mots sur son message, elle n’emploie pas une phrase qui fait moins de cinquante mots. Lorsqu’il fait de la révolution un slogan de génération (« Nos vies valent plus que leurs profits », etc), elle anime des colloques  marxistes dont l’intitulé donne déjà mal au crâne (« Face à la faillite du capitalisme, l’actualité du communisme »). Ses discours sont des rédactions de troisième année de fac avec cinq apartés pour la moindre idée… Elle parle une sorte de langage klingon du bolchévisme (le « klingolchévisme ») qui la rend totalement incompréhensible sur certains plateaux TV. Pire: son visage se déforme quand elle se sent attaquée. La mâchoire vire à gauche, la lèvre supérieure fait du yoyo… On croirait Billy Idol avec la tête de Jeanne d’Arc au bûcher. Epuisée par la campagne, elle est parfois si mal qu’elle demande aux journalistes de relire ses propos pour les reformuler… Ou les compléter. Ce n’est plus une révélation, c’est une crucifixion lente. Les joues se creusent à vue, elle a des rigoles de cernes sous les yeux. On aurait presque envie de la prendre dans ses bras, si chacune de ses interviews n’était pas contre-filmée et archivée par un préposé du parti à la surveillance des journalistes. La grosse boulette? Lui faire un compliment trop direct, vouloir la séduire… « Moi magnifique? Mais qu’est ce que cette attaque machiste ! » Lui poser des questions trop concrètes… « Qu’est-ce que vais faire une fois au pouvoir? Ouuchh là, alors…  » Lui demander comment elle pense soviétiser la France sans se faire couper la tête ? « La planification de l’économie doit être l’émanation de la volonté collective et démocratique. Il en va de la responsabilité de chacun…» Tête de liste pour les européennes à Lyon, Nathalie Arthaud ne fait aucun mystère de son vrai projet pour l’Europe qui consiste à ne surtout pas mettre les pieds à Bruxelles. « Notre objectif ultime est la conquête du pouvoir par la classe ouvrière, non pas à l’intérieur des institutions de la bourgeoisie mais au contraire, par la destruction de ces institutions… » Se présenter à une élection pour appeler à son anéantissement, il fallait y penser (on connait les précédents…) Mais quand Besancenot fait à peu près pareil (il fuit toute responsabilité au parlement), Nathalie Arthaud, elle, précise clairement la couleur (rouge) : « Nous allons remplacer  les institutions par des organes démocratiques du pouvoir des travailleurs eux mêmes. Comme l’ont été dans le passé la commune de Paris, les conseils ouvriers ou les soviets en Russie… » Lequel va bouffer l’autre? Besancenot a un avantage indéniable, il a encore une vie privée. « Je ne laisserai jamais la Ligue faire avec moi ce que Lutte Ouvrière à fait avec Arlette, répète le facteur depuis des années ». Nathalie, elle, a surtout Arlette qui elle même n’a plus grand chose… Laminée aux dernières présidentielles et à la remorque du PC, la petite mère du peuple prépare sa succession dans le plus grand secret depuis deux ans. Mais la prépare-t-elle vraiment? « C’est quand même très troublant de voir Arlette coller autant à celle qui est censée la remplacer, remarque  Eric Hacquemand, grand reporter au Parisien et spécialiste de l’extrême gauche. Pour quelqu’un qui ne devait plus jouer que  les guest-stars, elle reste très haut sur l’affiche… » Dans l’ombre, un vieillard de 80 ans qu’on dit scotché à son fauteuil roulant, continue de peser sur le bal de prétendantes du parti bolchévique. C’est Robert Barcia, alias Hardy. « Lui seul a en réalité le pouvoir de provoquer un renouvellement de génération à Lutte Ouvrière. Et visiblement, il a hésité longtemps… » Ancien patron de deux sociétés de formation et marketing pharmaceutiques – un business qui ne fait pas vraiment dans le collectivisme – le papi fantôme des cocos n’a toujours  pas digéré d’avoir raté la fusée Besancenot au milieu des années 90. « A ce moment là, Besancenot songeait très sérieusement à rejoindre Arlette à Lutte Ouvrière raconte Eric Hacquemand. » Obsédé par sa propre clandestinité, le gourou en chaise roulante a-t-il encore les moyens de façonner la nouvelle star d’extrême-gauche? Lui qui comme beaucoup de patrons de PME a procédé à quelques licenciements, peut-il inspirer en sous main les discours d’une nouvelle porte-parole qui réclame l’interdiction des licenciements? Nathalie Arthaud n’est-elle que le faux nez d’une extrême-gauche qui, elle même, peut jouer à merveille les idiots utiles du Sarkozysme?  Le vieux leader pourrait bientôt emporter avec lui son secret au paradis des travailleurs. Et Nathalie Arthaud chercher dans les paroles de sa chanteuse préférée Amy Winehouse (For you I was a flame / Love is a losing game), la clef du mystère des marionnettes russes…

Olivier Malnuit (avec Thibaud Michalet)