Orties ou le rap assassin qu’on attendait

Orties

Les jumelles trash-pop de Bures-sur-Yvette peaufinent leur second album (et premier chef d’oeuvre). Attention, ça pique.

Les grosses légumes de la scène musicale d’ici ont du souci à se faire. Silencieuses depuis plus de deux ans, les jumelles punkettes d’Orties s’apprêtent à venir faire le ménage avec le projet le plus surexcitant de l’année: leur album Nouvelle chanson française, produit par Mirwais, devrait renvoyer aux oubliettes pas mal d’impostures à la Christine and the Queens. En attendant ce putsch, on va boire des bières au Fantôme, le bar de la rue d’Hauteville. D’où vient Orties, cette anomalie? Kincy me répond, réfléchie. Antha, bondissante, n’est pas longue à se foutre de ma gueule : « Allez, fais-nous une interview à la Mireille Dumas ! »
Nées à Paris à la fin des années 80 d’un père guitariste de jazz et d’une mère comédienne devenue instit’, Antha et Kincy ne grandissent pas sur le plateau de la Dumas, mais à Bures-sur-Yvette, « une banlieue molle à quarante-cinq minutes de Châtelet, avec des pavillons, une classe moyenne blanche, beaucoup de scientifiques dont Hubert Reeves, et des racailles qui s’ennuient et écoutent du rap ».
Ados, alors qu’elles sont dans « le black metal à la Christian Death, le romantique sombre, les trucs norvégiens », elles montent un groupe de rock « lyrique médiéval, de la musique de moines ». Après quelques répétitions dans un garage, elles virent les autres membres. Débarrassées des fâcheux, elles reviennent au rap, musique de leur enfance. Antha: « On a un but toutes les deux : c’est d’être de notre époque. Le rap était le meilleur moyen de nous y ancrer. »

BIZARRERIES INOUÏES

Ici commence leur destin de vilains petits canards (au meilleur sens du terme): pas originaires d’une cité, pas noires, pas coqs complexés à la Kaaris ou Booba, mais blanches et « meufs pas chochottes » passées par des études de philo et les beaux-arts, l’identification n’est pas immédiate – et c’est précisément ce côté franc-tireur inclassable qui fait tout leur intérêt. Si Kincy, qui compose tout, se dit « dans la lune et rêveuse », Antha est prête à passer à l’action : « La vie est un coup de bluff, il faut être malin. À la base, on vient de nulle part, et en France il y a des castes comme en Inde. Mais Orties a quelque chose à apporter à la musique, et notre place on va la prendre. » Là-dessus, mon magnéto me lâche, on recommande une tournée et on parle d’un tas de trucs, elles toujours vives et très marrantes, « pas comme les mecs de PNL et leur musique de chimiothérapie » …
Quelques jours après cet apéro, je vais au bureau de Mirwais vers Oberkampf jeter une oreille à Nouvelle chanson française. Mirwais a beau avoir été numéro 1 dans le monde entier, il a toujours gardé les idées claires et l’envie d’en découdre. Enthousiaste et stratège, il m’explique qu’il cherche encore le label qui permettra à Orties de décoller. On passe à l’écoute. La vache. Une alternance de morceaux agressifs et d’autres plus planants, des paroles incisives et inspirées, un son trouant, un mélange varié de rap, de pop, de bizarreries inouïes et d’électro-folk façon American Life de Madonna. Le très haut du panier. A la fois hyper pointu et potentiellement grand public. Pas mal de tubes immédiats, dont un titre que Mirwais imagine déjà comme un nouveau « Joe le Taxi ». Un single zéro doit sortir d’ici l’été, avant l’album cet automne. En partant, ne croyant toujours pas à ce que j’ai entendu, je me mets à fantasmer le beau foutoir que les jumelles vont mettre. Attention les secousses, comme dirait Yannick Noah – qui comme tant d’autres devra prendre sa retraite une fois qu’Orties aura sévi.

DATES CLES
2009  Orties balance ses premiers morceaux sur le Net. Hallucination : qu’est-ce que c’est que ce mélange de Crystal Castles et de Klub des Loosers, ces freaks à la fois gothiques et hip-hop, popus et avant-gardes ? La rumeur déjà se met à enfler.
2013  Sortie de leur premier album, Sextape, qui contient notamment la roquette « Paris pourri ». Fan, Gaspar Noé les photographie pour le magazine Lui. Elles rencontrent Mirwais qui décide de les produire, voyant en elles les héritières de Taxi Girl.
2016  Nouveau disque à venir. Apparaissent sur un titre de l’album de Christophe et dans le fim Amore synthétique de Marcia Romano et Benoît Sabatier. Peintre, Antha exposera du 16 au 26 juin à la galerie Gare de Marlon, 19 rue de la Verrerie à Paris.

PAR LOUIS-HENRI DE LA ROCHEFOUCAULD
PHOTO CHARLÉLIE MARANGÉ


Paru dans le Technikart #200