«PARIS , PARIS , ON T’ENCULE !»

Paru dans le numéro 142 de Technikart – 22/04/2010

Le 14 avril, un modeste club de quatrième division rencontrait le PSG en demi-finale de la Coupe de France. Pour l’événement, notre reporter s’est glissé au milieu des supporters de l’US Quevilly partis affronter l’ogre de la capitale.

Dans la presse, il existe une sorte de convention imbécile qui veut que, puisqu’ils sont imprimés, les articles se doivent d’être réussis. Et si je faisais plutôt un article raté ?! C’est bien le minimum que le journaliste de Technikart doit à la vocation expérimentale de son organe de presse. Cette chronique d’une foirade annoncée, mélange d’événements fortuits à fort coefficient de fiasco et de sabotage volontaire plus ou moins conscient, débute tout d’abord par la laborieuse définition de mon sujet d’article mensuel.

En l’espace d’une dizaine de jours, je suis passé d’un projet de reportage nocturne sur l’animateur de M6 Jérôme Anthony (trop hot) à une idée d’enquête au pied levé sur la physique des particules (trop dangereux) ; non sans envisager, à un moment, une vaste plongée dans le quotidien des marins pêcheurs bretons (trop salé). Tout ça, c’était avant que mon rédacteur en chef n’intervienne pour siffler la fin de la récré’ : « Et si tu partais plutôt couvrir la demi finale de la Coupe de France entre Quevilly et le PSG ? ». En vrai pro, j’appelle direct la mairie de la bourgade : « Ah, non, désolé, là vous êtes à Grand-Quevilly, monsieur. Pour le match, il faut que contactiez Petit-Quevilly. » Après ces quelques embrouilles téléphoniques, j’apprends que la liste des 210 journalistes accrédités pour cette rencontre à haut risque entre le Petit Poucet de CFA et le Francis Heaulme de la Ligue 1 a déjà été envoyée en préfecture depuis la veille. Face à ce nouvel écueil, me voilà contraint d’acheter deux places (une pour moi, une pour le photographe), ce qui me vaut les invectives de notre comptable ibérique : « 64 euros ! Ça va, vous vous faites pas chier, les gars ! » Le jour J, je récupère le photographe Porte Maillot et, quelques kilomètres plus loin, on s’arrête dans un relais route pour s’enquiller une série de cafés qui n’arriveront pas à nous réveiller.

 

NAUSÉE AUTOROUTIÈRE
J’en profite pour acheter le Parisien où une photo de l’US Quevilly occupe une moitié de la Une. A l’intérieur, les entraîneurs rivalisent de déclarations creuses qui, éclairées par la lumière artificielle des néons, participent d’une sorte de nausée autoroutière matinale : « Nous sommes très sereins. Il n’y a pas de prise de tête. Ce groupe sait d’où il vient », philosophe Régis Brouard, le coach de la petite formation normande qui a éliminé Anger, Rennes et Boulogne. Réponse d’Antoine Kombouaré, le griot de la capitale : « Nous sommes archi-favoris mais ce statut ne donne pas une victoire systématique. Nous sommes méfiants et humbles. » Je médite sur la structure étonnante de cet édifice conceptuel tout en avalant les derniers kilomètres qui nous séparent encore de Petit-Quevilly, dans la banlieue de Rouen. Arrivé sur place, je constate que ce bled, parsemé de kebabs et surnommé par certains « petit Q », n’est pas un charmant village normand à toits de chaume mais une ancienne ville industrielle striée de barres HLM et toute entière drapée aux couleurs du club : jaune canari.
Devant la Mairie, Frédéric Sanchez, le premier magistrat socialiste, enchaîne les directs avec le journaliste de BFM TV. Entre deux flashs, il nous cause un peu. « On a fait imprimer 22.000 écharpes. Toute la Normandie est derrière notre club. Avant même qu’ils réalisent ce parcours extraordinaire, on avait prévu la construction de deux terrains synthétiques et de locaux pour le staff, pour un montant de 4 millions d’euros. Sinon, vous êtes peut-être au courant de notre projet de reconversion de la plus grande filature française, la Foudre. C’est un bâtiment de 10.000 mètres carrés que Maupassant compare à la pyramide de Khéops dans Bel-Ami. » Trop naze pour réorienter le cours de la conversation, je laisse le maire dérouler tranquillement son argumentaire. De toute façon, ce n’est pas très grave, vu que je dois faire un article raté (vous vous souvenez ?!).

CRYPTO-TERRORISTES
Le principal intérêt de cette demi-finale, outre sa dimension de lutte des classes footballistique (un petit club ouvrier avec 1,5 million de budget affrontant un gros club de nantis assoupi sur un confortable matelas de 80 millions d’euros), c’est qu’elle est totalement interdite aux supporters parisiens. « Monsieur, PSG, ça veut dire Pédales Sur Gazon », m’informe un sympathique minot, juché sur son BMX. Comme ses potes, il joue au club et arbore dans les oreilles de faux diamants à la M. Pokora, larges comme des portions de Kiri. Pour ce soir, les petits sont optimistes quand à la destinée de l’US Quevilly, également soutenu par un collectif de Franck (Dubosc et Ribéry). « Je suis sûr qu’ils vont gagner. On est fiers qu’ils représentent notre ville. Par contre, il paraît qu’il y a des Parisiens qui vont venir en cachette, c’est vrai ?! » C’est marrant de constater que, vu de la périphérie, le centre jacobin incarne désormais l’absolue sauvagerie. « Dans le foot, c’est avant tout la conscience d’un ennemi extérieur qui soude le groupe. On vend aux supporters une fausse rébellion contre une menace fantasmée qui leur évite de penser à changer leurs conditions d’existence concrète », analyse le philosophe Gilles Vervisch, auteur du livre De la tête aux pieds (Max Milo éditions).
Cette menace, elle est là, toute proche : pendant que les gamins de Quevilly se font bomber les cheveux avec un aérosol couleur blé, quatre Parisiens d’Action Discrète (1) s’apprêtent à infiltrer l’événement, déguisés en supporters normands. Pour tromper l’imposant dispositif de sécurité, ces crypto-terroristes de la chaîne cryptée ont embarqué dans une Renault immatriculée 93 (bon, ça, c’est pas très discret), mais intelligemment décorée de stickers vache, avec des pommes et du cidre sur la plage arrière. En ce qui nous concerne, nous avons opté pour une voie plus officielle, afin de ne pas courir le risque de réaliser un repor-tage épique (et réussi). On monte donc dans l’un des 105 cars qui quittent Petit-Quevilly pour rejoindre le stade d’Ornano de Caen, où a lieu la demi-finale.

LA RÉPUBLIQUE EST UNE TAZ
Juste avant de partir, j’ai interviewé un type avec une cravate rayée jaune et noire qui s’agitait dans tous les sens, portable soudé à l’oreille. Je pensais qu’il s’agissait de l’entraîneur, mais c’était en fait Patrick Robin, qui est juste membre du conseil d’administration du club : « Les joueurs ont fait une mise au vert au Casino de Forges-les-Eaux et là, ils sont bien dans leur tête », confie Patrick, avant de s’énerver au téléphone : « Deux minutes, je réponds à la presse ! » Dans le bus, en toute logique, je devrais causer avec les supporters, partager leur fièvre, mais je préfère pioncer. Un article foiré, ça ne s’improvise pas. J’ouvre tout de même un œil attendri sur tous ces mecs qui arborent de grands impers Adidas à la Raymond Goethals, sous lesquels ils cachent avec pudeur un amour vibrant du ballon rond. Et je note quelques répliques dignes d’intérêt, com me celle-là, émanant d’un type qui si phonne un mélange rougeâtre à base de vodka : « Il faut que je sois bourré pour que mon potentiel il soye (sic) au top, comme quand je joue le dimanche. » Ah, le sport, quelle école de la vie !

COUTEAU SUISSE DANS LA POCHE
Après une heure de trajet, je me réveille pour constater que l’ambiance est montée d’un cran. Le père de famille qui sermonnait ses gosses avant le départ (« Pas de gros mots, les enfants ! ») est en train de chanter à tue-tête : « Sessegnon, va niquer ta m… ! » Et s’enthousiasme de voir ces motards, toutes sirènes hurlantes, qui ouvrent la voie au cortège quevillais : « La ville est à nous, les gars ! », hurle le supporter rebeu’. 800 flics, 6 compagnies de CRS et 8 cavaliers de la brigade équestre sont là pour faire barrage aux fantomatiques hooligans dont le spectre plane sur la rencontre : dans un climat de guerre civile larvée, il est curieux de voir à quelle point la République – et ses lois – ne se manifeste plus désormais que sous forme de Zones d’Autonomie Temporaire. Arrivé devant l’entrée du Stade, notre reportage raté menace soudain de virer au naufrage intégral : « Merde, j’ai un couteau Suisse dans la poche », me dit soudain le photographe. Heureusement, nous réussissons à endormir la vigilance des stadiers et pénétrons, armés, dans l’enceinte uniformément jaune. Ce côté monocolore produit un sentiment bizarre dont je vous épargnerai les analogies historiques.
« Et ils sont où, et ils sont où, les Pa-ri-siens ?! », piaillent les 22.000 canaris.Alors qu’une mascotte de la Caisse d’épargne agite ses bras en poils synthétiques, un champion de tennis de table paralytique donne le coup d’envoi. Les joueurs de l’US Quevilly ont tous l’air d’avoir des maillots trop grands ; tout comme le goal de la formation, qui est équipé d’une paire de gants de sept lieux. L’équipe donne le sentiment étrange d’avoir rapetissé. Je me demande alors si cette histoire de Petit Poucet n’est pas centrale dans le fait que les formations non professionnelles perdent à chaque fois en Coupe de France, comme si elles quittaient l’univers tangible du football pour être happées par celui du conte. L’heure a peut-être sonnée de trouver une théorie un poil consistante. Car si mon article est totalement foiré, il risque d’être réussi (puisqu’en accord avec son ambition de départ). Il faut donc qu’il soit un peu réussi, pour être totalement foiré.

PETIT POUCET SODOMITE
Je trouve sur Internet un décryptage psy intéressant autour de ce qui agite en profondeur le Petit Poucet, abandonné par ses parents au milieu de la forêt et confronté à l’appétit dévorant de l’ogre : « Le Petit Poucet ne peut lutter contre le sadisme oral qu’en régressant à travers l’analité jusqu’au cannibalisme primitif. (…) Il reçoit alors les richesses de l’agressivité orale et de l’analité, mais pas la génitalité. C’est le seul cas qui montre qu’il s’agit encore d’une cure d’enfant qui n’est pas achevée », écrit le psychologue Marc-Alain Descamps. Comme un écho à cette théorie, le stade se met alors à hurler à pleins poumons : « Paris, Paris, on t’encule ! »
Bon, il reste 1000 signes à écrire et il faut que je me magne parce que le rédac-chef’ doit partir en vacances. De toute façon, vous savez tous que Quevilly a perdu 10. Alors je vais plutôt vous parler des gars d’Action Discrète qui ont finalement réussi à pénétrer dans le stade et à exhiber leurs maillots de supporter du PSG avant de se faire virer. Leur grand regret, selon Sébastien Thoen, est que le Petit Poucet sodomite se soit cantonné à un registre uniquement déclaratif, comme s’il était effectivement privé de sa génitalité : «Je peux te dire qu’au moins deux d’entre nous étaient déçus car les supporters de Quevilly n’ont malheureusement pas transformé leurs paroles en acte. La sodomie, tu sais, ça peut être une super preuve d’amour.» Pour un papier foiré, ça fait presque une trop belle chute, non ?!
(1) DVD d’Action Discrète Volume 1, Studio Canal, 16,99 € .

NICOLAS SANTOLARIA

LA FIÈVRE DANS LE SANG
Un docu top qui vient nous rappeler que le PSG fut, un temps, un grand club. Un détail singulier: lors de la conférence de presse du documentaire «PSG: 40 ans de fièvre» diffusé sur Canal ce mois-ci et produit par «Elephant et cie» (la boîte d’Emmanuel Chain), aucun représentant de la chaîne cryptée n’était présent. La faute aux résultats actuels ? Aux deux supporters assassinés en trois ans (ce qui constitue finalement un vrai titre européen) ? À la volonté d’oublier le PSG qui leur aura apporté, finalement, pléthore de soucis judiciaires et financiers ?
Toujours est-il que ce documentaire de Pierre Hurel et Didier Vercaemer vaut vraiment le détour, tant l’histoire du club est un merveilleux scénar à tiroirs constitué de succès, de dérapages et de rebondissements en tous genres. Ça démarre aux débuts des 70’s quand, barreau de chaise au bec, le jeune Daniel Hechter avec l’aide de Justo Fontaine faisait monter l’équipe en Division 1. Viennent ensuite les savoureuses années Borelli avec ses icônes (Luis Fernandez, Safet Susic), sa bande son (Enrico Macias) et un certain sens de l’esthétisme (le baise-en-ville de Borelli, les vestes de couleurs…). Année 90 : prise en main du club par Canal + et véritables «Golden Years» avec ses stars comme Ginola, Simone, Weah, Raï, sa victoire en Coupe des Coupes en 1996… « aris est magique». Les années 2000, malgré Ronaldinho et Pauleta, seront, quant à elles, plus tragiques. Prise de tête entre Fernandez, Ronaldinho et Perpère, valse des entraîneurs, des présidents, des résultats médiocres, un nouveau propriétaire («Colony Capital») honni par les supporters… Les supporters justement. Trop longtemps réduits à une bande de skins assoiffés de sang, ils sont ici présentés tel quels: populaires, exigeants, geignards mais fidèles (même si le doc ne fait pas abstraction de l’hooliganisme).
En résulte un film passionnant avec son lot d’images tour à tour émouvantes (Les larmes de Raï lors de son dernier match en 1998) et hilarantes – le prolo couillu Luis Fernandez défiant son boss, l’énarque délicat Laurent Perpère, par cette savoureuse sentence: «Entre vous et moi, c’est le peuple qui décidera».
«PSG, 40 ANS DE FIÈVRE», LE 9 MAI, À 20H40
SUR CANAL PLUS.
SYLVAIN MONIER