Salut les copines

Capture du 2015-07-10 13:18:43

Au milieu d’images érotiquement correctes, « HotVidéo » apporte une vague de fraîcheur. Ton trash, subjectif, rentre-dedans: et si le magazine de hard était l’honneur du journalisme français ? Enquête sur un gros organe de presse.

 

Capture du 2015-07-10 13:26:10Le dossier antisexe que vous êtes en train de lire dans Technikart a déjà été écrit ailleurs. Où ? Dans un mensuel vendu à 75 ooo exemplaires; qui compte au rayon de ses inconditionnels Stomy Bugsy et Virginie Despentes : le bien nommé Hot Vidéo. En feuilletant le numéro d’avril de cet organe de presse bien portant, on peut lire une passionnante enquête intitulée « Avez vous déjà fait comme dans les films ? » Sur huit pages débordant de chair orangée sont exposés les problèmes découlant de la surérotisation de notre environnement.
« Jamais notre hypophyse n’aura été autant sollicitée que depuis ces trente dernières années, écrit le journaliste. Tout simplement parce que le sexe n’a, par le passé, jamais été aussi présent dans notre quotidien, affiché, diffusé, étalé. De la pub au cinéma en passant par la mode et les clips, on utilise le cul pour tout, et parfois même n’importe quoi. Peut-être parce qu’un jour, dans les hautes sphères où l’on maîtrise les lois de l’offre et de la demande, on a compris qu’en opposant la jouissance des uns à la frustration des autres, il y avait beaucoup d’argent à se faire. » Bordel, mais quel est le génie qui a pondu ça ? A quoi peut bien ressembler un journaliste qui, baignant dans le sperme, réussit à maintenir avec son sujet une telle distance critique ? Réponse : à un grand gars blond avec un sourire à la Yannick Noah et des bottes ferrées pareilles à celles des motards qui font de la conduite sur glace.
Dutilleul, c’est son nom, m’a gentiment convié à le suivre sur le tournage du dernier Fred Coppula, dans un sous-sol du quai de Jemmapes, afin que je puisse m’enquérir de ses méthodes de travail. Comme tout bon journaliste, Dutilleul arrive avec une demi-heure de retard et se dirige instinctivement vers la boîte de gâteaux qu’il a repérée d’un coup d’oeil. Assis sur un tabouret, l’acteur Sébastian Barrios s’astique mécaniquement la nouille. Après avoir empoigné un biscuit, Dutilleul tape un peu la causette avec Fred Coppula qui semble avoir été recruté la veille par une agence de casting tant il ressemble à l’image qu’on se fait d’un réalisateur de porno : petit bide, bermuda, veste en jean et casquette de base-ball à l’envers. Le climat est familial. « Ça ne s’est pas toujours passé comme ça, explique Dutilleul. Au départ, le milieu du X était replié sur  lui-même et il a fallu expliquer aux acteurs qu’on était là pour faire leur promotion. Quelqu’un comme Alban, qui faisait partie de la vieille génération, ne comprenait pas ce qu’on venait faire sur les tournages. »

> «EH MEEEEEERDE !»
Quand, en juin 1989, un ancien pigiste de Vidéo 7, du nom de Franck Vardon lance Hot Vidéo, le milieu du X est totalement Capture du 2015-07-10 13:26:50marginalisé, regardé comme un repère de déviants sexuels. En cette époque pionnière, le porno commence à peine à sortir du ghetto, en grande partie grâce à Canal+. C’est dans ce contexte que le magazine, porte-drapeau de la culture vidéo, s’imposera face aux magazines de cul classiques, ces vaporeux portfolios regorgeant de bourgeoises en porte-jarretelles additionnés de reportages sur les grands requins blancs. « Notre idée, explique Franck Vardon, ça a été de faire dès le départ un vrai magazine. Chez nous, comme ailleurs dans la presse, le souci est de parler des trains qui n’arrivent pas à l’heure. » Portant son intérêt sur l’industrie, Hot Vidéo va réussir en quelques années à glamouriser le porno en plagiant des méthodes gui ont fait leurs preuves ailleurs. Les Hot d’Or(1), lancés en 1996, copient ouvertement les 7 d’Or et le Salon de la vidéo hot fait de gros clins d’oeil à celui de l’agriculture. « Avant, explique Dutilleul, lorsqu’on qualifiait une actrice, on disait « Une fille qui fait des films de cul. » Aujourd’hui, grâce à Hot Vidéo, on dit « Une star du X ».  »
Soudain, au coeur de ce débat sémantique, surgit Marco, le photographe de Hot Vidéo, pantalon de treillis et grosse gueule de bois revendiquée. La quarantaine, il est un ancien de 4×4 magazine et porte sur le X un regard d’ethnologue : « Ce qui est intéressant, c’est que tout le monde baise. Tu retrouves des trucs culturels dans la libido : les Japonais font l’amour avec des baguettes et les Américains, avec du ketchup. » Après ces quelques considérations, alors que Dutilleul est parti se faire couper les cheveux, Marco entreprend de prendre des photos de plateau. Mais, rendu fébrile par sa nuit blanche, il laisse tomber son énorme appareil sur le carrelage : « Eh meeeeeerde ! » Où trouve-t-on, aujourd’hui, des déjantés pareils ? Certainement pas dans la presse culturelle traditionnelle.

A l'image des journalistes de >, notre reporter n'hésite pas à mettre la main à la pâte, Ici au salon Hot vidéo.

A l’image des journalistes de « Hot Vidéo », notre reporter n’hésite pas à mettre la main à la pâte. Ici au salon Hot vidéo.

AUCUNE LIMITE DE BUDGET
L’esprit trash qui, dans les années 7o, animait des journaux comme Actuel, Libé ou Rock & Folk s’ est aujourd’hui déplacé vers Hot Vidéo. C’est donc sur le terrain critiquement vierge du porno que s’est renouvelé un journalisme subjectif et enthousiaste qui avait disparu du reste de la presse. A Hot Vidéo, les reporters n’hésitent pas à se mettre en scène, les chroniques de cassettes font penser aux Cahiers du cinéma (« Il règne un climat embrumé au sein de la société Nanou ce qui explique que cette série soit signée Michel Soulier ») et les titres potaches (Welcome to the Hotel Califourchon) ont la flamboyance de ceux du journal de Serge July à l’époque où il ne s’était pas encore transformé en maison de retraite. « Hot Vidéo n’est vraiment pas écrit d’une seule main, fait judicieusement remarquer Franck Vardon. Nos cinq journalistes ont des personnalités très marquées. Une autre des raisons de notre succès, c’est que nous avons massivement investi dans la rédaction. Si un sujet le mérite, il n y a chez nous aucune limite de budget. Nous avons, par exemple, envoyé Tabatha Cash avec un photographe à Los Angeles pour prendre

C’est donc sur le terrain critiquement vierge du porno que s’est renouvelé un journalisme subjectif et enthousiaste qui avait disparu du reste de la presse.une série de clichés au milieu du gang des Crips. »

Dans le même style totalement barré, Hot Vidéo proposera dans une de ses éditions un poster en odorama exhalant le parfum vaginal d’Angela Baron ou publiera des photos de Julia Channel rendant visite à des malades du sida africains (une rencontre qui poussera l’actrice à mettre fin à sa carrière). Cet art étrange du grand écart, bien à I’image de la schizophrénie de l’époque, plaît aux lecteurs : en quelques années, Hot Vidéo devient le magazine de référence en Europe sur le secteur du X, avec une édition en espagnol, bientôt une publication en Grèce, des produits dérivés pour un chiffre d’affaires annuel de 8o MF.
Aujourd’hui, il est quasiment impossible de faire carrière dans le porno si l’on est pas supporté par le magazine de Franck Vardon. Hot Vidéo n’est donc rien moins que le produit ultime dont a accouché la société du spectacle : un journal qui, d’un côté, participe ouvertement au développement de l’industrie du X et de l’autre, en assure la critique. Sur certaines de ses pages, il encense les

triples pénétrations mécaniques, sur d’autres, il imprime des phrases aussi définitives que « Notre société est imbibée de fantasmes préfabriqués » ou encore « La beauté intérieure n’est pas le fort des commerçants du désir. » Magazine vertigineux, Hot Vidéo est son propre sujet, il s’auto-alimente, suscite le désir et témoigne en même temps de l’insatisfaction afférente à ce désir-là : ne serait-ce pas la définition de la masturbation ?

(1) Les Hot d’Or auront lieu le 17 mai à, Cannes-Mandelieu.
N. S.