Shepard Fairey (Studio Number One) « Il y a un besoin d’alternatives créatives et expressives »

Capture du 2015-06-25 10:21:43

Issu de la scène skate, l’américain Shepard Fairey s’est d’abord illustré par ses campagnes de street art (André The Giant, Obey) et a acquis une notoriété internationnale en signant la campagne «Hope» d’Obama. Que vient faire à Cannes cet artiste engagé ?

 

En France, on vous a découvert grâce à la campagne «Hope» d’Obama. Cette reconnaissance internationale, ça a changé quoi ?
L’affiche Obama est devenue un phénomène que je n’aurais pas pu prévoir. Je suis fier d’avoir créé une image devenue un symbole populaire. L’affiche Hope a introduit mon art auprès d’une audience plus large, mais elle a aussi fait s’éloigner des gens qui préféraient le côté «anti – establishment» de mon travail. Sachant que pour moi, Obama était l’alternative à la version Bush de l’establishment.

A Cannes, vous intervenez dans une conférence tenue par Arnold Worldwide, «You need an ennemy». C’est vous l’ennemi ? Ou est-ce l’industrie de la pub l’ennemi ?
Je me considère comme un ennemi du pouvoir corrompu. L’industrie publicitaire en elle-même n’est pas nécessairement l’ennemi. Elle suit les directives de ses clients « corporate », qui veulent souvent des résultats, par tous les moyens. Certaines agences ont mis en place des stratégies qui maintiennent leur audience dans l’insécurité, la jalousie, la vanité et d’autres côtés obscures de la force. Comme en politique, l’exploitation de la peur, la cupidité, la jalousie sont des sujets «faciles», alors que la créativité, la beauté, l’incubation de la culture sont plus risqués.

Plus généralement, la pub est-elle l’ennemi du street art ?
Seulement dans la mesure où elle a un tel monopole dans l’espace public. Et il y a besoin d’alternatives créatives et expressives à la publicité, mais les publicitaires ne veulent pas de concurrence d’un autre média qui pourrait retenir l’attention. Or, les gens ont besoin de choix et ils ne connaîtront que le langage du commerce s’ils ne sont exposés à rien d’autre.

Pas mal de street artists collaborent avec des annonceurs… Ils vendent leur âme parce qu’ils ont besoin d’argent ?
L’art et le commerce ont besoin l’un de l’autre. Quelquefois, ils sont en conflit, d’autres fois ils sont en harmonie, mais au final, les artistes ont besoin d’argent et les agences ont besoin de créatifs. Dans le meilleur des cas, un street artist sera recruté pour apporter de l’authenticité à une campagne, et pas pour exploiter la culture du «cool».

En France, si on connaît votre travail artistique, peu savent que vous avez travaillé pour le studio BLK/MRKT Inc., et lancé votre agence de design graphique, Studio Number One. Comment sont liées ces deux facettes de votre activité ?
Pendant des années, je n’ai pas pu vivre de mon art et mon business de sérigraphie a planté. J’ai décidé que devenir designer graphique serait un moyen créatif de gagner de l’argent tout en conservant mes rêves artistiques. J’ai commencé dans ma sphère d’intérêts de subculture, comme le skate et la musique. Quand mon activité a pris de l’ampleur, ça a permis à mes projets artistiques d’en prendre aussi, via l’impression d’affiches et de stickers. La plupart des compétences acquises comme designer ont nourri mon art. En ce sens, ma carrière de designer et celle d’artiste sont liées. Mais pas sur le plan philosophique. Mes travaux d’artistes sont plutôt destinés encourager les gens à consommer raisonnablement. Je ne suis pas anticapitaliste, mais je suis contre une consommation sans réflexion. Et dans cet ordre d’idée, mes travaux peuvent s’opposer à la pub. En fait, j’encourage les gens à évaluer leurs besoins réels et leurs priorités face au pouvoir de séduction d’une pub ou d’un produit.

Entretien Anne-Valérie Hoh


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