superCannes – N°05

superCannes05Chapeau, «The Artist» !

 

Michel Hazanavicius réussit le grand divertissement cinéfétichiste ET bien sapé qu’il promettait depuis La Classe américaine.

«Essayez de raconter votre histoire, même sans ouvrir la bouche. Vous devriez pouvoir le faire, vous êtes un grand acteur » : ça, c’est Robert Redford qui le dit à Clark Gable dans la Classe américaine, montage-collage d’extraits de films façon Les Cadavres ne portent pas de costards, réalisé par Michel Hazavanicius et son comparse Dominique Mézerette qui, à l’époque, avaient réquisitionné les doubleurs officiels d’acteurs hollywoodiens pour raconter l’histoire de l’homme le plus classe du monde. Vingt ans plus tard, la boite de prod’ montée par Hazanavicius s’appelle La classe américaine et le héros de The Artist, interprété par Jean Dujardin ne manque pas d’une certaine classe lui non plus.

Si les obsessions fétichistes du réalisateur des deux OSS 117 ne datent pas d’hier, elles ne sont pas seulement cinéphiliques, mais aussi vestimentaires. Deux des plus belles scènes de The Artist tournent autour d’un smoking vide qu’il faut remplir. Dans la première, Peppy la comédienne amoureuse, enfile une manche de la veste appartenant à la star, pour s’enlacer elle-même. Dans la seconde, déchu de son rang par l’arrivée du parlant, Dujardin admire son reflet dans une vitrine où est exposé un habit de soirée, en jouant sur le souvenir de sa gloire disparue.

The Artist pourrait, comme ça, s’inscrire dans la belle lignée des films référentiels dont les auteurs partagent leur amour du cinéma à travers l’évocation nostalgique de leur propre apprentissage cinéphilique. Les premiers muets, le grain de la pelloche, la couleur du ciel, le son mono, les transparences… au risque de se perdre en dérapages théoriques, mises en abyme pompeuses, clins d’œil faciles, artefacts poussiéreux façon pellicule grattée. Hazanavicius est plus intelligent. Son fétichisme ne se focalise pas sur les défauts mais sur les qualités du cinéma auquel il rend hommage. Comme si le muet n’était pas seulement une affaire d’époque, mais de choix esthétique. Pour le dire plus simplement : une affaire de goût.

The Artist n’est pas un plaisir théorico-onaniste. On s’y marre et s’y émeut autant des péripéties sentimentales que des trouvailles visuelles, des citations plus ou moins cachées, des jeux de miroir entre cinéma et cinéphilie, acteur et metteur en scène, spectateur et histoire du cinéma. D’autres se sont frottés au même petit jeu. On pense au Silent Movie de Mel Brooks, au Ed Wood de Tim Burton et, surtout, à la Rose pourpre du Caire. Aucun n’avait pourtant pris le risque de se confronter à ses modèles à armes égales. Sans le filet de la parodie. Sans le corset de l’hommage, sans les bretelles de la distanciation. Hazanavicius avait prévenu, il ne faut pas confondre la coquetterie et la classe (comme autrefois Je hais les acteurs). Ce qui force le respect, c’est qu’on l’y voit se poser les mêmes questions que ses prédécesseurs, (re)découvrir comme les génies de Pixar avec l’animation 3D (Wall-E, presque muet) ou James Cameron avec ses avatars numériques, que raconter des histoires, véhiculer des émotions et du sens avec le seul pouvoir primitif des images, ne représente pas seulement un défi artistique ou commercial. C’est un enjeu industriel.

Ceux qui comme nous ont pu ricaner à l’annonce d’un projet caprice mégalo/gadget, ceux qui ont refusé de le financer (les chaînes de télé), ceux qui y voyaient autre chose que le geste de cinéma qu’il est bel et bien, viennent tous d’avaler leur chapeau. La classe française.

GEORGE ABITBOL

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