superCannes – N°10

superCannes10La guerre est finie

Allez, allez, les enfants, on remballe, il est temps de rendre Cannes aux Cannois, non sans avoir tenté d’identifier les lignes de force entre sélection(neur)s, films et nos propres choix critiques.

Pour les durs à cuire aux mâchoires serrées qui forment l’équipe du SuperJournal que vous tenez entre les mains, l’expédition cannoise ressemble depuis cinq ans à une opération commando. Quand on dit ça à nos compagnes restées au pays, ça les fait bien rigoler, mais c’est ainsi qu’on le vit : une montée au front, une succession de batailles acharnées (chaque numéro), une vraie expérience de trauma et de camaraderie, quelque part entre Aventures en Birmanie, le Cri de la victoire et les Nus et les morts – pour se faire plaisir en citant trois films de Raoul Walsh.

Alors il y a dix jours, quand on a vu que la Semaine de la critique ouvrait les hostilités avec un long-métrage intitulé la Guerre est déclarée, on a eu le réflexe à prendre ce titre de manière très littérale, comme s’il s’adressait directement aux autres sections (notamment parallèles) du festival de Cannes. Et avant-hier, quand le prix de cette même Semaine a été attribué à Take Shelter (« aux abris »), on s’est dit que ça faisait beaucoup de hasards pour une seule édition. Question : la guerre de Cannes a-t-elle eu lieu ?

Les trois sélectionneurs rivaux Frémaux/Bergeon/Boyer protestent qu’entre eux, on se donne plus volontiers dans le dos des tapes affectueuses que des coups de couteau. Pourtant, à l’heure des clôtures, certains d’entre eux s’apprêtent à parader sous les confettis tandis que les autres panseront leurs plaies et lècheront leurs blessures. Il y a six mois, dans nos colonnes mensuelles, Thierry Frémaux expliquait qu’il n’est pas là pour « mettre une institution comme le Festival de Cannes au service de ses goûts personnels. » Assis sur un coin d’escalier écrasé de soleil, Frédéric Boyer, en pleine crise de confiance, encaisse. Mais il professe une approche inverse, une sorte de jusqu’au-boutisme « ligne dure » : mourir avec ses idées, être « fidèle à ses goûts, » jouer la carte de la sincérité et de l’absence de calcul. De son côté, le boss en partance de la Semaine Jean-Christophe Bergeon reste fidèle à son mantra : « ça ne sert à rien d’avoir raison contre tout le monde », synthèse qu’il balance avec l’aisance tranquille que lui confère son succès 2011, remporté presque sans combattre face à sa rivale du Théâtre croisette.

In-extremis, le bal des clôtures inverse un peu les perspectives. Tandis que la Semaine (Biolay) et l’Officielle (Honoré/Deneuve) jouent la carte exclusive du Grand journal de Canal +, la Quinzaine se clôt paradoxalement avec son film le plus « ouvert », les Géants de Bouli Lanners, une virée adolescente qui s’écoule comme une sorte de Stand by Me flamand, à la poursuite d’un rêve americanesque transposé au Plat pays. En un film, la Quinzaine s’éloigne de son austérité velléitaire de « cinéma qui se mérite » pour tenter l’échappée généreuse, la pirouette enchantée, comme on agite un drapeau blanc ou qu’on lance une main tendue. Pas sûr qu’il ne soit déjà trop tard.

Après la bataille, reste à désigner les films vainqueurs. Take Shelter ici, Guilty of Romance là nous ont semblé très au-dessus du lot. En compèt’, on a perdu notre chouchou Sorrentino (Palme Technikart en 2008 avec Il Divo) sur la ligne de front qui sépare Fellini de Wenders. On plante donc notre drapeau définitif sur Malick, The Artist et l’Apollonide, trois films que tout sépare et sur lesquels on a le sentiment d’avoir eu raison non pas contre tout le monde mais jamais avec les mêmes, ce qui est quand même vaguement déstabilisant. Dans la critique aussi, il nous faudrait une bonne guerre.

LH

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