superCannes – N°09

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Dans Orange Mécanique, on soigne le héros violent en lui assénant des films de propagande nazie. LVT aurait-il organisé exprès son suicide médiatique le jour où Stanley Kubrick est enfin cannoinisé, où le hasard rend-il une justice posthume aussi hallucinante que méritée

A quoi ça se résume, un grand cinéaste, une grande carrière, une œuvre ? A quoi ça se compare ? A quoi ça se juge ? La modernité, l’invention, la virulence, l’intelligence, la beauté, la grâce, la profondeur, la vision, la poésie, la pérennité, l’influence… Un tas de critères plus ou moins flous, très subjectifs surtout, d’un individu, d’une époque, d’un contexte à l’autre. Il y a un critère, un seul, qui ne devrait jamais compter. La reconnaissance. Qu’elle vienne des festivals, des critiques ou des concours. Stanley Kubrick est mort depuis dix ans et le voilà enfin sur la Croisette avec un film qu’on dit toujours subversif, violent, visionnaire, quarante ans après sa réalisation. Le teenager proto-faf au chapeau melon qui faisait s’évanouir les dames, s’indigner les censeurs et s’exciter les lads est aujourd’hui un vieillard distingué auquel on offre des jolis caméos sans paroles comme on donne un chocolat à sa grand-mère. Stanley Kubrick est mort depuis dix ans, avec le regret probable de ne jamais avoir été invité. Il serait venu. S’il avait tourné pour la gloire, sa filmo serait probablement plus longue. Mais il aimait, comme tout le monde, qu’on apprécie son talent, qu’on reconnaisse ses efforts, qu’on loue son inspiration. Ça aurait probablement influencé sa carrière, et pas forcément dans le bon sens. Il faudrait enquêter, mais Foubert, du service investigation, est occupé à décrocher des anecdotes croustillantes auprès de toutes les femmes de chambre de la Croisette, sur le comportement des politiques en milieu de Suite Présidentielles Cannoise. Kitano, étrillé l’an dernier était autrefois porté aux nues pour les mêmes raisons qui lui ont valu une mise au rencart probablement définitive. Triste outrage ! Heureusement, ça n’est jamais arrivé à Stanley Kubrick. Jamais invité ? Peu crédible. Sans doute les conditions n’ont jamais été réunies et c’est sans doute mieux. Ça ne l’a pas empêché d’être le plus grand. D’être quand même partout, dans tous les films. Dans la tête de chaque réalisateur, tout le temps, de manière plus ou moins consciente, revendiquée, apparente. Le bouffon qui pense que le Fürher était un homme affable nous a servi sa soupe rance à base d’alignements de planètes. Pas de bébé cosmique comme dans 2001, mais une collision, un crash stellaire, qui parlait sans doute moins de l’avenir de l’humanité que de la carrière de l’auteur, emportée par son inertie contre le mur de sa propre suffisance. Les grands festivals font cet effet, aussi, comme une drogue. On devient accro, on travaille pour en être, y briller, et puis on oublie qu’en fait, ça n’existe pas. Kubrick n’est jamais venu à Cannes. Il a évité ça. Terrence Malick aussi alignait les planètes cette année et, plus malin, il a laissé son film parler à sa place. Ça fait une putain de différence. Parce que Terrence Malick n’a pas besoin de faire le zouave devant une centaine de journalistes pour être un cinéaste important. Il n’a pas besoin de se la péter punk pour créer la controverse. C’est bizarrement ce qui nous a le plus marqué cette année. L’un des grands auteurs américains les plus consensuels de la décennie a créé la polémique avec un poème chrétien illuminé. Un agité du bocal pseudo-sulfureux danois a jeté un vague froid avant de se faire jeter dans l’indifférence générale. On lui a repris son accred’, probablement pour toujours, probablement pour son bien. Et c’est tombé justement le jour de la présentation d’Orange Mécanique. Même à Cannes, il arrive donc que les astres s’alignent à la perfection. Enfin voilà, ça y est, Kubrick est à Cannes. Ils l’ont eu, finalement.

David Martinez

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