superCannes – N°08

superCannes08La tyrannie du choc

Polarisée entre la douceur de « Melancholia » et la conf’ de presse kamikaze de Lars « I’m a Nazi » Von Trier, la journée d’hier illustrait à quel point la question du « film scandale cannois » est devenue une impasse théorique en même temps qu’une mauvaise blague.

« Vas-y Bruno, choque-nous, on est prêt ! », ricanait un spectateur lundi matin alors que commençait la projo du nouveau Dumont. Révélant, entre deux gloussements, cette effroyable vérité : le « film-scandale cannois » est une blague. Rien d’autre qu’un vilain marronnier, que tout le monde guette en une sorte de posture festivalière schizophrène, qui consiste à n’attendre que lui pour ensuite mieux en parler en se pinçant le nez. Cette année d’ailleurs, presque caricaturalement, un film sur deux présenté ici le porte potentiellement en son sein, ce scandale, de l’histoire de la putain lobotomisée de « Sleeping Beauty » à celle du pédophile autrichien de « Michael », en passant par le crescendo de violence clinique de « Code Blue ». Nous aussi, comme le type d’â côté à la projo du Dumont, on trouverait presque ça marrant, s’il n’était aussi déprimant de constater à quel point le film choc est devenu un genre en soi, théorisable, codifié, canonisé. Complètement exsangue surtout, comme les réactions outragées censées l’accompagner. Penser à demander ce qu’il en pense à Malcolm McDowell demain, à l’occasion de la projo patrimoniale de la copie HD d’« Orange Mécanique ».

S’il y en a un que les effluves rances du parfum de scandale n’ont jamais écœuré, c’est Lars Von Trier. Quasiment tous ses opus ont été présentés ici, c’est Cannes qui l’a fait exister en salle gosse-trublion-fouteur de merde. Esthète et propagandiste du film-coup-de-poing, un rôle qu’il n’a jamais refusé de jouer depuis vingt-cinq ans. C’est son destin, sa croix, son job, et sans doute, pour lui, une façon très tordue de prendre son pied. En 2009, le barnum porno-sulpicien « Antechrist » visait une sorte d’apogée maboule du « scandale cannois ». Spectateurs horrifiés, cris de stupeur, rires nerveux dans la salle. Une façon comme une autre de remplir le contrat. Trois jours après la projo, le film était encore dans toutes les têtes, la Croisette ne parlait que de ça (les coups de bûche sur la bite à Dafoe, le clitoris charcuté de Charlotte), LVT avait gagné son pari. Mais la mécanique hystérico-déglinguée d’« Antechrist » disait aussi, surtout, qu’il était temps pour tout le monde, Lars le premier, d’aller voir ailleurs.

Ailleurs, c’est exactement par là que se dirige « Melancholia ». Hier, pourtant, au moment de parler du film, Von Trier a décidé de s’asseoir sur le siège qu’il a toujours occupé, dans les habits de clown médiatique rincé qu’il croit que le monde (enfin, Cannes) aime le voir porter. Ses sorties lamentables en conf’ de presse sur Hitler et Israël révélait d’abord l’épuisement de l’homme, mais disait aussi quelque chose du système qui l’a créé. Le plus moche, c’est que « Melancholia », tout naze et lourdingue qu’il est par ailleurs, résonne comme un possible renouveau. C’est un film plus doux, plus sage, un peu plus ample que les précédents, un peu moins travaillé par des questions idiotes de délire arty et de transgressions conceptuelles pinpin. Dans son emploi habituel de pauvre petite fille riche, Kirsten Dunst y assiste à la fin du monde, un sourire triste aux lèvres, comme pour encourager l’apocalypse qui s’annonce. Le message était clair : on n’avait pas besoin d’un seppuku médiatique pour y lire un autoportrait de l’enfant terrible en diva dépressive.

Fréderic Foubert

Léonard Haddad

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