THE WIRE MIS SUR ECOUTE

Paru dans le Hors Série Stv de Technikart – 18/07/2008

La meilleure série noire de l’histoire de la télé câblée a fini son run de 5 saisons sur HBO. Manquait plus que 16 pages dans “Technikart”, où ses principaux créateurs disent tout sur Baltimore, le polar, la crise urbaine de la Côte est et le déclin de l’empire américain. Attention, vous êtes “Sur écoute”…

Les vieux disaient « les jeunes ne lisent plus ». On pourra dire un jour « les jeunes ne regardent plus la télé » dans le même genre de regret vieux con. Avec The Wire, l’ambition littéraire, la tragédie grecque et le grand roman américain sont allés se nicher dans le petit écran pour 60 heures de drame social et de mythologie urbaine. Pendant que l’ogre Soprano festoyait à la table de l’inconscient collectif pop culturel, son seul rival restait dans les rues de Baltimore à bouffer du crabe, à se geler sur les docks ou à crever dans une ruelle aux trottoirs jonchés de seringues usagées et aux murs criblés d’éclats de balles pas perdues pour tout le monde. En cinq ans, David Simon, Ed Burns et un casting inégalé ont créé une cité monde, quelque part entre les visions urbaines des grands peintres flamands Bruegel et Bosch, les mythes bibliques de Babel, Sodome et Gomorre, les ghettos du XXe siècle et n’importe quel autre exemple d’humanité parquée en train de pourrir sur place et de se vider d’elle-même.

DIMENSION POLITIQUE ÉVIDENTE
Quelques images clefs : un canapé au milieu des « Tours » de la cité où la drogue s’échange pendant la saison 1 ; les docks déserts de la saison 2, zone inerte dont on peut imaginer qu’elle grouilla jadis d’activité humaine ; les maisons désaffectées transformées en sépultures dans la saison 4 ; les « dortoirs » à ciel ouvert des homeless dans la saison 5 ; et bien sûr Hamsterdam dans la saison 3, quatre coins de rue transformés en paradis de la dope légalisée et en enfer sur Terre par un idéaliste désespéré… Du coin de la rue (corner en v.o.) au bout de la route, il y a la fin du travail, la fin de Dieu, la fin de l’histoire, la fin du rêve. Le rêve, ce vieux truc américain qu’un Noir célèbre transforma jadis en discours historique.
Quarante ans après la mort de Martin Luther King, la concomitance de la fin de The Wire et de l’ascension de Barack Obama est une coïncidence pleine de sens. La dimension politique et raciale de la série prend subitement corps dans ce Black porteur de l’espoir collectif dans un pays dominé par les Blancs. Exactement comme Thomas Carcetti, politicien blanc dans une ville à majorité noire, semble au cours des saisons 3 et 4 pouvoir s’identifier sincèrement à son credo réformiste. Une fois élu maire de Baltimore, il se retrouve face à la dure réalité du pouvoir, qui prend la forme de l’empreinte de son cul dans un gros fauteuil de cuir. Une fois de plus, le rêve passe. Dans l’Amérique des temps modernes, on finit toujours par se réveiller.
UN TISSU SOCIAL RONGÉ JUSQU’À L’OS
The Wire est ce wake-up call que personne n’entendra jamais. Ses auteurs ont vu ce dont ils parlent. Ils en sont les témoins, aux deux sens du terme : observateurs privilégiés, ils sont prêts à aller à la barre jurer devant Dieu de dire la vérité, rien que la vérité. Et aussi, bien sûr, de l’écrire et de la filmer. Eux, ce sont David Simon, ex-reporter spécialisé dans les affaires criminelles, et Ed Burns, ancien flic aux homicides puis prof dans les quartiers. « Le personnage central de The Wire, c’est Baltimore », nous dit David Simon comme une évidence, presque comme un cliché. Mais le sujet, lui, est un désastre urbain qui frappe les États-Unis tout entiers et menace l’Occident, la déchéance d’un tissu social mité, décrépi, dévasté par l’injustice, la perte de sens et les effets dominos. À la fin, tout est par terre, plus rien ne tient debout, parce que les fondations (travail, éducation, justice, démocratie) ont lâché. Reconstruire est un rêve qui ne se réalisera plus.
WAY DOWN IN THE HOLE…
On se réveille donc, et on se frotte les yeux. Il fait un froid de chien, ce matin, mais le soleil nous le ferait presque oublier. Au loin, on entend les klaxons des cargos. Plus près, les plaintes des junkies au fond des ruelles et les sirènes de police, signe que les flics arrêtent peut-être quelqu’un même s’ils ne stoppent jamais personne. Quelqu’un chante « Way down in the hole » de Tom Waits, avant fondu au noir. David Simon, Ed Burns, George Pelecanos, Clark Johnson et Wendell Pierce nous racontent Sur écoute. On ouvre grand les oreilles, et les guillemets.

DÉBUTS
David Simon (créateur de The Wire) : Quand on a débuté sur HBO, les Soprano n’étaient pas encore diffusés mais il y avait déjà eu Oz, la série qui a tout changé. Leur état d’esprit était « du moment que c’est bien, il n’y a rien qu’on ne puisse pas vendre à notre public ». Et voilà que j’arrive avec mon casting à 60 % black, mes histoires de dope filmées à Baltimore et mon intrigue imbitable jusqu’à l’épisode 4… Une sacrée façon de les prendre au mot !
Ed Burns (ex-flic, co-auteur, coproducteur) : J’ai rencontré David à la fin des années 80. Il bossait au Baltimore Sun et il a réussi à convaincre la hiérarchie policière de partager pendant un an le quotidien des flics. Personne n’avait jamais obtenu un truc pareil. Quand le papier est sorti, il y avait toute une partie sur les mecs des rues, les petits dealers. J’arrivais moi-même à la fin de ma carrière de flic et j’étais stupéfait de voir enfin le problème par l’autre bout de la lorgnette, depuis la rue. Dans The Wire, il s’agit d’abord de mettre un peu de chair sur des stéréotypes, qu’on parvienne à voir D’Angelo, Bodie, Wallace ou Stringer comme des êtres humains plutôt que comme des voyous avec des bonnets sur la tête.
David Simon : À la télé, j’avais fait mes armes sur Homicide, auprès de Tom Fontana, une adaptation du bouquin où je racontais mon expérience de reporter auprès de la police. J’avais été impressionné par une enquête à base d’écoutes téléphoniques menée par Ed Burns, qui s’était achevée par une condamnation d’un baron de la drogue à 34 ans de prison. En mélangeant ça avec ma minisérie sur les junkies de la rue intitulée The Corner, j’avais mon point de départ : parler de Baltimore et par extension de la ville américaine, voire de l’Amérique tout entière, de son incapacité à résoudre ses problèmes et même à les regarder en face. Le genre policier doit être le moteur de quelque chose de plus vaste, comme Les Sentiers de la gloire est un film de guerre et un film de procès, mais surtout une réflexion sur la politique du XXe siècle, qui se demande si les institutions sont au service des individus, ou l’inverse.
Wendell Pierce (William « Bunk » Moreland) : Dès la lecture du pilote, ce qui distinguait d’emblée le show de tous les autres trucs de flics, c’était l’application très stricte par Ed et David du précepte « Écris sur ce que tu connais ». Pour les acteurs, c’est un élément capital. J’ai rencontré le vrai Bunk quelques fois. Il a pris sa retraite l’an dernier, je suis allé lui rendre hommage. J’étais hyper nerveux, je ne savais pas du tout comment je serais accueilli. On m’a ovationné, on m’a demandé un speech… Tous les flics que j’ai rencontrés depuis The Wire me tapent dans le dos en me disant : « C’est la première fois qu’on montre notre vie telle qu’elle est. » Et les mecs de la rue, c’est pareil.

SAISON 1
EB : On ne voulait surtout pas d’une exposition classique. Pas le temps. Mais on ne peut pas laisser le spectateur dans le noir complet. Non, l’idée est de l’amener dans une allée sombre, en pariant qu’il finira par s’y repérer. Je ne peux pas arrêter mon histoire pour vous expliquer ce qui se passe.Vous devez monter dans le train en marche, même si ça vous prend quatre ou cinq épisodes à courir derrière… Comme dit David, c’est un show qui se regarde en se redressant sur son siège, pas en s’affalant sur son canapé.
Clark Johnson (Gus Haynes, réalisateur du pilote) : J’avais déjà tourné plusieurs pilotes de séries de flics. Notamment pour The Shield. Sur The Wire, j’ai tourné le pilote et les deux suivants, plus le tout dernier épisode de la saison 5, histoire de boucler la boucle. J’ai eu la charge de définir l’esthétique du show. De par leur parcours, Ed et David se foutaient pas mal des influences du cinéma. Moi pas. Sur The Shield, comme sur Homicide dans lequel je jouais, le principe était que la caméra soit « embarquée » comme un journaliste de guerre, qu’elle ne fasse qu’une avec l’équipe de flics. Pour The Wire, on a imaginé l’inverse : un style lointain, le plus détaché possible. On peut entendre ce que les gens disent, peut-être encore mieux que si on était dans la même pièce qu’eux, mais ils l’ignorent. La caméra et le spectateur les observent. Le modèle ? Conversation secrète de Coppola.
DS : L’argument des flics qui traquent des trafiquants nous servait surtout à montrer combien les deux institutions fonctionnent de façon similaire au niveau de l’organisation pyramidale du travail et du middle management (les cadres moyens). On avait conscience que le show prenait forme au 5e épisode, quand la mise en parallèle thématique des deux mondes devenait apparente. Jusque-là, la structure était très morcelée, pas facile à suivre. C’est comme dans un livre : on pose un contexte de façon impressionniste avant d’arriver au cœur du sujet. Mais l’ensemble a « cliqué » plus tôt que prévu, un épisode plus tôt en fait, avec la scène des « fuck ».
WP : Cette scène est l’un des plus grands moments de ma vie. Je n’aurais pas cru possible de dire ça d’une simple scène, mais c’est le cas. Chaque jour, on m’arrête dans la rue en me disant : « Vous savez quelle est ma scène préférée ? Celle dont je ne peux pas dire le titre… »
DS : Un pote lieutenant m’avait fait rire en me disant qu’il était possible de communiquer juste avec ce mot, « fuck », selon les intonations qu’on lui donnait. Ça peut vouloir dire « wow » ou « oh putain… », « génial ! » ou « merde ! » ou des tas d’autres choses. Ed est parti l’écrire sur cette base. De toute façon, on allait nous tomber dessus pour le niveau de grossièreté du show, c’était une bonne façon de leur dire d’aller se faire foutre.
WP : David nous a expliqué la scène. Il nous a dit, McNulty va à tel endroit et dit « Tiens, un éclat de balle », puis Bunk va à l’autre bout de la pièce et dit « Il a dû tirer de là », etc. À la fin de son exposé, il a dit : «Voilà, maintenant vous remplacez tous les dialogues par “Fuck”, et on a notre scène. » C’est comme ça que naît ce qu’on appelle un « classique instantané ».
EB : J’ai écrit la scène avec quatre ou cinq « fuck » grand max. Sur le plateau, Wendell et Dominic ne s’en sortaient pas, ils avaient besoin d’en rajouter ici et là pour se sentir un peu moins abandonnés. Je leur ai dit : « Et vous vous prenez pour des acteurs ? »
WP : On a demandé si on pouvait ajouter quelques petites variations : « Dites donc, les gars, ça vous embête si je dis “motherfuckin“ là, et “Holly Fuck !”ici ? » On a fini par en rajouter encore quelques-uns en post-synchro.
DS : À la fin de la saison 1,on était sur le point de tuer le personnage de Kima. Une des productrices de HBO m’a dit : « Vous tuez le mauvais flic ». Parce que la fliquette lesbienne était un des rares bons personnages de filles qu’on avait. Elle nous a convaincus. L’envoyer à l’hôpital suffisait à amener McNulty là où on le voulait psychologiquement. Et on a continué avec Kima. Mais nous savions déjà que certains personnages clefs allaient disparaître rapidement. Comment faire autrement vu ce qu’on racontait ?
George Pelecanos (écrivain, coauteur, co-poducteur) : Les fans aussi ont fait pression sur les forums internets du show. Mais la « mort » de Kima reste l’un des plus beaux moments de toute la série.

SAISON 2
EB : David était convaincu que si on restait dans le ghetto pendant la seconde saison, on se condamnait à y rester pour toujours. Alors que si on partait ailleurs, the sky was the limit.
DS : On a pris le contre-pied de la saison 1 en plantant notre caméra dans cette communauté de dockers blancs d’Europe de l’Est. Et évidemment, c’est la saison qui a eu la meilleure audience de toute la série… On me dit qu’on a tenu cinq ans parce que c’était le show préféré de la communauté black, mais aux États-Unis, ce genre d’argument reste à double tranchant…
WP : Un cast black comme ça, c’est vrai qu’il n’y en avait jamais vraiment eu. Andre Royo, qui joue le junkie Bubbles a immortalisé ça en faisant une photo de groupe avec tous les acteurs blacks de la série, pour montrer notre richesse et rappeler que si nous n’avons pas eu la reconnaissance qu’on méritait avant cette série, c’est bien pour des raisons raciales. On chambrait les acteurs blancs en leur disant qu’il fallait qu’ils s’y fassent : « C’est notre tour, désolés. »
EB : L’idée des docks est venue d’une scène de McNulty, au début de la première saison, où le sergent lui demande où il détesterait le plus aller… Il répond : « Sur un bateau ! J’ai horreur de l’eau et de l’essence. » Comme on le met au placard à la fin de la saison 1, l’endroit était tout trouvé. De là sont venus les docks.
DS : Et des docks, la famille Sobotka, le père syndicaliste, le fils Ziggy et le neveu Nicky qui essaient de s’en sortir alors que le travail a foutu le camp. C’est le moment où nous avons commencé à nous rendre compte que pour bien traiter McNulty, le mieux était parfois de le mettre de côté. Que son absence pouvait servir son « arc » narratif plus encore que sa présence. Et on a gardé cette espèce de va-et-vient tout au long du show, jusqu’à le faire quasiment disparaître à la saison 4.
EB : Des docks, on savait très peu de choses, juste que c’était l’un des derniers endroits de Baltimore où il y avait encore des ouvriers blancs. Tout est contenu dans la première scène des dockers dans un bar. Tu vois la joie des ouvriers, leur camaraderie, le gouffre qui sépare les générations… et la bite de Ziggy !
DS : Cette scène est d’une durée inconcevable en télé, mais elle est conçue pour vous présenter l’univers où toute la saison va se dérouler. C’est une scène sur la dignité du travail, la dignité de ces vieux mecs qui ont fait leur carrière quand le port était viable, ce qui leur donne un ascendant immense sur les plus jeunes, auxquels cette forme de vie est déniée. Alors bien sûr, ça devient aussi une question de virilité…
EB : Quand je suis allé faire des recherches sur place, j’ai d’abord rencontré les mecs qui dirigent les docks, derrière leurs ordinateurs. Je leur ai demandé : « Est-il possible de voler un cargo ? » Ils m’ont répondu « Oh, grands dieux non » ! On est allé voir des dockers, les petites mains et les gros bras du port. On leur a posé la même question : « Est-il possible de voler un cargo sans se faire prendre ? » Ils ont répondu : « Choisissez donc celui que vous voulez… » Là, j’ai su qu’on tenait un truc. Sans compter la famille Sobotka : de l’or en barre. Que se passe-t-il quand un jeune mec ne peut pas accéder à la vie de son père, qu’on lui interdit en quelque sorte de prendre sa suite ? Il y a une énergie dramatique inouïe dans cette simple situation.
DS : Il fallait du courage pour s’éloigner à ce point du cadre de la saison 1… On gardait les anciens, parce qu’on savait qu’on y reviendrait dans la saison 3, mais on imposait de nouveaux héros et le vrai thème de la série : la fin de l’empire américain, à travers la dissolution de son pacte social. C’est sans doute le meilleur truc qu’on ait fait. On a recommencé le même coup ensuite, mais ce n’était pas la même chose, nous avions déjà annoncé nos ambitions.
WP : Nous, les acteurs, on devait comprendre ça. Qu’on pouvait ne pas apparaître pendant un ou deux épisodes, voire plus. Qu’on servait un propos, une histoire, et qu’il fallait mettre notre ego de côté. Même si j’ai pu être frustré que ma storyline ne soit parfois pas plus mise en avant, comme la contribution de Bunk à la résolution de l’enquête sur les 22 cadavres dans la saison 4. C’est puéril, mais qu’est-ce que vous voulez ?
DS : Juste avant le début de la saison 2, le maire de Baltimore, Martin O’Malley, m’a appelé pour me dire que notre permis de tourner ne serait pas renouvelé. J’étais au parking avec George Pelecanos qui tenait son café à la main. On est resté bloqués là pendant 45 minutes sans pouvoir monter au bureau, parce que les portables ne captent pas dans l’ascenseur… Je lui ai expliqué que le gouverneur nous avait déjà donné son autorisation pour filmer les docks et les scènes d’entrepôts à Baltimore County, qui font partie d’une autre juridiction. Restait les scènes de rue. S’il fallait aller ailleurs, ça ne me gênait pas plus que ça, ça allait juste me coûter le prix du transport de l’équipe dans la ville d’à côté. « Alors c’est Philadelphie qui aura l’argent du tournage ? – Oui. » Il y a eu un gros silence et il a dit : « Bon, je vais reconsidérer la question. » Il a raccroché, et je ne lui ai plus jamais parlé. Aujourd’hui, il est gouverneur du Maryland. Et oui, il nous a en partie servi à écrire Tommy Carcetti, le jeune politicien blanc qu’on a lancé dans la saison 3.

SAISON 3
EB : L’idée de Hamsterdam remontait à The Corner : tous ces mecs stone, est-ce que ce ne serait pas mieux de tous les mettre au même endroit ? Ils seraient tranquilles et la ville aussi, tout le monde aurait une paix royale.
DS : Ed a ajouté : « Pour l’alcool dans les années 30, ils avaient inventé les sacs en papiers marrons dans lesquels tu dissimulais ta bouteille, et la police regardait de l’autre côté. Il faudrait inventer la même chose pour la drogue. » On a imaginé ces quatre coins de rues transformés en lieu où la drogue était de fait dépénalisée. Nous avons appelé l’endroit Hamsterdam, en référence aux villes européennes où ce genre de truc a été tenté.
GP : C’était une idée d’écrivains libéraux… Je me souviens de discussions entières autour d’une table, où on se demandait comment agir pour lutter contre les ravages de la drogue si on était au pouvoir. C’est Richard Price qui a écrit le speech du paperbag (sac en papier).
EB : C’est sur cette saison que des gens comme Pelecanos, Price et Lehane ont intégré nos séances d’écriture. C’est devenu un vrai travail d’équipe, de feedback et d’adaptation à la réalité. Je me souviens d’une fois où j’avais écrit une scène avec un personnage qui portait un blouson rouge. Sur le plateau, il était vert, j’étais furieux. Et Pelecanos m’a dit ce truc, que je n’ai pas oublié : « Si tu tiens vraiment à la couleur du manteau, écris des romans. »
GP : On a apporté notre approche de romancier à la télé. Les épisodes sont comme des chapitres. Nous pouvions creuser les personnages, s’attarder sur des détails, le contexte, tenter de créer un monde réaliste, pas un monde « TV ».
DS : Pelecanos avait écrit un ou deux épisodes dans les deux premières saisons. Ma femme, Laura Lippman, qui est elle-même auteur de polar, me l’avait conseillé en me disant qu’il avait une approche similaire à la mienne. Par chauvinisme baltimoresque, je me méfiais des pièces rapportées venues d’autres villes. Mais je l’ai lu, et j’ai compris. On parlait de la même voix. À la fin de la saison 2, il a intégré le staff de la production. C’est là qu’il m’a dit : «Tu sais, David, on pourrait avoir Richard Price ».
GP : Richard faisait une lecture de son roman Le Samaritain à Washington. David et moi avons assisté à la lecture. À la fin, on l’a rejoint en coulisse pour lui demander s’il accepterait d’écrire pour la série. Dennis Lehane était un ami, je lui ai juste passé un coup de fil pour qu’il nous rejoigne.
DS : Price, je l’avais rencontré une fois, des années auparavant, mais ça ne me serait même pas venu à l’idée de lui proposer quoi que ce soit, vu la différence entre les cachets de la télé câblée et ce qu’il touche pour des films à Hollywood. Mais avec George à nos côtés, on se sentait déjà plus crédibles. Et une fois qu’on l’a eu, on est devenus arrogants. « On veut Lehane aussi ! »
EB : C’est sans doute ma saison favorite, parce qu’elle parle de la difficulté de réformer un pays qui ne comprend rien à la réforme. Les dés sont pipés. Ce n’est pas pour rien qu’on est le pays où on prend le plus de médocs. À chaque problème, hop, un médoc. C’est le culte du quick fix, la guérison minute. Dans le domaine social, le quick fix ne peut pas marcher, c’est un processus à long terme. Ceux qui veulent changer les règles du jeu en profondeur, on les neutralise d’une façon ou d’une autre…
DS : La saison 3 racontait l’histoire de deux mecs qui tentent de réformer le système, chacun de son côté. Bunny Colvin, le major en fin de carrière, qui met en place Hamsterdam en le cachant à sa hiérarchie ; et Stringer Bell, le dealer qui cherche à transformer le trafic de drogue en business rationnel et presque légitime.Il fallait nécessairement montrer comment l’un et l’autre allaient être détruits. Nous aussi, on aimait Stringer et ce qu’en avait fait l’acteur Idriss Elba. Mais qu’y pouvait-on ?
EB : Le personnage de Stringer était clos. Alors on lui a offert ce que méritent les grands personnages : une grande scène de mort.
WP : David et Ed sont politiques, mais ils ne te demandent pas d’être d’accord avec eux. De toute façon, un acteur ne peut pas jouer un message, il ne peut jouer que des scènes. Ceci étant, quels que soient les avis des uns ou des autres, le show parle à tout le monde, parce qu’il montre la ville telle qu’elle est, sa démographie, les problèmes réels auxquels elle fait face.
DS : On n’a pas besoin d’être des gauchistes pour être dubitatifs sur la capacité de ce pays à affronter ses problèmes. Ce qui était nécessaire, c’est qu’on soit d’accord sur le diagnostic et tous conscients que le modèle social américain a touché ses limites. Le show n’est pas cynique, ni désabusé, mais lucide. Oui, la troisième saison est celle où la critique politique tape le plus fort.
GP : On a toujours nié que Tommy Carcetti était un décalque du maire Martin O’Malley, mais il faut admettre qu’on jouait un peu aux cons… Son rapport à la police, son obsession des stats, sa politique sécuritaire, ça lui ressemblait quand même beaucoup ! Mais je ne crois pas qu’on ait eu une démarche cynique. La preuve : mon personnage favori est Cutty, le boxeur ex-taulard en quête de rédemption. C’est le seul personnage que j’ai créé moi-même, il vient de mon bouquin Drama City : j’avais fait pas mal de recherche sur les types qui sortent de prisons et j’adorais l’acteur. Dans toute cette noirceur, il fallait bien que quelqu’un incarne la possibilité de s’en sortir.

SAISON 4
GP : Je ne l’ai pas produite, alors je peux le dire tranquillement : la meilleure saison est la 4e , de loin. C’est la plus belle, la plus déchirante et ce fut aussi la plus difficile à écrire…
DS : Pour celle-là, on se retrouvait avec cette équation : c’est The Wire, mais il n’y a pas d’écoute, l’équipe d’origine est éparpillée, McNulty s’est mis lui-même en préretraite et il n’y a pour ainsi dire plus d’enquête du tout. À la place, on vous refile une bande de gamins… Autant dire qu’on prenait une sacrée liberté avec le concept d’origine.
EB : Stringer est mort. On a introduit Marlo, qui incarne la nouvelle génération des dealers, déconnectée de certaines valeurs. D’où vient-il ? De là où il y a des gosses… On se retrouve face au problème de l’école. Si on avait essayé de réunir l’équipe une fois de plus et de suivre le concept de l’écoute, ça aurait commencé à se voir… Alors nous avons décidé qu’on s’en foutait et on a mis le paquet sur les gosses, en se disant qu’ils porteraient la saison sur leurs épaules.
GP : Simon repassait sur tous les scripts. Le process était toujours le même : on les travaillait dans notre coin et il les réécrivait, les polissait pour uniformiser l’ensemble. J’ai toujours respecté ce système, sauf une fois : « Tu réécris tout ce que tu veux, mais tu ne touches pas à ce que j’écris sur les enfants. » Je les connais, je sais de quoi je parle. Je vis dans un quartier de mixité raciale où les mômes parlent comme ceux de la série.
DS : La saison 4 est un des sommets du show, c’est une évidence, mais j’ai une petite réserve : dès que tu parles de gamins, c’est presque trop facile, tu enclenches une sorte de mélodrame automatique qui ne peut pas rater. Ça me semble moins compliqué que d’essayer de montrer comment un maire idéaliste vend un par un des bouts de son âme.
GP : Pour moi, c’est justement très très dur, parce qu’il faut être très scrupuleux pour ne pas se laisser déborder par le sentimentalisme. Et on y est arrivé. C’était également cool de faire une saison sans McNulty. Dominic West est un merveilleux acteur, mais on en avait tous un peu marre de ce type qui passe sa vie dans les bars à parler de sa queue, ou à la sortir… Pour moi, McNulty est un super flic, mais ce n’est pas un mec malin. Il est peu conscient du monde qui l’entoure. Il est égoïste et à chaque fois qu’une affaire part en couille, c’est à cause de lui et de ses problèmes avec l’autorité.
DS : L’absence de McNulty devenait une façon magnifique de traiter le personnage… Pour nous, il a toujours été le personnage principal, mais dans cette saison-là, c’était le tour de Prez, le flic devenu prof. Ce qui est marrant, c’est que aussi bien McNulty que Prez sont inspirés de Ed Burns…
WP : Dans le cast, on se sentait tous à égalité. Dominic West est la première personne avec qui j’ai fait des lectures au casting, on a cliqué tout de suite, on se complétait parfaitement. On se foutait toujours de sa gueule : « Hé, n’oublie pas que tu es le héros de la série. » Mais au fond, personne ne voyait les choses comme ça, surtout pas lui. Enfin, peut-être que si on avait vu ses fiches de paie, on aurait réagi différemment…
CJ : Pour moi, McNulty représente la conscience du show. Mais c’est un ensemble cast, où chacun fait sa part. Regardez Wendell Pierce, Michael K. Williams (Omar)… Pendant le tournage du pilote, je disais à Andre Royo (qui joue le junkie Bubbles) : « Mon pauvre vieux, tu n’as aucune chance, ils vont te faire claquer… » Mais il était une pièce essentielle du puzzle, le point d’ancrage symétrique à McNulty. Et il est l’un de ceux dont le personnage a un arc très complet, du début à la fin de la série.

SAISON 5
WB : Les acteurs travaillaient séparément, les flics d’un côté, les mecs des rues de l’autre. Mais on faisait des fiestas tous ensemble. On était connus à Baltimore comme « les mecs de The Wire, [qui] font tout le temps la teuf’ ». Ensuite, on découvrait comment les mecs avec qui on buvait des coups se débrouillaient dans les scènes où nous n’étions pas. Je suis devenu fan de Wood Harris, Idris Elba, J.D.Williams en les voyant dans la série. À la fin, nous étions tous très très proches, et on en venait à se dire : « Mais au fait, toi et moi, on a déjà eu une scène ensemble ? » Et nous n’arrivions pas à répondre à cette question…
DS : Quand on a commencé à penser aux saisons 4 et 5, on était dans cette dynamique : une pour l’école, parce que Ed avait été prof, une sur les médias, parce que c’est de là que je viens. La dernière question politique de la série était celle-ci : si The Wire a exprimé quoi que ce soit de vrai jusqu’ici ; si dans notre société, la lutte contre la drogue est un vrai foutage de gueule ; si on a trahi nos ouvriers ; si on a rabaissé la dignité des travailleurs ; si on a construit un système incapable de se réformer ; si l’égalité des chances est un mensonge éhonté ; alors pourquoi personne ne réagit ? Une seule réponse : les médias n’informent pas le public. Le maire essaie de devenir gouverneur, il ment sur les stats criminelles, les stats de l’école, tout part en vrille mais les médias ratent tout, simplement parce qu’ils sont dans la même merde que les autres, dans la crise, bouffés par internet, les réductions d’effectif, la course au profit, la fin du journalisme. La conclusion logique de la série, c’est ça : est-ce que quelqu’un va sonner l’alarme ? Ben non, personne ne va se saisir du problème avec cohérence. Tout ce que le show raconte se passe vraiment à Baltimore. Les bidonvilles, la violence liée à la prohibition, le slogan « No Child Left Behind » de Bush qui a détruit l’école publique, tout cela est vrai et ignoré des médias. Dans notre version mythique de Baltimore, c’est la même chose.
CJ : Revenir pour jouer le journaliste dans la 5e saison, c’était comme rentrer à la maison. Mine de rien, le cast et l’équipe avaient très peu changé. Bill Zorzi, le pote de Simon au Baltimore Sun, qui y était resté cinq ou six ans de plus que lui et qui l’avait rejoint sur The Wire, était convaincu que mon personnage était calqué sur lui. Mais Simon aussi, je crois…
EB : Cette saison est un peu tronquée. On aurait eu besoin de trois heures de plus pour mieux développer certains trucs, au lieu de tout finir à la va-vite, avec des raccourcis sur pas mal de personnages. Mais c’est ce que HBO nous a donné. Ils voulaient déjà nous débrancher après trois saisons, puis quatre… Là, on a eu 10 heures et on y a perdu pas mal de nuances. Le journaliste malhonnête est une caricature unidimensionnelle, Lester se range à l’avis de McNulty d’une façon qui ne lui ressemble pas, etc.
DS : On nous a demandé si on pouvait boucler l’affaire en moins de 13 épisodes. Je n’étais pas sûr de mon coup. J’ai dit : « Je vais essayer en 10, mais ce sera peut-être 10h30. Je pourrai avoir un épisode de 1 heure et demi ? » On aurait sans doute remis plus de Cutty, le boxeur ex-taulard, et Prez, le flic devenu prof, mais ça aurait juste été quelques scènes. Je sais que Ed a été frustré, mais c’est moi qui ai pris la décision. Au final, ça a été beaucoup moins grave qu’on n’aurait pu le craindre.
EB : Comment conclure ce qui par définition ne peut pas se conclure ? Tu montres que c’est un problème cyclique, qui se reproduit d’une génération à l’autre. Il y aura toujours un Omar, une sorte de Robin des bois des rues qui se croit sorti d’un comics. Bubbles, le junkie, trouve sa rédemption ? On vous donne Duquan, le gamin qui plonge dans la dope… Sydnor va voir un juge pour lancer sa croisade perso, comme McNulty l’a fait cinq ans avant, et Carcetti est devenu pire que son prédécesseur à la mairie…
DS : O’Malley a eu tort de croire que je faisais une critique de Baltimore. J’aime cette ville, j’y vis toujours et la série raconte mon histoire d’amour avec elle. Je pense à cette scène où Bunk bouffe du crabe sur du papier journal, et au milieu des détritus, McNulty a le regard attiré par une dépêche… N’importe quel habitant de Baltimore se marre en voyant cette scène. Ce genre de moment délicat qui en dit tellement sur ce que nous sommes…
ENTRETIENS GAËL GOLHEN ET LÉO HADDAD

 

FAN DE !
Fabrice du Welz
«Comme toutes les séries HBO de la fin des 90’s, c’est l’écriture qui est fascinante. La mise en scène ne cherche jamais l’impact visuel. C’est sans fioriture, terne, froid, distant… Tout est dans la narration et dans les personnages. Cette série fonctionne sur le principe d’un roman épique. C’est du Tolstoï ou du Balzac: une gigantesque apnée dans la ville de Baltimore dont tous les rouages sont décortiqués. Chaque camp est dépeint avec une humanité dingue et on passe d’un dealer de 12 ans à un maire corrompu en campagne en un seul plan… Comme “Les Soprano” ou “Deadwood”, la grande force de la série, ce sont les personnages: j’adore McNulty, Omar ou Stringer. Ils m’habitent et je me prends parfois à me demander ce qu’ils font ou ce qu’ils deviennent.»

SAISON 1
POLICE MUNICIPALE, BALTIMORE
EN UNE PHRASE
Une équipe de flics de Baltimore met sur écoute les téléphones publics de la ville pour coincer un gang de dealers.
L’OUVERTURE
Dans une ruelle, sur les lieux d’un meurtre, le détective Jimmy McNulty discute avec un témoin assis sur des marches d’escaliers. Dialogue au cordeau, fatalisme («On était bien obligé de le laisser jouer au dé, on est en Amérique.»). D’emblée, la série se place sur un terrain théorique pour parler de l’impasse de la démocratie US.
WAY DOWN IN THE HOLE PAR…
The Blind Boys of Alabama. Tiré de l’album soul «Spirit of the Century», le titre est une version plaintive du classique de Tom Waits. Riff de guitare, blues éraillé légèrement laid back, solo de Musselwhite à l’harmonica: la chanson colle au plongeon moite et urbain dans les coulisses du trafic de drogue.
MCNULTY AU RAPPORT
Découverte du héros, de sa force, de ses faiblesses (mariage en vrille, alcoolisme) et de ses obsessions. Devant la puissance du gang Barksdale et son impunité, McNulty pousse la police de Baltimore à créer une unité pour le faire tomber. La traque peut commencer.
L’INSTANT CULTE
La scène des «fuck», forcément ; pour beaucoup le véritable point d’entrée dans la série. Gants stériles aux mains, Bunk (mâchouillant son cigare) et McNulty (sourcils relevés) sont en quête d’indices sur une scène de crime. Dans la cuisine de la victime, les acteurs Wendell Pierce et Dominic West, fabuleux, déclament leur dialogue unique comme du Shakespeare et mènent le «police procedural» vers des sommets d’abstraction.

SAISON 2
WHAT’S UP, DOCKS ?
EN UNE PHRASE
Alors que les docks de Baltimore sont en crise, le syndicaliste polonais Frank Sobotka tente par tous les moyens de maintenir à flot son fonds de soutien, au risque de se compromettre dans les pires trafics.
L’OUVERTURE
McNulty muté à la police du port se gèle sur un bateau en regardant les friches industrielles. Obligé d’intervenir lorsqu’un yacht de riches obstrue le chenal, il monte à bord et se laisse soudoyer par l’organisateur pour que la party se prolonge. Le thème de la saison est établi: lutte des classes, délabrement économique et corruption gangrènent tout. Misère…
WAY DOWN IN THE HOLE PAR…
Tom Waits ! Dans son album de 1987, «Frank’s Wild Years», le poète cabaret devenu crooner casserole réinvente la lutte éternelle que se livrent le Bien et le Mal pour le contrôle de nos âmes. «C’est la version d’origine et sans doute toujours ma préférée», avoue David Simon. «La voix ravagée de Waits est le symbole rêvé du délabrement du système social américain».
McNULTY AU RAPPORT
Affecté à la police du pot, sa carrière de flic est-elle définitivement tombée à l’eau ? Sa découverte du cadavre d’une jeune fille dans le chenal lance la saison. Mais, écarté de l’enquête, il erre de bitures en cuites, réduit à un rôle de bouffon drôle et dérisoire.
L’INSTANT CULTE
Le «montage» final, point d’orgue de chaque fin de saison, ici construit sur le «I Feel Alright» de Steve Earle et transformé en pur moment de cinéma. Les plans sur des chômeurs avinés, sur une Beadie écrasée de tristesse, sur Ziggy Sobotka en taule et sur le sénateur Clay Davis qui lance des chantiers crapuleux témoignent de la densité et de l’ampleur prises par la série. Un adieu déchirant aux docks et à l’innocence, vu par les yeux de Nicky Sobotka, les mains crispées sur un grillage existentiel.

SAISON 3
HAMSTERDAMNÉS DE LA TERRE
EN UNE PHRASE

Alors que Baltimore se prépare à élire son nouveau maire, un major en fin de carrière crée sans prévenir sa hiérarchie un quartier où la drogue est en vente libre afin de contenir la criminalité.
L’OUVERTURE
Bodie et ses potes dealers viennent assister à la destruction par le maire Royce des «Tours», la zone de non-droit où s’organisait jusque-là l’essentiel du trafic de dope de Baltimore. Casque de chantier sur la tête, Royce prononce un discours enflammé et démago («Chez moi, la réforme n’est pas un vain mot, c’est une philosophie.») avant de raser les bâtiments. Sous les yeux des habitants, les deux tours s’effondrent dans un nuage de poussière réminiscent du 9/11. La dialectique de la saison sera anxiogène: dans ce monde qui s’effondre, n’est-ce pas l’idée même de réforme qui part en fumée ?
WAY DOWN IN THE HOLE PAR…
Les Neville Brothers. La fratrie de Louisiane a mis ses accents bayous au rancart, mais sa reprise très soul reste la plus faible du show. Belle rythmique cependant, et beau raccord au générique quand le «He’s got the fire and the fury» souligne un plan où Omar arme son fusil à pompe.
McNULTY AU RAPPORT
Alors qu’il vient de réintégrer l’unité d’écoute, il complote (assez peu finement) pour que le clan Barksdale dirigé par Stringer Bell redevienne la cible principale du service. Quand l’enquête s’achève en fiasco, un McNulty écœuré décide de quitter son job d’inspecteur pour redevenir simple flic.
L’INSTANT CULTE
Dans un bar gay, un travelling dévoile la silhouette du sous-préfet Rawls en train de siroter une bière. Un détail explosif sur lequel la série ne reviendra JAMAIS, mais auquel on ne cessera plus de penser. Ed Burns: «C’est une sorte de mine qu’on a posée, en se réservant par la suite le droit de marcher dessus… Ou non.»

SAISON 4
AU REVOIR LES ENFANTS
EN UNE PHRASE
Le parcours de quatre enfants à problèmes à travers leur apprentissage de l’école et de la rue.
L’OUVERTURE
Dans un Hardware Bin (l’équivalent de Castorama), un vendeur explique patiemment les avantages entre différents modèles de pistolet à clous à la tueuse Snoop. Lorsque celle-ci lui décrit à son tour les ravages qu’ils peuvent provoquer sur un homme, le type reste abasourdi. En plus d’établir le thème de la saison (l’enseignement), on découvre son personnage le plus dingue…
WAY DOWN IN THE HOLE PAR…
DoMaJe. Enregistrée exprès pour la série, cette reprise R&B par un groupe d’ados de Baltimore est une tuerie. Groovy, funky et entêtante. Les voix aiguës des gosses (angéliques) contrastent avec les basses menaçantes… La version préférée de Burns et Pelecanos.
McNULTY AU RAPPORT
McNulty est retourné patrouiller en bagnole et profite de sa nouvelle vie de famille (il partage le quotidien de Beadie et de ses deux mômes). Le bad boy s’est transformé en M. Propre: plus d’alcool, plus de baise, plus de traque et presque plus de présence à l’écran. À la fin de la saison, la mort de Bodie (que McNulty tentait de recruter comme indic) va tout changer.
L’INSTANT CULTE
Colvin emmène quelques gamins difficiles dans un restaurant de luxe, où ils se sentent complètement déplacés. Entre malaise glauque et maladresses tordantes, la soirée tourne court. En sortant, Colvin prend une photo du restaurant pour immortaliser l’instant, mais les enfants ne sont pas dans le cadre… Définitivement out ?

SAISON 5
ANGOISSE AU QUOTIDIEN
EN UNE PHRASE
Pour enrayer la baisse des crédits policiers et parvenir à financer son enquête illégale contre le gang de Marlo Stanfield, McNulty «invente» de toute pièce un tueur de homeless, intox qu’un journaliste peu scrupuleux transforme en psychose collective et en affaire politique.
L’OUVERTURE
Pour faire parler un suspect, Bunk et Landsman maquillent une photocopieuse en faux détecteur de mensonge. Toute la saison sera placée sous le signe de la manipulation des preuves, des petits arrangements avec la vérité et de la fuite en avant de McNulty, Freamon et Sydnor, renonçant à leurs idéaux de «good police» pour faire tomber Marlo et les siens.
WAY DOWN IN THE HOLE PAR…
Steve Earle, songwriter culte, ex-junkie, ex-taulard mais communiste éternel. Il était déjà dans le cast (Walon, le parrain clean de Bubbles), souvent dans la BO (voir le «montage» final de la saison 2) et désormais au générique, pour la version la plus directe et rentre-dedans – bref, la plus rock – de la chanson. À l’image d’une saison plus courte et moins trouble que les autres.
McNULTY AU RAPPORT
Revenu aux affaires après un an de trottoir, il reprend toute sa place: pas celle d’un flic du dimanche, mais celle d’un type tellement sûr de sa domination intellectuelle sur des supérieurs – et des règles – qu’il méprise, qu’il finit par franchir la ligne.
L’INSTANT CULTE
Narcissisme, refus de l’autorité, irresponsabilité, mépris des autres qui confine à l’aveuglement: l’hilarant portrait psy du pseudo-tueur de homeless que dressent les profilers du FBI ressemble comme deux gouttes d’eau à son créateur, un certain Jimmy McNulty. Au point de lui faire ravaler son sourire satisfait. Ces mecs-là seraient donc moins nuls qu’il ne le croyait ? Sa haute idée de lui-même en prendra-t-elle un coup ?

LES FLICS
Jimmy McNulty
Hormis son mariage foiré, ses bitures régulières, ses baises intempestives, son insubordination chronique et la falsification des preuves, McNulty est un bon flic. Interprété par Dominic West, il est surtout le héros d’une série qui n’en a pas.
Cedric Daniels
Black sec et ambitieux, Daniels est, au début de la série, promis à une grande carrière de flic. Promu chef de la Major Crime Unit, la réalité et la corruption vont changer la donne: il va se mettre à dos l’administration et devenir un exemple d’intégrité rigide.
Shakima Greggs
Jouée avec langueur par Sonja Sohn, cette flic lesbienne est la seule héroïne du show. Tête brûlée (elle frôle la mort dans la saison 1), béquille affective de McNulty, son couple ne résiste pas à son job et elle se McNultyse à partir de la saison 2. Jusqu’à ce qu’au tout dernier moment…
Lester Freamon
Placardisé pendant 13 ans pour avoir refusé de se coucher dans une affaire politico-financière, il reprend du service dans la Major Crime Unit. Cerveau de l’équipe, ce fan de miniatures est un flic coriace et patient. Le Morgan Freeman du show est un Natural Police.
William «Bunk» Moreland
Un cigare, une cravate et une bonne dose de désinvolture: Bunk est le personnage le plus attachant de la série. Mélange d’ironie, de fatalisme et d’intégrité matoise, ce compagnon de doute et de biture de McNulty est le héros symptomatique d’une grande série soul…
Ellis Carver / Thomas Hauk
Ils ont la finesse de la flicaille des rues, piétinant la gueule des suspects aussi bien que les indices, coursant des mômes en faisant beugler «Superfly» dans leurs voitures. Ces deux bleus vont «grandir» dans l’unité ; si Herc restera bas du front, Carver s’amende dès la saison 3.
Howard Colvin
Le discours du paper bag, c’est lui. Un grand moment qui rappelle que The Wire est un show d’écrivains libéraux. Colvin est à leur image : il libéralise la drogue dans un quartier pour éradiquer la criminalité (Hamsterdam) ou tente d’aider les élèves délaissés par le système éducatif…
Jay Landsmann
Derrière son physique éléphantesque (il ne se déplace jamais sans son sandwich) et ses blagues cyniques, ce chef d’équipe cache une parfaite connaissance du terrain et un belle âme d’Irlandais. Loyal, il tente de protéger comme il peut ses hommes et son (gros) cul…
Leander Sydnor
Protégé de Freamon et Daniels, Sydnor est un jeune flic discret qui, au sein de la Major Case unit, officie surtout dans la rue. Ultra-compétent, patient et téméraire, Sydnor est un flic modèle plongé dans un univers ultra-violent. Et à ce titre, l’héritier paradoxal de McNulty.
Ervin Burrell et Williams Rawls
Partisans du moindre effort, les numéros 2 et 3 de la police de Baltimore sont des bureaucrates dangereux qui ne jurent que par les coups fourrés, la politique et l’alphamalitude à la «Glengarry». Le travail de police leur importe peu : seuls comptent les stats et leur carrière.

FAN DE !
Kiefer Sutherland
«La meilleure série jamais produite aux États-Unis. Si tu veux comprendre la culture de la drogue, et l’expérience afro-américaine dans son ensemble, ce qui se passe dans les ghettos, mate “The Wire”. Ma scène préférée – et je n’ai jamais entendu un seul politicien parler de cette réalité – montrait un gamin de 13 ans, obligé de s’occuper de sa famille, en train d’aider sa sœur de 10 ans à résoudre un problème de maths.
La petite n’y arrive pas, et il lui dit: “Si je mets quatre grammes de crack dans le pot, et que j’en tire 240 dollars, combien je dois à Bob du coin de la rue ?“ “60 balles“, répond la gamine. “Si tu arrives à me dire ça, comment ça se fait que tu sois incapable de résoudre ton problème ?“, s’énerve alors le frère. Ces gosses sont contraints de vivre dans des circonstances absolument abjectes. Comment veux-tu qu’ils aillent à l’école comme les autres ? Leur quotidien est une question de survie. Pourtant, “The Wire” les montre aussi comme des businessmen incroyables, de vrais entrepreneurs. Je ne vois aucune différence avec Wall Street. Le commentaire que livre David Simon sur l’état de notre pays est tout simplement brillant.
À la limite, je peux comprendre pourquoi la série n’a pas mieux marché chez nous: le miroir qu’elle tend à l’Amérique est tout sauf flatteur. Par contre, ça devrait être le show le plus regardé dans tout le reste du monde.»

LA RUE
Omar Little
Old fashioned dans sa quête de justice, le Robin des Bois de Baltimore – il pique l’argent des dealers pour le donner aux pauvres – est un esthète de la violence. Michael K. Williams fait de ce gangsta homo une grande figure tragique. Barack Obama l’a désigné comme son héros télé favori.
Avon Barksdale
Le kingpin du Westside de Baltimore est un vrai caïd qui n’hésite pas à flinguer sa famille au profit de son entreprise: régner sur les corners et les Tours de Baltimore (sa cité). S’il passe une saison entière derrière les barreaux, son retour (dans la 3) ouvre les hostilités.
Stringer Bell
Numéro deux de Barksdale, Stringer se mue en capitaliste industrieux, enchaînant business-model et PPT. C’est l’anti-Superfly, le noir de l’ombre essayant de ne pas se faire prendre. Joué par Idris Elba, la baleine blanche de McNulty vole le show à chaque apparition.
Bubbles
Un Caddie et quelques combines foireuses pour se payer sa dose… Bubbles porte les stigmates de la défonce. Arpentant le bitume de Baltimore, cette conscience de la rue, ce junkie désespéré, cet indic vagabond incarne les sans-noms ravagés par la came.
Wallon
En filant le rôle de cet ancien tox devenu le parrain moral de Bubbles à Steve Earle, conscience de la gauche radicale, Simon crédibilisait un peu plus son show. Sa présence (physique et vocale) est en soit un acte politique. En plus d’être une fabuleuse idée de casting.
Dennis «Cutty» Wise
Ancienne légende de la rue, Cutty sort de 14 ans de taule. Selon George Pelecanos, son créateur, il est «le seul personnage positif de la série. Celui qui va devoir se battre pour rester clean». Un vrai héros de roman noir et l’une des grandes créations de la série.
Brother Mouzone
Lunettes d’écailles, nœud papillon et citations littéraires sont les trademarks de ce hitman racé, clone de Malcolm X. «Nœud pap’» comme l’appelle Omar est engagé par Barksdale pour protéger les Tours. Manipulés par les caïds de Baltimore, il précipitera la chute de Stringer.
Proposition Joe / Slim Charles
Prop Joe est le caïd de l’East side. Préférant la paix à la guerre ouverte, il profite de l’emprisonnement de son rival, Avon Barksdale, pour monter une alliance des clans. Aidé par son lieutenant Slim Charles, Prop Joe va tout faire pour chasser Barksdale de Baltimore.
Marlo Stanfield
Dans toute bonne tragédie, il faut un vrai vilain. Marlo empiète sur le territoire Barksdale avant de se rebeller et de briguer la couronne. Petite frappe dans l’âme, il atteint le sommet et la respectabilité dont rêvait Stringer. Mais les désirait-il vraiment ?
Chris Partlow / Snoop
Les deux «muscles» de Marlo forment un duo effrayant. Chris est un tueur froid, Snoop semble à la limite de la folie. Au fait, Snoop s’appelle Felicia, et c’est une fille. «On trouve ce genre de personnage dans les rues de Baltimore. C’est là qu’on a trouvé Felicia», raconte Burns.
D’Angelo Barksdale / Bodie Broadus
Au tout début de la série, ces deux soldats du clans Barksdale jouent aux échecs et, parlant des pions, assurent qu’ils sortiront du jeu très vite. Ils partiront en soldats. Le premier est tué en prison, sacrifié par Stringer ; le second, abattu pour avoir douté de sa mission.

LA POLITIQUE
Thomas Carcetti
Conseiller municipal, Carcetti est un ambitieux. Ses efforts pour faire tomber l’ancien maire constituent l’arc des 3e et 4e saisons. Flanqué de son éminence grise (et black) Wilson, Carcetti est le gendre idéal et idéaliste qui apprend à naviguer dans les eaux troubles de la politique…
Clay Davis
Sénateur véreux, Clay Davis est surtout célèbre pour son fameux «Sheeeeeeeit» («Meeeeerde»), un juron qui serait une invention de Spike Lee. Dans «La 25e heure», l’acteur Isiah Whitlock prononce un ou deux «sheeeit» dans la conversation.

LE PORT
Les Sobotka
Dockers de père en fils, les Sobotka sont les piliers de la communauté polonaise de Baltimore. Frank tente de faire subsister l’union des travailleurs par tous les moyens. Son fils et son neveu trempent dans des magouilles qui vont mener la famille à la tragédie.
Beatrice «Beadie» Russell
Jouée par la fulgurante Amy Ryan, elle patrouille les docks sans trop chercher la petite bête. McNulty la repousse quand il comprend que sa rédemption ne peut passer que par elle, avant de la retrouver pour la même raison. Personnage clef de la saison 2, son ombre plane sur les trois suivantes malgré de trop rares apparitions.
Les Grecs
Silhouette à la Fernando Rey, le Grec dirige, avec l’aide de Spiros Vondopoulos, un business d’importation : objets volés, drogue et femmes transitent par le port de Baltimore avec le consentement des Sobotka. Il alimente également le trafic de drogue des Tours.

L’ECOLE
Les enfants (Namond, Michael, Randy et Duquan)
Les quatre mousquetaires ados de la saison 4, autour desquels tout le cast de «The Wire» va graviter, chacun essayant de mettre la main sur cette chair fraîche pour reproduire (ou tenter de ne surtout pas reproduire) ses propres erreurs. Finissent mal à trois contre un.
Roland « Prez » Pryzbylewski
Outre McNulty, l’autre incarnation d’Ed Burns. Prez est un flic terrorisé par la rue, muté dans l’unité de Daniels. À la suite d’une bavure, il démissionne et devient enseignant à la Tilghman Middle School où il va devoir dompter sa trouille du terrain et se faire respecter…

FAN DE !
Samuel L. Jackson
«C’est une série vraiment incroyable, avec des histoires de dingues, des trucs de la vie de tous les jours, à Baltimore mais pas seulement. Je n’ai jamais raté un épisode. Ça traite de l’Amérique, de politique sociale, d’éducation, de l’école… Mais Baltimore est un échantillon de ce qui se passe réellement partout aux États-Unis. J’étais écoeuré quand (beep) est mort. Deux semaines avant qu’il meurt, je savais qui allait le buter ! Juste à la manière dont le gamin le regardait… Je suis évidemment très triste que ce soit terminé, et que “The Wire” n’ait pas eu le succès qu’elle méritait. Je pense que c’était vraiment la meilleure série jamais réalisée. Aussi bien, même meilleure que les “Soprano”. Enfin je ne sais pas, c’est un débat qui fait rage en ce moment…»

LA PRESSE
Gus Haynes
L’incarnation du journaliste à l’ancienne, respectueux des sources, amoureux du travail bien fait, capable de se réveiller à 4h00 du matin par hantise de la coquille, comme n’importe qui à «Technikart». Témoin impuissant du désarroi de sa profession et de la folie médiatique.
Templeton
L’envers du précédent. Mêmes motifs, toute autre punition. Pour lui, la crise de la presse est une incitation à se compromettre et à jouer le chacun pour soi. Citations bidonnées, infos créées de toute pièce ou manipulée à son avantage, la lie de notre beau métier.