DANIEL DARC – JURASSIC DARC

Paru dans le Hors-Série Music de Technikart – 08/01/2008

DEUX (GÉNÉRATIONS) EN UN (ENTRETIEN)
Daniel Darc sort «Amours suprêmes». Entre le gardien du temple, né dans les années rock’n’ roll, et le baby-writer Boris Bergmann, une rencontre placée sous le signe de la transmission.

Il pleut… Fait chier. Le temps est horrible et j’arrive dans un bar glauque de Bastille. Je vais rencontrer Daniel Darc. Il est là, accoudé sur la table de verre. Il a l’air plutôt en forme et son nouvel album m’a beaucoup plu. Pour moi, il est le meilleur parolier français depuis belle lurette. Personne n’a la même façon de parler ou chanter notre langue que lui. Les mots ont un autre poids quand ils sortent de sa bouche et les idées préconçues que j’avais à son sujet (taillades de veines postpunk, homosexualité pleine de coke et décadence 80’s) s’envolent dès que je croise son regard, j’en ai presque des remords. Cet homme est un grand. 

On discute de sa jeunesse, de la mienne. J’ai découvert le rock, comme lui, à travers le prisme des photos en noir et blanc d’un magazine. Il me parle de boots et de voleurs de disques, de perfectos noir et blanc et de Steely Dan, de Taxi Girl et de son disque, de Hell’s Angels et de Burroughs. Je suis bluffé : derrière sa carrure de boxeur, Daniel a une voix calme, douce, presque timide. Il est d’une gentillesse et d’une sincérité incroyables. Il nous montre des photos d’Elvis, jeune, à l’armée. Il rigole quand je parle de Dax (cire pour cheveux, à utiliser avec modération) ou de talons cubains.
Que pense Daniel de ce monde, que pense Daniel du rock dans ce monde ? Derrière les vitres dégoulinantes d’eau, une borne Vélib’ clignote comme les vieux néons d’un motel américain. Mais je ne vais pas vous paraphraser ses paroles, les trentenaires vont encore hurler. Je vous laisse avec le grand Daniel qui parle d’amour, parfois même mieux que Gainsbourg et Brialy réunis. Moi, j’ai trop bu. De la bière, en plus, je vais finir par devenir adulte et barbu. Presque un batteur de jazz, en quelque sorte. J’aime le rire de Daniel, franc, fort, ses yeux scintillent. Le débat s’étire sur les Smiths, je me casse.
Dehors, la pluie est toujours là. « Partez vers la destination du bonheur : la Martinique. » La publicité prend l’eau mais les mannequins sourient toujours. « Un poison violent, c’est ça l’amour, un truc à ne pas dépasser la dose. » Qu’est ce que c’est, le rock en 2008 ? Relire le Matin des magiciens ou écouter le dernier Daniel Darc. L’un se fout de votre gueule, l’autre parle d’amour. Les deux ont raison. Moi, je vous laisse choisir…
BORIS BERGMANN (AUTEUR DE «VIENS LÀ QUE JE TE TUE MA BELLE»-SCALI)

Il y a des moments où tu sens que l’inclinaison de ta chaise te soûle, que son assise te rape les fesses, que ta chemise trop cintrée tire tes bras… Bref, que rien ne va ! Ces moments peuvent être appelés la vie. Ils n’arrivent jamais quand tu interviewes Daniel Darc, on appelle ça la mort ou le paradis. C’est déjà ça, non ?

Daniel Darc : Tu as aimé mon disque ?

En fait, je crois qu’il n’a pas vraiment posé cette question, ou plutôt qu’il l’a posée sans vouloir la poser, qu’ils la posent tous, ou qu’elle sort toujours de leur bouche… Putain, qu’est-ce que je dis ?!?

OUI ! ET PARTICULIÈREMENT «LA SEULE FILLE SUR TERRE»…
D. D. : Hyper-simple, elle est venue toute seule, en une seconde. Serai-je perdu, à la fin du disque ? Ouais, elle est bien, elles sont toutes bien !

JE TROUVE QUE VOS TEXTES ONT TOUJOURS ÉTÉ ET RESTENT ASSEZ INCROYABLES. VOUS ÊTES L’UN DES DERNIERS À SAVOIR AUSSI BIEN CHANTER LE FRANÇAIS…
D. D. : Putain, il me dit « vous », ça doit être le milieu littéraire tout ça… « Tu » ! Dis-moi « tu » !

Ça y est, je sue à grosses gouttes, il me fout la pression, je vais finir par me croire dans une mauvaise comédie de Jimmy entre 2 et 3 heures du matin…

COMMENT TU AS DÉCOUVERT LE PUNK, LES STOOGES OU LES PERFECTOS ALORS QU’IL N’Y AVAIT PAS INTERNET ?
D. D. : Il y avait les magazines comme Extra, par exemple. On passait des heures devant les photos, on ne comprenait rien mais c’était ça ! Et puis les boutiques comme Harrycover, facile d’y rentrer acheter ton disque. Mais tu te le faisais braquer par les rockeurs planqués à la sortie. Il y avait aussi Zermati. Et New Rose ensuite.

STOP. Je discute avec Darc de son dépucelage musical et j’ai l’impression de m’entendre parler. Ou je suis vieux, ou le passé est parfois pareil pour certaines personnes (papier calque ou prisme de lumière blanche, qui sait)… You only live twice, quoi !

D. D. : Mais, à l’époque, tout avait une autre valeur. On passait des années pour choper un disque.Alors quand tu le trouvais, tu passais 40 000 heures devant la pochette.

TU EN PENSES QUOI DE LA NOUVELLE VAGUE ROCK ? TU ES ALLÉ AUX SOIRÉES «ROCK’N’ROLL FRIDAYS» DU GIBUS ? JE PARLE DE ÇA DANS MON LIVRE, L’INITIATION DANS CETTE ÉLECTRICITÉ, SEUL CONTRE LE MONDE, UN PEU COMME TOI AVANT…
D. D. : Tout d’abord, je veux remettre les choses au clair. Tout le monde a dit que j’adore ce mouvement. Non. Je trouve ça génial que des jeunes de 15-20 ans jouent du rock et se foutent de tout. Mais tout n’est pas bon. De toute façon, ça va finir comme pour nous, un de chaque groupe réussit… Je suis interviewé dans le livre sur les 40 ans du Gibus, je sais plus ce que j’y dis, je dois parler de Johnny Thunders, et bien sûr de Taxi Girl, de Mirwais. On a l’air d’être les 2b3 sur la photo ? Tu sais, on était un boys band, comme les Pistols ! Et là, le dernier concert que j’ai vu au Gibus, ça devait être les Naast ou un truc comme ça. J’étais venu parce que Manœuvre m’avait invité et qu’Eudeline n’arrêtait pas de m’en parler.

JE T’AVAIS DEMANDÉ UN AUTOGRAPHE…

Daniel penché contre le bar, fumée blanche, magie noire, il regarde le post-it jaune que je lui tends, me griffonne un truc, une tête de mort, je le colle contre mon frigo en rentrant…

D. D. : Je ne refuse jamais de signer des autographes. Sauf aux flics.

POUR REVENIR À L’ALBUM, J’ADORE AUSSI «LUV», EN ANGLAIS.
D. D. : Oui, il y a Bashung dessus.

TU AIMES CHANTER EN ANGLAIS ?
D. D. : Non, j’ai un mauvais accent. Mais ça me permet de dire, comme dans cette chanson, des choses que je pourrais à peine chuchoter en français. Là, je les hurle.

Daniel m’expliquera une cinquantaine d’expressions mais ma quatrième bière m’a empêché de les retenir.

D. D.: Ma culture est plus anglo-saxonne, new-yorkaise, bien sûr. Brassens me faisait flipper. Je suis un peu comme Gainsbourg, tu vois, un pied des deux côtés. Mais c’est pas ça le plus important. Le nouveau truc de mon album, c’est que je suis beaucoup plus direct. Je ne me cache plus.Tu vois, je t’ai vu à la télé, au Grand Journal. Là, je n’ai que la 6 donc ma télé reste beaucoup éteinte. Mais je t’ai quand même vu, et je me suis dit : « Lui, il se sent menacé, il a besoin d’être un peu arrogant. »

BIEN SÛR ! JE FLIPPAIS ! MAIS J’AI LE DROIT, JE SUIS ENCORE JEUNE.
D. D. : Ouais, j’étais plus arrogant à ton âge. Mais je n’ai plus besoin de ça maintenant, c’est pour ça que mon album est plus franc, plus fort. Je n’ai plus peur. Avant, dans mes paroles, il y avait des références aux drogues ? Ah oui ? Maintenant, je ne parle que d’amour.

L’AMOUR, C’EST UNE DROGUE.

Phrase cliché pourrie, désolé… Je suis franc maintenant, je n’ai plus peur.

D. D. : Tu as raison, toujours l’amour. Ça pue, l’amour !

C’EST BIEN D’ÊTRE AMOUREUX ?
DD : C’est pénible… Ça dépend… Je parle beaucoup de la même fille. Une lesbienne sur qui j’ai flashé… Ça n’a pas beaucoup marché. Mais, tu vois, je crois sincèrement que si je suis fou amoureux d’une fille et que j’en rencontre une autre qui me fait le même effet, je ne mentirai pas en disant « Je t’aime » à toutes les deux. À ce niveau-là, j’ai l’impression que c’est comme quand j’avais 15 ans, sauf que, bah, je bande un peu plus mou. Mais au niveau de l’écriture, j’écris mieux. Comme je te l’ai dit, je suis beaucoup plus impudique. Plus de détours, finies les histoires, je raconte ma vie maintenant.

IL Y A WYATT SUR TON ALBUM. POURQUOI PAS AYERS OU OLDFIELD ? LE JAZZ ET LE PROG ROCK, C’ÉTAIT VOS ENNEMIS !
D.D.: Ouais, mais je crois que j’ai un peu grandi. Wyatt a été génial, il a fait un solo de trompette et les chœurs. Je lui ai dit qu’on allait peut être l’enlever de la chanson, il s’en foutait, il m’a dit de le foutre dans une autre de même tonalité. C’est un vrai musicien comme on n’en fait plus. Autrement, j’ai retravaillé avec Frédéric Lo : je m’entends super bien avec lui. On avait plus de budget,on pouvait faire ce qu’on voulait. On est complémentaires. Je ne sais pas si ça va durer toute la vie, mais là, c’est comme ça. On s’attend toujours à ce que je fasse un album de rock mais, au fond, je suis dans la chanson française. Comme Christophe : ses albums sont super rock mais on dit qu’il fait de la chanson. Je m’en fous, de l’étiquette, et de toute façon, tout ce que je ferai sera toujours plus rock que Bénabar ou les horreurs de la chanson française.

TES PAROLES, CE N’EST PAS PAREIL…
D. D. : Quand je dis : « J’irai au paradis car l’enfer c’est ici », l’enfer, pour moi, je sais pas, c’est une sorte de difficulté à… communiquer, à vivre, d’une façon supposée normale. Tu sais, les gens de mon entourage disent que j’ai des problèmes d’alcool et de drogues. Ce n’est pas des problèmes, mais des solutions : sans la drogue et l’alcool, je me serais tué depuis longtemps.

Blanc.

D. D. : J’ai l’impression de voir trop bien, d’entendre trop fort, de voir trop de lumières, j’suis un peu taré, quoi… Non, c’est super difficile, tu vois j’aperçois un enfant dans la rue, je me mets à chialer, ce n’est pas normal !

TU CROIS EN DIEU ?
D. D. : Oui.

LEQUEL ?
D. D. : Il n’y a qu’un Dieu pour moi.

ET TU IRAS AU PARADIS ?
D. D. : Tout le monde ira, pourquoi pas moi ?

DANIEL DARC AU MILIEU DES VÉLIB’, DU WIFI ET DE JUSTICE ?
DD : J’ai jamais compris le concept des Velib’. J’écoute que France Culture, pas beaucoup Justice. Et le problème avec MySpace et tous ces trucs, c’est la suppression des quêtes, du désir et de l’attente qui te font vraiment apprécier le disque. Tout avoir tout de suite, c’est comme travailler plus pour gagner plus !

DERNIÈRE QUESTION: QUEL CONSEIL POUR ÊTRE ROCK ?
D. D. : Si tu me poses cette question, c’est qu’il n’y a vraiment pas de bons conseils !

AH, MERCI, C’EST LA PHRASE QUE J’ATTENDAIS.

Daniel nous a montré des photos d’Elvis jeune, à l’armée. On a parlé de motos, des Etats-Unis, de l’amour, des punks qui courent sur les toits (sur toi ?) bloqués par les teddy boys, des messageries instantanées et de plein d’autres trucs que j’ai oubliés car tout va trop vite. Je vais me faire engueuler par Sabatier, je fonce chez moi pour télécharger tous les albums qu’il a cités. Daniel Darc est bien vivant, son album est bon, très bon même. Un jour, il vendra plus que Justice, il sera l’artiste MySpace de la semaine et Sabatier sera content. Il a esquivé ma question sur le taillage de veines devant les Talking Heads, il a gagné quoi. Je vais finir avec une phrase de son choix et comme ça, j’irai au paradis. « Qu’est-ce que c’est que vieillir ? Vieillir, c’est quand autour de toi il y a plus de cancers que d’overdoses. » Tout est dit. ENTRETIEN BORIS BERGMANN