HARLAN COBEN – “LES SOPRANO N’ONT RIEN CHANGÉ !”

Paru dans le Hors-Série Littérature de Technikart – 04/03/2008

Les fans de polars «hardcore» le détestent mais tout le monde le lit dans le métro. A l’occasion de son dernier thriller, «Dans les bois», Technikart s’est entretenu avec HARLAN COBEN, auteur entre autres de «Ne le dis à personne». Gros tâcheron commercial ou artisan pop sous-estimé ?

Ca commence presque comme une aventure de Jason Vorhees, même si on n’est pas à Crystal Lake : en 1985, un animateur de camp de vacances s’isole avec sa copine, laissant seuls les mioches. Erreur : deux gosses seront retrouvés morts et deux autres sont portés disparus. Vingt ans après, Paul – devenu procureur – doit identifier un corps et, surprise, s’aperçoit que le cadavre n’est autre que celui de l’un des gamins disparus. Sur cette trame digne d’un bon vieux « Hollywood night » des familles, Harlan Coben signe avec « Dans les bois » un de ces fast-novels dont il a le secret, dopé à la paranoïa, aux vérités cachées et autres rebondissements. Les amoureux d’Ellroy ou Manchette le vouent aux gémonies, mais faut avouer qu’il cartonne y compris chez les gens qui ne lisent que deux livres par an. Alors, c’est quoi sa méthode ? Tentative d’explication…

 

POURQUOI AVEZ-VOUS CHOISI D’OEUVRER DANS LE REGISTRE DU ROMAN NOIR, DU THRILLER ?
Je ne considère pas le « noir » comme un genre à proprement parler. C’est davantage une forme, comme le haïku ou la sonate. Et à travers cette forme, vous pouvez vous attaquer à tous les thèmes – l’amour, la famille, l’amitié, la perte, la rédemption, la trahison, etc. J’aime la forme parce qu’elle vous oblige à raconter une bonne histoire et à divertir votre lectorat. On ne doit pas, par respect pour lui, se perdre dans sa virtuosité. Moi, modestement, j’essaie juste de vous faire passer toute la nuit à lire mon bouquin d’une traite.

ÊTES-VOUS UN GRAND CONSOMMATEUR DE SÉRIES TV ET DE FILMS DE GENRE ?
Je me suis toujours intéressé à ce que la télé et le cinéma pouvaient nous offrir – sans toutefois être un spécialiste. J’ai pris énormément de plaisir avec l’adaptation de « Ne le dis à personne », et considère désormais tous les gens qui ont bossé sur ce film comme de vrais amis. A présent, le Twentieth-Century Fox et la Fox Network sont en train de produire une série basée sur les histoires de Myron Bolitar. Et il est également question d’un remake américain de « Ne le dis à personne ». Je croise les doigts.

DANS VOS ROMANS, VOUS FAITES SOUVENT REVENIR À DES PERSONNAGES RÉCURRENTS (LOREN MUSE, CELIA SHAKER OU LOWELL). CHERCHEZ-VOUS À CONSTRUIRE UN UNIVERS DANS LEQUEL VOS HÉROS SONT COMME DES RÉMINISCENCES LITTÉRAIRES DE VOTRE OEUVRE ? UN PEU COMME ZOLA ?
La comparaison est flatteuse, mais je n’ai rien de Zola ! Parfois, je reprends des personnages pour faire un petit clin d’oeil à mes lecteurs les plus fidèles. Mais c’est surtout car j’ai le sentiment de ne pas en avoir fini avec certains de mes héros. Loren Muse a encore beaucoup d’histoires à raconter. Alors, je la fais revenir, et elle nous en apprend encore beaucoup sur elle.

LA DIMENSION PSYCHOLOGIQUE DES PERSONNAGES ET DES SITUATIONS SEMBLE PLUS DÉVELOPPÉE QUE D’HABITUDE, AVEC « DANS LES BOIS ». AVEZ-VOUS L’IMPRESSION D’AVOIR ÉVOLUÉ DANS VOTRE TRAVAIL DE ROMANCIER ?
Je ne suis pas bien sûr de comprendre votre question…J’ai voulu que ce livre soit plus contemplatif, si c’est ce que vous voulez me faire dire. Il y a très peu de violence dans cet ouvrage, mais il me semble que c’est à ce jour mon bouquin le plus passionnant.

ON VOUS CONNAÎT ÉGALEMENT COMME PORTRAITISTE DU NEW JERSEY. A VOTRE AVIS, EST-CE QUE LA SÉRIE « LES SOPRANO » A CHANGÉ QUELQUE CHOSE À LA MANIÈRE DE PARLER DE CET ENDROIT ?
Je me suis souvent amusé à dire que « Les Soprano » n’était pas une série, mais un documentaire. Pour autant, je ne crois pas que, si réussie soit-elle, cette série ait changé quoi que ce soit. En ce qui concerne le New Jersey, tout du moins.

BON, ALLEZ, DITES-NOUS, ON NE LE RÉPÉTERA PAS : C’EST QUOI VOTRE SECRET POUR TENIR EN HALEINE DES MILLIONS DE LECTEURS ?
Tout ce que je peux vous dire, c’est que « Dans les bois » a été le livre que j’ai eu le plus de mal à écrire – à part peut-être « Hold Tight », qui sortira l’année prochaine. Je n’ai pas de formule secrète – ou alors, elle est inconsciente…

QUAND MÊME: SI ON LIT DANS LA FOULÉE «NE LE DIS À PERSONNE» ET «DANS LES BOIS», ON S’APERÇOIT QU’ILS ONT DE NOMBREUX POINTS COMMUNS (DANS LES DEUX, LES ABSENCES SONT AU COEUR DU LIVRE, LE CONCEPT D’UN INDIVIDU ORDINAIRE DANS UNE SITUATION EXTRAORDINAIRE…). FRANCHEMENT, VOUS N’AVEZ PAS L’IMPRESSION D’ÉCRIRE TOUT LE TEMPS LE MÊME LIVRE ?
Non.

VOUS ÊTES SÛR ?
Oui.

VOUS PRÊTEZ UNE IMPORTANCE TOUTE PARTICULIÈRE AUX DIALOGUES. QUEL RÔLE PRÊTEZ-VOUS À CEUX-CI DANS LA CONSTRUCTION DE L’ACTION ?
Aucun. J’écris l’histoire. Et, à l’instinct, quand le dialogue me semble nécessaire, je l’écris. C’est tout.

QUELLE EST VOTRE POSITION SUR LA POP CULTURE UN PEU «POINTUE», QU’ON NE PEUT PAS SÉPARER DU GENRE «NOIR» ? CONTRAIREMENT À PELECANOS, BRUEN OU LA NOUVELLE VAGUE DU GENRE (DOOLITTLE, SWIERCZINSKI…), VOS RÉFÉRENCES SEMBLENT BIEN PLUS MAINSTREAM (HARRY POTTER, SPRINGSTEEN, U2)…
C’est simplement parce que mes personnages vivent avec cette culture-là ! Ils ont des enfants qui lisent Harry Potter. Ils vivent dans le New Jersey et adorent Springsteen. En même temps, la plupart de la musique évoquée dans « Dans les bois » n’est guère connue et s’avère même plutôt difficile d’accès. Alejandro Escovedo, par exemple, mériterait d’avoir bien plus de succès. Réhabilitez-le ! On s’était retrouvé dans une manifestation, l’an passé à Paris. Tout le prologue de « Dans les bois » a été fortement influencé par ses chansons.Vous connaissez ?

EUH, NON. ALORS, ÊTES-VOUS UN VRAI FAN DU GENRE «NOIR ?
Quand c’est bien, bien. Lorsque vous évoquez Pelecanos ou Bruen – puisque vous venez de les citer –, il n’ y a aucun problème, je prends !

FRANCHEMENT, ESSAYEZ-VOUS D’OBTENIR LA RECONNAISSANCE DES AFICIONADOS LES PLUS DURS ? AVEZ-VOUS DÉSESPÉRÉMENT BESOIN DE LA CONSÉCRATION DE VOS PAIRS ?
Avez-vous déjà entendu un écrivain dire « j’écris juste pour moi et je me fous des autres » ? Un tel mec – s’il existe –, je le trouve barbant… D’abord, cet individu doit mentir. Il me rappelle ce gros fainéant du bureau qui t’explique sans cesse qu’il est débordé. Bref. La relation entre l’écrivain et son lecteur, c’est un applaudissement : chacun est une main, et les deux se rejoignent pour le « clap ». Aussi, il n’y a pas de hiérarchie des lecteurs. Sans eux, les ouvrages n’existeraient pas.

ENFIN, D’OÙ VIENT VOTRE FASCINATION POUR LE «TWIST» FINAL ?
C’est juste que j’adore ça. Qui ne les aime pas ? Si vous voulez lire une histoire avec une fin prévisible ou avec une surprise décevante, faites-vous une faveur : arrêtez de me lire ! Il y a tant de livres dans lesquels on devine tout dix pages en avance. Si c’est votre truc, alors jetez-vous dessus. Je cherche à mettre le lecteur en erreur une fois, puis deux, puis trois et alors qu’on croit que les choses sont réglées, hop !, je réussis à tromper mon monde encore une fois. Ceci étant dit, les « twists » ne fonctionnent que si l’on se préoccupe des personnages. Vous avez beau avoir la caisse la plus classe du monde, s’il n’y a pas d’essence dedans, vous n’irez nulle part.

«DANS LES BOIS» – HARLAN COBEN TRADUIT DE L’AMÉRICAIN PAR ROXANE AZIMI (BELFOND / 424 PAGES / 21,50 €)
PROPOS RECUEILLIS PAR EMILIE COLOMBANI ET GAEL GOLHEN

HARLAN COBEN, LA LIFE
1962_Naissance à Newark, New Jersey.
1984_Diplômé en sciences politiques, il bosse dans l’industrie du voyage.
1985_Parution des premières aventures de Myron Bolitar.
2001_Sortie «Tell no one» qui deviendra, cinq ans plus tard, le film «Ne le dis à personne».
2008_Harlan Coben en promo au Salon du livre pour son nouveau roman, «Dans les bois».