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Paru dans le Hors-Série Littérature de Technikart – 04/03/2008

Les écrivains du parti des travailleurs
On les connait encore moins que Gérard Schivardi, mais Alain Gluckstein et François Dominique publient en loucedé des romans subversifs. Bienvenue dans la confrérie des écrivains trotskistes du Parti des travailleurs.

Une dégaine de cycliste, des cheveux poivre et sel qui frisottent, l’œil contradictoire d’un presbyte hypermétrope. Finalement, c’est à ça que ça ressemble, un membre du Parti des travailleurs (PT, vous savez, la formation de gauche qui se spécialise dans le « less than 1% » à la présidentielle) ? En tout cas, c’est Alain Gluckstein, militant et frère du « boss », Daniel, titré secrétaire général d’un parti anarcho-syndicaliste, eurosceptique, internationaliste, trotskiste et… de gauche. Alors, évidemment, on rêvait de rencontrer un interlocuteur mystérieux, inquiétant, charismatique, sulfureux, avec des doigts qui tremblent, tachés de tabac. Même pas. « On se retrouve au café République, place de la République. Vous me reconnaîtrez, je porterai un tee-shirt, rouge… pour vous faire plaisir. »

UN FRANGIN CANDIDAT A LA PRESIDENTIELLE
Alain Gluckstein est professeur de lettres classiques dans un lycée de Montreuil, père de famille, syndicaliste, membre du PT, écrivain, et drôle sans se forcer. On a cliqué l’option écrivain pour le rencontrer, mais comme il publie un (bon) livre intitulé Ton autobiographie, on en profite pour le cuisiner un peu sur ses convictions. On se dit qu’on va gratter une petite révélation de coulisses, un engagement subversif, une confession trotskiste. Pas du tout : « Trotsky, ça n’a jamais été mon truc. J’ai lu un livre de Marx, mais je n’y connais vraiment rien en économie. »
Pourtant, l’engagement, Alain est tombé dedans quand il était petit : des grands-parents bundistes, des parents juifs survivants de la guerre, qui ont milité comme on sauve sa peau, un frère, Daniel, secrétaire national du Parti des travailleurs qui se présenta à la présidentielle 2002. Frangin de candidat « culte » : ça, c’est du CV ! « Mon frère et moi avons sept ans de différence. Il est l’aîné et il a sans doute baigné dans une atmosphère familiale plus engagée que moi, ce qui peut expliquer nos parcours différents. A partir des années 60, le militantisme de mes parents s’était calmé. Les cicatrices de la guerre se refermaient et les espérances étaient moins grandes. »

«DES IMBÉCILES, DES ILLUMINÉS ET DES GENS SYMPAS»
En 1981, Alain colle des affiches pour Mitterrand. En 1982, il devient professeur et syndicaliste. Il finit par adhérer au Parti des travailleurs en 1995. Ça y est, on la tient, l’influence fraternelle ! « Pas du tout, c’est moi qui l’ai fait entrer, explique Christel Keiser, tête de liste des municipales à Montreuil pour le PT et membre du parti depuis sa création en 1991. Alain et moi étions professeurs dans le même établissement à l’époque où il a adhéré. Son engagement remonte au moment des grandes grèves de 1995 pour la défense de la Sécurité sociale. » C’est si simple. Alain Gluckstein se décrit comme « militant politique à basse tension de lutte de classes ». Il est au Parti des travailleurs comme il aurait fait partie des réformistes socialistes dans les années 60 : il croit en la République, la laïcité et la propriété sociale, mais pas trop à l’Europe.
Il y a quatre courants bien démarqués dans le PT, du plus ouvert au plus radical : on croyait rencontrer un révolutionnaire, on prend le café avec un démocrate. L’écrivain botte en touche : « Vous savez, les 6 000 membres du Parti font un bon panel de la société française : il y a des imbéciles, des illuminés et beaucoup de gens sympas. » Oui, mais justement, on ne les connaît pas, les « gens sympas » : le PT est le seul parti à être passé à travers la pipolisation. Lutte ouvrière a son Arlette, LCR, son Olivier, mais le Daniel du PT ne parle à personne. « C’est sûr, mon frère n’ira jamais s’asseoir sur le canapé de Drucker, il ne dira jamais de gros mots pour faire peuple, continue Alain. C’est une façon de respecter les gens qu’il représente. Le PT est un parti sérieux. »

PAS DE SUJET IMPOSÉ
Pour l’élection présidentielle de 2007, le Parti des travailleurs a soutenu Gérard Schivardi, conseiller général de l’Aude et ex-PS, présenté par le Comité national pour la reconquête de la démocratie politique. Sans doute traumatisé par son score de 0,47 % des votes en 2002, le PT a choisi l’an dernier de ne pas présenter son propre candidat. Ce n’est plus du respect pour le travailleur, c’est une grosse bouderie ou de la timidité. Rébarbatif donc, sans paillettes, on l’a noté, et pourtant sulfureux. C’est là que réside le mystère de ce parti.
Alain Gluckstein, sympathique et pas tordu pour deux sous, même s’il s’escrime à former des petites marguerites avec le papier de sa dosette de sucre, ne sait pas répondre à cette question, qui le dépasse aussi. « J’ai adhéré à un parti qui a pour vocation d’être un parti de masse où chacun milite comme il le peut. A aucun moment on ne m’a demandé d’écrire un éloge trotskiste ou de poser une bombe… »
Par chance, un autre membre du PT publie justement un roman. Et de contacter derechef un certain François Dominique, auteur de Romulphe et qui officie sous un autre patronyme comme prof de droit à Dijon. « Il nous faisait un cours d’introduction à la science-politique, se souvient l’un de ses anciens élèves. Avec son look à la Lenine,il nous parlait du bloc de l’Est avec enthousiasme et précision. C’était passionnant. Et pour délirer, quand il était absent, on imaginait qu’il était parti en mission à Moscou, pour organiser un complot avec des nostalgiques de Leonid Brejnev. »
François Dominique a tout du bon client : il habite loin de Paris, joue de pseudos, et est l’auteur d’un roman étrange, un brin parano et franchement confus. On tient enfin l’auteur qui fait corps avec l’image du Parti des travailleurs. Pas de chance, il se débine à quelques jours de l’interview ,ne souhaitant pas mélanger son travail d’écrivain avec ses engagements politiques. La presse va faire des amalgames, manipuler les propos et fabriquer sa version de l’histoire puisqu’elle veut forcément diaboliser le Parti des travailleurs.

Chou blanc, donc : François Dominique n’a pas non plus l’audace d’un révolutionnaire ou d’un grand sachem. Le Parti des travailleurs serait donc une organisation mainstream ordinaire, perdue dans les codes d’une communication datée d’époques anciennes ? Moins offensif que la LCR ou la LO des origines, il n’a pas la chance d’être représenté par une vieille fille dont la pugnacité a fini par forcer le respect et en faire une icône tendance, ni par un jeune postier loquace, doté d’une bonne tête de bambin à qui on a envie de pincer affectueusement la joue. Allez Daniel, lâche ton surmoi et plonge dans les délices de l’ego : c’est de la politique…

«TON AUTOBIOGRAPHIE» (FOLIES D’ENCRE)
«ROMULPHE» (MERCURE DE FRANCE)
KARINE PAPILLAUD

FRANÇOIS DOMINIQUE NOUS ÉCRIT…
«François Dominique publie un livre, “Romulphe”. Cette fiction doit être lue pour elle-même. Ou bien elle est sans intérêt, et on n’en parle pas. Ou bien elle touche un lecteur, qui désire en parler. Cette fiction ne comporte aucune indiscrétion, ni sur les opinions politiques, ni sur ses appartenances diverses. Sincèrement, lorsque j’ai pris des positions publiques (création en France de NOT IN OUR NAME, juste après le vote par le Congrès US du crédit de guerre pour l’intervention en Irak, à l’automne 2002), j’ai plusieurs fois refusé à des journalistes de parler des romans, essais ou poèmes que je publie.

Ce n’est pas seulement une question de “privacy”, comme disent les Américains. Je vais vous expliquer pourquoi je ne peux pas admettre une telle démarche: d’abord, j’ai connu dans les années 60 (et c’était bien pire, une génération avant) tout ce qu’il y avait de fatuité et de mensonge dans la posture des “écrivains du Parti” qu’avaient certains auteurs membres du PCF. Ensuite, travaillant pour ma thèse en Hongrie, j’ai vu persécuter des artistes qui n’étaient pas… ou ne se récalamaient pas de la “ligne du Parti”. Mais surtout, je n’ai jamais oublié ma lecture du Manifeste de la DIARI, rédigé en 1938 par Breton, Diego Rivera et Trotsky: “Indépendance de l’art, pour la révolution – Révolution pour l’indépendance de l’art”.

Telle est ma position. Je n’écrirai jamais une œuvre partisane, ni même “engagée”. Je ne parlerai jamais de la littérature, en tout cas des livres que j’écris à raison de mes opinions réelles ou supposées. »