Djinn Carrénard «Je n’ai pas une vision très optimiste des rapports humains»

Capture du 2015-05-07 13:04:13

Le réal fauché de «Donoma» ouvre la Semaine de la critique avec «FLA» (ou «Faire l’amour», pour les Américains). Toujours en mode guérilla ?

Djinn, tu sais pourquoi ton film se retrouve là, dans cette sélection et pas ailleurs ?
Ouais, je voulais vraiment que FLA soit là où le comité se montrait le plus enthousiaste. Je te cache pas qu’il n’y a pas beaucoup de sélections qui nous ont proposé de faire leur ouverture, ahaha. Le truc c’est que le tournage de FLA a été tellement violent que là, maintenant que le film est fini, je’ai besoin de retrouver l’environnement familial et chaleureux qui entourait Donoma, de sortir de ce truc de guerre…

Justement jusque là chacun de tes films a été conçu sur un mode guerilla. Sur «Donoma» c’était le principe d’un budget zéro, cette fois c’est l’idée d’un film dont on stoppe brutalement le tournage pour le recommencer à zéro quelques temps plus tard.
Je croyais vraiment que Donoma serait un rite iniatique, que les choses seraient plus simples après. Sauf que sur FLA au bout de trois jours de tournage, j’ai réalisé qu’il fallait que je produise moi même le film pour en assurer son indépendance. Ca voulait dire tout recommencer et repartir pour six mois de paperasserie et de comptabilité. C’était super douloureux parce qu’avec Donoma j’avais l’impression d’être allé au bout du système « do it yourself. » Et puis je me suis rappelé que ce qui m’avait poussé à faire du cinéma c’était les journaux de tournages de Spike Lee, plus que les films de Spike Lee eux mêmes d’ailleurs, et dans ses écrits il racontait à quel point le cinéma ne peut être qu’une bataille rangée. Je m’en suis souvenu et ça m’a permis de réaliser que j’étais sur la bonne voie. Après je t’avoue que si FLA avait pu se faire de manière plus calme, et ben je l’aurais accepté…

Tu as l’impression de combattre pour ou contre quelque chose?
Ah, très bonne question ça… Dur de te répondre. je ne suis pas sur de le savoir là. J’aurai peut être la réponse dans six ou sept films, mais là j’ai l’impression de naître. Alors je me bats. Pour respirer, pour exister. Tout est de la survie, tout le temps.

Ça vient de là la violence perpétuelle des relations humaines dans «FLA» ?
Je crois que je suis un mec pessimiste. Un misanthrope sociable. Je n’ai pas une vision très belle des rapports humains. Rien ne dure, rien n’est jamais très beau très longtemps. On essaie de se bouffer, tout le temps…

Et en même temps il y a cette contradiction dans ton cinéma entre l’agressivité des protagonistes et tes bouffées de lyrisme.
J’aime définir les gens par rapport à leurs moments de tension, imaginer leurs pires embrouilles, leurs pires traumas, leurs pires accès de violence. C’est là où on voit qui il sont. C’est quand tu vois Jay Z se faire marav par sa belle sœur, et réagir très tranquillement, que tu comprends qui il est vraiment, ahah.

On peut aussi te répondre qu’on se définit par la manière dont on essaie de composer avec nos pulsions, ce à quoi on aspire…
C’est vrai. Mais moi c’est la violence, et surtout la violence verbale qui me fascine.

Ce goût de la violence verbale t’as amené justement à composer ton film en longue scène d’impro pure où les acteurs s’invectivent…
Ouais parce que les sonorités du cinéma français me gênaient, ce sont toujours les mêmes. j’avais envie de trouver un ton plus juste, montrer comment la France d’aujourd’hui parle. Je m’accorde encore un film pour venir à bout de cette méthode, après ça j’espère que je passerai à une étape où j’arriverai à écrire comme les gens parlent…

Ecrire, c’est aussi synthétiser. Ce type d’impro pousse à étirer les scènes, comme dans la vie, où l’on parle toujours trop.

Je pars du principe que je suis encore dans un cinéma de recherche. Combien de fois faudra t-il répéter la même phrase pour qu’elle trouve tout son sens ? A quel point je vais devoir étirer le dialogue pour qu’il prenne du relief ? Combien de fautes de français pour que ça sonne vrai ? J’ai besoin de tout oublier, tout ce que j’ai pu apprendre. C’est ce que racontent mes deux premiers films, mon besoin de faire table rase et d’inventer ma planète.

 

Léonard Haddad et François Grelet


 

Capture du 2015-05-07 13:10:44 Technikart SuperCannes #01  15 mai 2014