JOSS WHEDON EPISODE 2 – L’interview « Un an après »

Paru dans le Hors Série Htv de Technikart – 21/07/2009

Il y a un an, on taillait le bout de gras avec le papa de «Buffy» ; il repartait à l’assaut du petit écran avec «Dollhouse», sur laquelle reposait l’espoir d’un renouveau, voire d’un sursaut de la fiction télé US. On a repris contact avec lui pour savoir ce qui avait marché, ce qui avait loupé, et par quel miracle la série a échappé à l’annulation. Hello Joss…

LORSQU’ON S’EST PARLÉ L’AN DERNIER, VOUS ÉTIEZ SUR LE POINT DE RE-SHOOTER LE PILOTE DE «DOLLHOUSE», QUE VOUS NE «SENTIEZ PAS». EST-CE QU’IL S’AGISSAIT DU NOUVEAU PILOTE RÉCLAMÉ PAR LA FOX, DONT ON A BEAUCOUP ENTENDU PARLER ? OU Y’A-T-IL UN TROISIÈME PILOTE ?
Mmm… Mon combat sur « Dollhouse » a été de trouver une version du show à laquelle la Fox serait sensible. Mais je devais aussi y trouver mon compte, et tout ce processus était un peu gonflant. Tout le monde s’est bien comporté, c’est juste qu’on caressait plusieurs approches créatives en même temps, en essayant vainement de les faire coïncider. A cause de la grève des scénaristes, notre avancée est arrivée au point mort. Et on a dû démêler les fils de nos envies sur le tas, au moment de produire la série, alors que ce travail se fait habituellement en amont. D’où les tâtonnements que vous avez pu sentir dans les cinq premiers épisodes. Mais à l’épisode 6, bam !, on a trouvé notre vitesse de croisière. On fait dans le divertissement sexy, mais je voulais aller plus loin que ça. Et dès le milieu de cette première saison, on était dans la bonne direction, celle visée depuis le début.

 

OK, MAIS JUSTE POUR CLARIFIER CETTE HISTOIRE DE PILOTE: COMBIEN EN AVEZ-VOUS TOURNÉS AU FINAL ?
J’ai tourné un pilote qui ne convenait pas à la Fox. Je leur ai proposé de tourner un autre pilote, qui serait un prequel au premier, celui-ci devenant l’épisode 2. Je voyais ce qui les gênait… Mais plus je travaillais sur ce nouveau pilote, plus je m’apercevais que l’ancien ne cadrait plus avec ce qu’on faisait. On l’a donc plus ou moins foutu à la poubelle ; on en a utilisé quelques passages ici et là, y compris dans l’épisode final d’ailleurs.

LE PILOTE ORIGINEL EXISTE DONC EN POINTILLÉS DANS LA SÉRIE, EN PETITS MORCEAUX…
Oui, disséminés un peu partout, mais l’intégralité n’existe que dans le coffret DVD.

«DOLLHOUSE» NE RECULE PAS DEVANT SES GRANDS THÈMES (OÙ SE LOGE LA CONSCIENCE ? QU’EST-CE QUI DÉFINIT NOTRE IDENTITÉ ?). A UNE ÉPOQUE OÙ LES SÉRIES AMÉRICAINES NE PARLENT PLUS DE RIEN, ELLE DIGÈRE UN ENSEMBLE DE CONCEPTS PARTICULIÈREMENT COSTAUDS. EST-CE QUE VOUS N’AVEZ JAMAIS PENSÉ QUE C’ÉTAIT «TROP» POUR UN PUBLIC DE NETWORK ?
Le public, vous le faites venir avec le divertissement. Mais oui, ce qui nous excite nous, en tant qu’auteurs, ce sont les idées et les émotions qu’elles véhiculent. Une partie des problèmes qu’on a eus vient du fait que le network voulait aller au plus rapide. On s’est retrouvé pour l’épisode 1 avec une longue séquence de course-poursuite, suivie d’une scène qui expose une idée. Mais on a compris, une fois que la série était sur les rails, que l’Action et les Idées étaient une seule et même chose. Ce n’était pas l’action d’un côté et le vertige existentiel de l’autre ; les deux ont commencé à se confondre. Et aujourd’hui, ce qui est excitant émotionnellement et ce qui fait avancer l’intrigue, ce sont les idées. Le questionnement métaphysique d’Echo, la grande nébuleuse de l’identité…

UNE PUTE LOBOTOMISÉE EN GUISE D’HÉROÏNE, DES FINS D’ÉPISODES EN FORME DE PLAIDOYER POUR LE VIOL: «DOLLHOUSE» JOUE À FOND LA CARTE DE LA CONTROVERSE… MAIS N’EN A PAS SUSCITÉ BEAUCOUP. C’ÉTAIT BIEN L’INTENTION POURTANT ?
Oh oui ! Si elle n’a pas fait autant de remous que je l’espérais, c’est que personne ne l’a regardée ! Et que la Fox a été très timide vis-a-vis d’elle… En réponse à ça, mon idée a été d’en rajouter à mort, de marteler le truc : « Regardez ce qu’ils font : du trafic humain ! Du proxénétisme cyber ! ». C’est intéressant de se demander de quelle manière ça se rapporte à notre monde, et comment cela interroge notre idée du Mal. Il y a des aspects de la Dollhouse qui restent moralement inacceptables en Amérique, mais qui moi ne me dérangent pas. Et il y a d’autres aspects évidemment indéfendables. On a les mains plus libres cette année pour explorer ça, même si les choses vont se transformer. Il faut que la série continue d’évoluer. Notamment qu’Echo soit un peu moins détachée des événements, et impuissante à y réagir…

AU DÉBUT, LES MISSIONS ÉCHOUENT, TOUS LES PERSONNAGES (À L’EXCEPTION DE TOPHER) SONT CONTRE LA DOLLHOUSE, LAQUELLE N’ENGENDRE QUE DES TUEURS PSYCHOPATHES ET DES EMPLOYÉS DÉTRUITS… A PEINE LA MAISON DE POUPÉES CONSTRUITE, VOUS L’ATOMISEZ. A PEINE LES PRÉMICES POSÉES, VOUS LEUR METTEZ LA TÊTE À L’ENVERS…
D’une certaine manière, c’est dans la nature de la télévision de se mettre la tête à l’envers. Des gens m’ont dit : « Pourquoi rien ne marche ? Comment la Dollhouse peut-elle continuer à se planter comme ça ? ». Bah, je ne sais pas moi. Pour qu’on ait de l’intrigue, quelque chose à raconter ?… Si chaque mission se déroulait à la perfection, ça ne marcherait pas. Du moins ça ne m’intéresserait pas, ce qui est la même chose. Et l’idée que tout le monde à l’intérieur et à l’extérieur de la Dollhouse en questionne les motifs est, pour moi, ce qu’il y a de plus excitant. Ils sont dans le même état de confusion totale qu’Echo. Ils se demandent qui ils sont et ce que signifie cet endroit…

MA QUESTION ÉTAIT PLUTÔT: EST-CE QUE VOUS AVEZ CARESSÉ L’HYPOTHÈSE DE MONTRER ECHO PARTIR EN MISSION ET BOTTER DES CULS CHAQUE SEMAINE ? DE FAIRE «ALIAS» ? OU N’EN A-T-IL JAMAIS ÉTÉ QUESTION ?
Je ne voulais pas faire « Alias » et je dirais que le résultat final est encore trop proche d’« Alias » à mon goût. Fox a insisté pour avoir « un thriller de la semaine »… On leur a soumis un script pour l’épisode 3 de la première saison qui avait une tonalité de comédie romantique : ils nous ont coupé le sifflet ! Ils ont stoppé la production de l’épisode dès qu’ils l’ont lu. Et m’ont dit : « Tu ne peux pas faire ça. Tu peux seulement faire un thriller, peut-être injecter de la comédie romantique dedans, mais pas plus ! ». Alors on a boosté l’action et l’atmosphère conspirationniste. Et aujourd’hui, avec la saison 2, tout prend corps naturellement, comme on l’avait envisagé dès le départ. Paul (l’agent du FBI obsédé par Echo, NDLR) a désormais intégré la Dollhouse. Il a réalisé son fantasme. Et son fantasme est de boucler toutes les affaires qu’il n’a jamais pu boucler en tant qu’agent du FBI. Il a toujours été question d’amener Echo à poursuivre les criminels, à se mettre en danger, en lui donnant de vraies raisons de se battre. Désormais, nous avons un alibi pour l’action. Ce qui ne veut pas dire que les choses ne vont pas mal tourner. J’ai une réputation à tenir après tout…

VOUS AVEZ UN PEU MOINS D’ARGENT CETTE ANNÉE…
Oui. Mais en règle générale, et grâce à notre line producer Kelly Manners, l’argent qui reste aura l’air de peser davantage, vous verrez.

UNE SÉRIE QUI QUESTIONNE SA PROPRE NATURE, CE N’EST PAS CE DONT RÊVENT LES NETWORKS. VOUS LE SAVIEZ POURTANT…
Il semblerait que je ne sache rien de ce que veulent les networks. J’ai réitéré avec « Dollhouse » toutes les erreurs que j’avais commises sur « Firefly ». C’est dingue quand j’y pense… Mais en fin de compte, ils ont compris que s’ils me laissaient faire mon truc, je pourrais leur livrer une série qu’un certain public voudrait voir, même si eux ne sont pas intéressés. Je leur donne énormément de crédit pour ça, et pour leur appréciation du show, qu’ils aiment malgré tout, y compris dans leur besoin de le contrôler. Je leur ai vendu une série qui, sur le papier, semblait très simple : « Elle sera différente chaque semaine ! Elle est glamour ! C’est coquin et sexy ! Il y aura de l’espionnage ! »… Et j’ai rendu une copie contemplative, perverse, bizarre, personnelle, et très silencieuse. Les Networks n’en ont rien à foutre du silence ! Quelle chaîne de télé veut des programmes qui ne la ramènent pas ? Aucune ! Finalement, ce n’est plus une série très « silencieuse », mais j’ai réussi à y mettre ce qui me tenait à cœur. On n’a pas, et on n’a jamais eu, la démarche d’essayer de devenir le prochain hit de la Fox. On a par contre l’opportunité de faire un show qui s’avère un peu marginal pour eux, une position rêvée pour des raconteurs d’histoires.

CERTAINES CHOSES ONT FONCTIONNÉ DÈS LE PILOTE: LE GÉNÉRIQUE ET LE THÈME MUSICAL PAR EXEMPLE…
Un gigantesque rêve devenu réalité. Pour la chanson du générique, j’ai annoncé que je voulais un titre qui sonne « comme du Jonatha Brooke ». Et ils m’ont passé Jonatha Brooke au téléphone ! J’ai passé l’écriture entière du pilote à écouter le travail de Mychael Danna – j’écris en écoutant de la musique de films, ça met dans l’ambiance. Et j’ai décroché Mychael Danna pour faire la musique de « Dollhouse » ! Deux occurrences très étranges… Mais c’est aussi la nature de ce business. Dans le cas de Mychael, il voulait rester à L.A et travailler sur une série télé pour être près de sa famille et s’en occuper… Exactement comme moi ! Ce fut un processus merveilleusement organique : tout ce qui m’avait aidé à créer le show mentalement, ce qui m’avait permis de le visualiser, je le dois à des artistes qui ont fini par travailler dessus.

LES SPOTLIGHTS ÉTAIENT BRAQUÉS SUR «DOLLHOUSE» DÈS LE DÉBUT. DU MOMENT OÙ VOUS AVEZ DÉJEUNÉ AVEC ELIZA DUSHKU, ON ÉTAIT PRÉSENT À CHAQUE ÉTAPE DE LA PRODUCTION. DES CONDITIONS IDÉALES POUR CRÉER UNE SÉRIE ?
Oh ça peut devenir casse-couilles ! Vous savez, quand quelqu’un éternue et que les fans s’écrient : « Mon Dieu, c’est fini ! ». Ou lorsqu’on lit : « Ce sera définitivement le plus grand hit jamais vu ! ». Pas le genre de truc qu’on veut entendre à ce moment là, non. Mais il y a pire que d’être soutenu et encouragé. Le fait que les gens s’y sont intéressés et, pour certains, continuent de s’y intéresser, me convient très bien.

DANS UN AUTRE TEMPS, UNE AUTRE VIE, CE SHOW AURAIT-IL PU ÊTRE RENOUVELÉ POUR UNE SECONDE SAISON ?
Ah, ah ! Non, c’est lié à l’époque. Aujourd’hui, un studio sait qu’il fera de l’argent sur la durée, particulièrement avec le genre de séries feuilletonnantes que je produis. S’ils continuent de faire plus d’argent avec « Buffy » et « Angel », ils commencent à en faire régulièrement avec « Firefly ». Du jour où ils l’ont annulé, ils ont commencé à gagner de l’argent avec ! Le marché DVD, c’est la priorité. Les chaînes réduisent leur budget, mais les studios derrière ces chaînes prennent en charge l’argent « manquant » ; ils savent qu’ils rentreront dans leurs frais, bien après la diffusion. On a parlé de budgets réduits de moitié : c’est des conneries ! On arrive encore à travailler malgré les coupes budgétaires. Elles sont minimes par rapport à ce qu’elles devraient être, simplement parce que le studio est derrière nous.

OK, FAITES-NOUS L’ARTICLE SUR LE COFFRET DVD, QUI SORT ACTUELLEMENT AUX ETATS-UNIS. L’ÉPISODE 13, LE FAMEUX ÉPISODE «PERDU», Y FIGURE…
C’est le meilleur package DVD auquel j’ai participé. On a le pilote originel jamais diffusé, les bonus sont bien produits, avec des propos érudits et perspicaces des scénaristes et des acteurs, des gens très articulés. Je me fais chier en général quand je regarde des bonus, j’agonise doucement. Là, j’étais plutôt ému. Et il y a le treizième épisode inédit ! Je suis vraiment désolé qu’il n’ait pas été diffusé comme il devait l’être. Aujourd’hui, les fans connaissent son existence, savent même de quoi il retourne, mais si on avait pu le montrer une semaine après le final comme il en était question, sans qu’ils n’en sachent rien… Mon Dieu ! Je pense vraiment que c’est le meilleur épisode de télévision que j’aie produit dans toute ma carrière.

D’OÙ VIENT-IL ? QUELLE EST SON HISTOIRE ?
Parce qu’on avait « sauté » et enterré le pilote, le studio avait besoin d’un épisode supplémentaire pour l’exploitation DVD. Je ne voulais pas faire de « clip show » (ces épisodes constitués de flashbacks d’autres épisodes, NDLR), essentiellement parce qu’on avait douze épisodes derrière nous, ça aurait été grotesque. Je leur ai dit : « Voilà ce que je peux faire : tourner un petit film d’horreur en HD sur notre plateau, avec un casting entièrement différent, truffé de flashbacks de scènes qui ne se sont pas encore produites dans la série ». Nos personnages principaux ont donc quelques scènes, mais l’histoire part vraiment dans une autre direction. Une esthétique différente, un cast différent, une Dollhouse différente, avec des applications autres… On l’a tourné en pensant qu’on ne reviendrait pas ! C’est complètement barré !

EST-CE QU’IL Y EST QUESTION DES AUTRES DOLLHOUSES ?
Mmm, d’une certaine manière.

OK.
Je ne veux pas trop en révéler.

JE COMPRENDS.
J’en suis ridiculement fier.

OK JOSS, DONC SI J’AI BIEN TOUT COMPRIS: AUCUN PLAN PRÉCIS POUR REMONTER LES AUDIENCES DE «DOLLHOUSE» LA SAISON PROCHAINE ?
Bah… non. On ne va pas changer ce qu’on aime dans la série, mais au contraire poursuivre ce qui fait qu’on en est tombé amoureux. Il n’y aura pas de cascade publicitaire, pas d’effet de casting. Je n’ai jamais été intéressé par les coups de pub, et je ne sais pas les gérer. Pas assez de P.T. Barnum en moi. J’ai une seule responsabilité maintenant : la qualité.

RENDEZ-VOUS L’ANNÉE PROCHAINE ?
Si on est toujours là, avec plaisir. Tiens, même si on est annulé !

«DOLLHOUSE», À LA RENTRÉE SUR TÉVA COFFRET DVD DE LA SAISON 1 DISPONIBLE EN IMPORT ZONE 1 (FOX)
PROPOS RECUEILLIS PAR BENJAMIN ROZOVAS

JOSS WHEDON, LA LIFE
1997-2003_ «Buffy», et son spin off «Angel», tirent leur révérence au bout d’un règne qui aura vu Whedon consacré comme la «next big thing» du divertissement US.
2003_«Firefly» est stoppée net après tout juste 11 épisodes. Son adaptation ciné, «Serenity», sera également un bide sanglant. Joss se fait ravir son titre de Midas cathodique par J.J Abrams. Ça sent le lendemain de cuite.
2008_ «Dr Horrible’s Sing Along», sa websérie musicale, euphorisante et autoproduite, fait exploser les serveurs internet à chaque fois qu’un de ses épisodes est mis en ligne.
2010_ Lance «Dollhouse» 2 et co-scénarise «Cabin in The Woods», film d’horreur réalisé par Drew Goddard, qui revient dans le giron Whedon après avoir été récupéré par J. J Abrams. Non mais !