Le jackpot de Bartherotte fera-t-il jurisprudence ?

Pour ceux qui n’auraient pas suivi, Philippe Bartherotte, c’est ce trentenaire qui vient d’obtenir 500 000 euros de M6, son ancien employeur sur plusieurs émissions de télé-réalité entre 2005 et 2008 (voir mon article « L’homme qui a fait redescendre la petite chaîne qui montait » dans le « Technikart » de mars 2013, page 38).

Comme 1500 signes, c’est un peu léger pour tout expliquer, voici de quoi mieux comprendre ce qui s’est passé.

En janvier 2009, lorsque je rencontre Philippe Bartherotte via une ébouriffante créature blonde d’1m85, il essaie de faire parler de son livre, « La tentation d’une île » (Jacob-Duvernet). Non seulement le titre – ce mix bien vu de « L’île de la tentation » et de « La possibilité d’une île » – m’amuse assez, mais en plus le mec est un personnage singulier, drôle, vif et visiblement du genre tête brûlée.

J’ai donc lu son livre et découvert avec délice un véritable « 99 francs » de la télé-réalité : témoignage romanesque, enlevé, et surtout très méchant dans ce qu’il révèle sur la réalité de la télé. Autant j’étais friand de « L’île de la tentation », mon dernier plaisir coupable du petit écran, autant cette plongée dans les coulisses de ce type d’émission m’a carrément scotché. Je n’ai d’ailleurs pas dû être le seul, puisque l’ouvrage s’est quand même écoulé à près de 14000 exemplaires, malgré tous les efforts de la petite chaîne qui monte pour en limiter la portée.

Dans la foulée de cette publication, Philippe Bartherotte rencontre Jérémie Assous et décide d’attaquer Studio 89, filiale à 100% de M6, aux prud’hommes. But de l’opération : faute de pouvoir faire condamner la chaîne pour le trucage du jeu « Pékin Express », le jeune homme entend au moins toucher ses dizaines d’heures supplémentaires impayées. Sur cette émission, qui sera sa dernière, ses co-équipiers et lui-même devaient en effet suivre les candidats 24h sur 24.

Problème : en France, le droit du travail définit le temps de travail comme celui pendant lequel l’employé se tient « à la disposition de son employeur » et « ne peut vaquer librement à ses occupations ». Comme il est par ailleurs hors de question de faire travailler qui que ce soit 24h sur 24, les contrats de Bartherotte et ses collègues indiquaient des horaires de travail « de 10h à 19h ». Les conclusions du cabinet Assous resteront pourtant sans effet : Bartherotte se voit débouter de toutes ses demandes en mars 2011.

Maître Assous fait donc appel de la décision pour son client, mais ce dernier imputant ce revers à des demandes excessives de l’avocat (voir le second livre de Philippe Bartherotte, « L’avocat du diable », vendu celui-ci à quelques centaines d’exemplaires seulement), décide de s’en séparer et de plaider lui-même sa cause.

Résultat : le 30 janvier 2013, la Cour d’Appel de Paris finit par rendre une décision incroyablement favorable à notre plaignant. Info essentielle : Studio 89 est condamné à verser pas moins de 504 553,20 euros à Philippe Bartherotte, au titre d’indemnités pour travail dissimulé, heures supplémentaires impayées et licenciement abusif… Par ailleurs, les connaisseurs comprendront en lisant la décision que celle-ci risque de faire mal aux sociétés de production qui abusaient jusqu’ici des « CDD d’usage » (ouvrant droit à l’intermittence) pour employer journalistes et techniciens plusieurs semaines d’affilée. Mais comme le document de la décision – seize pages, tout de même – mérite vraiment d’être lu, le voici en intégralité.


 

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