CHRISTOPHE – LE MEC QUI VENAIT D’AILLEURS

Paru dans le numéro 124 de Technikart – 02/07/2008

Légende vivante ? L’hyperactif Christophe est plus que ça: esthète romantique, rockeur mystérieux, excentrique célébré, il a traversé cinquante ans de musiques populaires tout en restant insaisissable. Cette créature vientelle d’un autre monde ?

La route pour Saint Tropez tortille. De Toulon, il faut compter environ une heure vingt de trajet. Ça tombe bien, c’est la durée du nouvel album de Christophe, Aimer ce que nous sommes, enclenché dans l’autoradio. Son neuvième album, en quarante-cinq ans de carrière. Une longévité exceptionnelle. Christophe en a croisés, des artistes à la mode, tombés dans les oubliettes des hit-parades, disparus de la circulation. Lui reste. Il a connu des hauts, beaucoup, des bas, aussi. Il a longtemps été catalogué chanteur kitsch, crooner pour bals du samedi soir. Ma chronique élogieuse de son album Bevilacqua, en 1996, et même l’organisation de sa rencontre avec Nicolas Godin (de Air), en 2001, m’ont valu quelques ricanements. Mes comparaisons avec Bryan Ferry et Scott Walker disconvenaient. Il eut fallu laisser Christophe à son public, la France profonde. Justement, profondes, ses chansons le sont, désormais enracinées dans le patrimoine national. Et Christophe, sans pour autant se métamorphoser, est passé du statut de moustachu ringard à celui de dandy excentrique. Dans la foulée de son album Comm’ si la terre penchait, il s’est triomphalement produit à l’Olympia en 2002 : toute son œuvre en a été, par tous, revue à la hausse. Tout en haut. Dans l’espace. Cité par des artistes avant-garde et des wannabe de la Nouvelle Star, acclamé par Sébastien Tellier et, toujours, ma mémé. Par-delà des classiques comme les Mots bleus, Succès fou ou les Marionnettes, des albums dingues comme les Paradis perdus et le Beau bizarre, des chansons sublimes comme Adesso so Domani no, Cœur défiguré ou J’t’aime à l’envers, il y a un artiste qui vient d’ailleurs. Pour l’Etat civil, Daniel Bevilacqua est né en 1945. L’arrivée de Christophe parmi nous autres, humains, date de 1963. L’artiste a 17 ans – des vinyles le prouvent – il fait du rock’n’roll, il enregistre sur le label du mythique Golf Drouot. Depuis, Christophe est bien resté sur Terre, mais il ne s’est pas pour autant installé, pilotant entre chansons, rock, électro, blues, à coté, au-dessus, dehors. Alien désaliéné. Sur son nouvel album, il y a encore quatre sommets. Tonight Tonight, avec ces phrases typiquement Christophiennes : « T’as pas deux thunes à m’prêter », « Cravate satin gris clair, non j’marie pas mon frère », « Qu’est-ce qui vous pousse à vous lever le matin ». It Must Be a Sign, soulevé par des chœurs de « gosses gitans ». Stand 14, électro blues belliqueux, « la police dépassée », Suicide composant une nouvelle BO pour Crash. Et Parle-lui de moi, prière pop métaphysique. Le quatorzième et dernier morceau passe dans l’autoradio, j’arrive à Saint-Tropez. J’ai rendez-vous à 21h00 au Benkiraï, palace avec bungalows et piscine. Pas de soucoupe volante à l’horizon. Je sirote un verre au bar, en plein air, à un moment je me retourne, c’est Christophe qui vient d’atterrir, à dix heures moins le quart. Il s’est levé il n’y a pas longtemps. Quel look improbable. Manifestement, les accoutrements terriens n’ont pas intégré sa garde-robe. Grand prince, grand comme Prince, cheveux plaqués en arrière, pantalon rentré dans ses bottines, fine moustache blanche, lunettes bleutées. Toujours sur orbite, alerte, ne répondant jamais directement aux questions. On discutera pourtant encore jusqu’à 3h00 du matin. Pour savoir : de quelle planète viens-tu, Christophe ?

QU’EST-CE QU’ON FAIT LÀ, TU VIENS SOUVENT ICI ?
Je fais des passages, ici ou ailleurs… Je fais juste des passages… J’aime bien le changement, Ramatuelle ou ici. Je rêve que sur le port, quelqu’un me dise : « Allez, monte ! » , et je prends la mer !

POURQUOI SAINT-TROP’ ? LE SOUVENIR DE BRIGITTE BARDOT, QUE LES BEATLES IDOLÂTRAIENT ?
Ah ouais… Mais moi, j’ai jamais été amoureux de Bardot, et j’aimais pas les Beatles tant que ça. J’étais juste amoureux de Lennon…

TU L’AS MIS EN SCÈNE DANS «MERCI JOHN D’ÊTRE VENU», OÙ IL SE POINTE À UN MARIAGE, FORNIQUE LA MARIÉE, ET ON LUI DIT MERCI…
Je le connaissais pas personnellement, Lennon, mais le batteur, oui, là, euh, Ringo ! On a passé du bon temps avec lui, une sacrée fête, et il est venu à la maison, Ringo, on a fait une photo dans la cour. Il existe aussi des photos de moi avec James Brown. Extraordinaire, James Brown. Moi, j’étais à la guitare, avec ma boîte à rythme. J’avais été le voir à Monte Carle, à la Pinède.

C’ÉTAIT QUAND, ÇA ?
Ouh la… Il faut que je retrouve ma tête. La tête que j’avais à l’époque. J’avais pas les cheveux tirés en arrière. C’était avant ma période la plus… enfin, c’était avant 78…

1978, C’EST «LE BEAU BIZARRE» ET, TRENTE ANS PLUS TARD, VOILÀ «AIMER CE QUE NOUS SOMMES»…
Je le vois comme un film, ce nouvel album. Je suis metteur en scène. Je pense avoir fait un bon casting, avoir choisi les bons acteurs.

JUSTEMENT, L’ALBUM COMMENCE AVEC «WO WO WO WO». C’EST ADJANI QUI CHANTE, COMMENT A-T-ELLE ATTERRI LÀ ?
Je suis en Ferrari, je passe à l’Observatoire et j’ai cette envie de pisser, tu sais, celle qui te donne du bonheur. Et donc il y a Isabelle Adjani…

QUE FAIT-ELLE DANS TA FERRARI ?
Comment ça ? Je parle de son disque, hein, Pull marine : c’est le CD que j’écoutais. Enfin, à l’époque, non, c’était une cassette. Une cassette que j’avais faite pour la route, avec que du classique, Lou Reed et Pull marine

«LE LOCATAIRE», «POSSESSION», C’ÉTAIT UNE SACRÉE ACTRICE…
C’est un killer, cette meuf. Possession, j’aime pas l’acteur, ça ne me dérangeait pas qu’elle le trompe avec la chose visqueuse, ça me rappelait l’Etrange Créature du lac noir.

IL Y A D’AUTRES «ACTEURS», COMME TU DIS, SUR TON NOUVEL ALBUM, MAIS C’EST TOI QUI DIRIGE TOUT, ET DEPUIS TOUJOURS, PUISQUE CONTRAIREMENT À JOHN LENNON OU SCOTT WALKER, TU AS ILLICO ÉTÉ SOLO…
Je connais ce métier, tu sais comment ça marche dans le show-biz, chacun veut tout s’attribuer, mais moi je te dis que là, c’est un vrai travail d’équipe. « Tof », Christophe Van Huffel (voir encadré), a été essentiel. Chacun a apporté quelque chose. Pour aller plus loin. Dépasser l’électro ! Je suis aussi sur la musique d’un film, je vais te faire écouter après dans ma chambre, ça va te donner une pêche pas possible.

ON ENTEND DÉJÀ TA MUSIQUE DANS UN TARANTINO, DANS «KILL BILL 2»…
Oui, un extrait d’une autre BO que j’avais faîte, la Route de Salina… Là, ma nouvelle musique de film, c’est avec Niels Arestrup. Il n’était pas le copain d’Isabelle ?

JE SAIS PAS. JEAN-MICHEL JARRE, QUI T’A ÉCRIT DES TEXTES EN 1973-74, L’A ÉTÉ, LUI. VOUS ÊTES TOUJOURS EN CONTACT ?
Non… Personne n’est parfait. Moi, je vois tous mes défauts. On est un être humain, on fait notre chemin, comme ça, comme on peut. Au départ, la voix que fait Isabelle, « Wo wo wo wo », ça devait être Alain. Bashung. Parce que les paroles Je lui dirai, c’est en référence aux Mots bleus, qu’Alain avait repris. Mais lui-même sortait son album, alors j’ai pensé à Isabella Rosselini… Mais comme je suis un peu copain avec Asia Argento, elle voulait que j’aille à Rome l’enregistrer. Et tout à coup, je me suis dit : « Adjani. » Putain, Isabelle, quand même, c’est pas de la merde, hein ! Obispo m’a dit : « Si elle vient, tu as du bol. » Elle est venue. D’abord avec son coach. Un mec qui voulait me coacher, pour des films. Mais pour tourner avec quels réalisateurs en France ? Moi, j’aime les bons. Bref, avec Isabelle, elle a pris ses marques, et puis à 2h00 du matin, on était aux sushis avec du champagne.Y a jamais eu de cul entre nous, juste du respect.

«MAL COMME», LA CHANSON QUI DONNE SON TITRE À L’ALBUM, «AIMER CE QUE NOUS SOMMES»…
Oui, dis-moi, dis-moi…

IL FAUT LUI DONNER QUEL SENS ? PHILANTHROPE OU NARCISSIQUE ? AMOUR DE L’HUMANITÉ OU DE SOI ?
Moi, je reçois ça d’une façon plus narcissique. Bon, il y en a qui peuvent voir plus large, ceux qui sont réglés. Moi, je suis déréglé, vers l’intime. La souffrance, tu vois ce que je veux dire ? Tu vois ?

C’EST UN ALBUM OÙ TU REVENDIQUES L’AMOUR QUE TU TE PORTES À TRAVERS LA VIE QUE TU MÈNES ?
Ah oui. J’ai plein de barrières. Et je les saute. Par rapport à ça. Ma vie, c’est que les barrières n’existent pas. Mais on m’en met. Alors, je les saute.

C’EST QUOI, CES BARRIÈRES ?
Des on-dit, des trucs qui vont m’arriver, qui me touchent pas vraiment. Les côtés à la con des êtres humains, la jalousie…

J’AI L’IMPRESSION QUE LES FÂCHEUX, TU AS TOUJOURS EU LA CHANCE DE POUVOIR VIVRE À LEUR ÉCART. QUE TU AS PU TE CRÉER LE MONDE QUE TU VOULAIS: «VOILÀ COMMENT JE SUIS, PROFITEZ-EN.»
Merci mes parents de m’avoir fait ce que je suis. Merci mon père, ma mère, je vous aime. Merci ma tante de m’avoir joué du Chopin.

SUR LE PIANO FAMILIAL, AU TROISIÈME…
Non, chez moi, c’était au grenier, c’est-à-dire au deuxième étage. Mon frère avait confectionné une sorte de night club, là. A côté, ma mère faisait sa couture, les femmes se déshabillaient là, je traînais dans les tissus…

TU ES TOUJOURS EN CONTACT AVEC TES DEUX FRÈRES ?
Oui, il y en a un à la campagne, il supporte mal le monde contemporain. Et l’autre habite en Afrique, en dessous de Dakar. Je vais peut être aller le rejoindre : je supporte plus la flicaille à Paris. En Afrique, il fait sec. Moi, je suis bien partout.

TOI EN AFRIQUE ? DÉJÀ, JE T’IMAGINE MAL EN ANGLETERRE…
J’y étais neuf mois. Si la vie était pas aussi chère là-bas, je m’y installerais. Direct. J’ai toujours aimé les Allemandes et Londres. J’aime l’inconnu. Passé « yes », je parle pas vraiment la langue. Les Londoniennes… Tu sais comment c’est, Londres. Rempli de Tchèques, Polonaises, Bulgares. Donc tout va bien.

TU AS INTITULÉ UNE CHANSON «ODORE DI FEMINA»…
Y a des femmes qui sont des miracles. Elles ont un truc… J’ai rencontré Dominique Abel, une jeune réalisatrice, elle fait des films sur les gitans. On a tourné à mille mètres d’altitude, avec ses parents. Sa mère porte une queue de cheval, elle est superbe. Le truc des mecs de 60 qui ne flashent que sur les filles de 20, ça peut exister, mais pour moi, c’est de la couille. De la couille. Une femme de 75 balais peut me faire vibrer.

TU AS TOUJOURS ÉTÉ UN ROMANTIQUE, IL Y A UNE DIMENSION PLUS SEXUELLE DANS TES CHANSONS AUJOURD’HUI. «ELLE AVAIT JUSTE ENVIE D’ASTIQUER LE RÉEL, ELLE DÉFIAIT LE MYSTÈRE DANS LES COULOIRS DU DÉSIR»…
Sur Tandis que, co-écrite avec Marie-Pierre Chevalier… Il y a aussi : « Elle n’avait pas besoin d’être spécialement belle pour me rendre heureux pour me rendre nerveux. » J’ai changé. Au début, c’était plus éphémère, c’était : « Pour me rendre heureux allongée sur mon pieu », je voulais un mot qui perdure.

TU ES OBSÉDÉ PAR LES FEMMES ?
Obsédé, c’est pas le mot… D’abord il est trop faible. Et puis il a une connotation de mec dangereux, alors que je respecte les femmes. Obsédé, il y a une notion de ratage. Moi, je veux du grandiose. Depuis que j’ai 10 ans. Depuis avant, même. La première que j’ai attrapée, j’avais 8 ans. Et je suis resté trente ans avec ma femme, avec Véronique, tu la connaissais ? Eurasienne. J’aimais sa peau, j’aimais sa gueule, j’étais fou d’elle. Elle était trop belle pour moi. Tu me trouves beau, moi ?

OUI…
La beauté masculine, c’est compliqué. Y a deux ans, je suis devant ma télé, je regarde le Festival de Cannes, et vers la fin, tout à coup, Alain Delon. Oh putain ! Number one. Je suis un esthète. Il venait chez moi quand je collectionnais des films. Il m’a toujours vouvoyé, et puis il a mal tourné. Quand il parle, il dit des grosses conneries. Il brille quand il parle pas. Eh, il a bien connu Nico ! Il a frôlé le Velvet !

TU ES TOTALEMENT CONTENT DE CE NOUVEL ALBUM ?
Oui. Alan Vega aurait dû être dessus. Mais avec les cons dans l’industrie, les affairistes de merde… Enfin bon. Autrement, j’ai une autre version de Tonight que je préfère. Tonight, c’est la vie, c’est le petit matin, quand tu vas frapper chez le boulanger. Y a trois ordis chez moi qui fonctionnent, il y en a deux qui étaient occupés par moi et Florian Zeller, venu bosser sur mes textes. Le troisième s’est enclenché tout seul, c’était le film de Schnabel sur Basquiat. Un passage où Basquiat dit : « T’as pas deux thunes ? » Alors voilà, dans la chanson, ça devient : « T’as pas deux thunes à m’prêter ? »

DANIEL FILIPACCHI RÉCITE LES CRÉDITS À LA FIN DU DISQUE…
C’est mon ami. On a été acheter un micro chez Darty et on est allés dans sa maison de campagne. Au départ, je voulais pas de crédits. On m’a dit : « C’est obligatoire. » C’est obligatoire, dans l’art, les crédits. C’est la victoire des connards. Donc j’ai eu l’idée que ce soit un morceau.

FILIPPACCHI EST PASSIONNÉ DE JAZZ…
J’ai 13 ans quand ma marraine, à Montmartre, met Europe, à 5h00 du soir et, tout d’un coup, j’entends Everybody Rockin’ par John Lee Hooker. T’imagines le choc ? Ma vie a changé grâce à Filipacchi.

EN 1959, SON ÉMISSION «SALUT LES COPAINS» DEVIENT LE RENDEZ-VOUS IMMANQUABLE DES JEUNES…
Mais jamais je ne verrai Daniel pendant la période des yé-yés. J’étais un rebelle. Notre première rencontre, c’est 1980. L’art nous a liés. Je lui ai échangé une pompe à essence contre un tableau. Ça a commencé comme ça. Parce que je n’ai pas cherché, longtemps, à le rencontrer. Ecoute, moi, j’aime Bowie ou Elvis. Mais mon idole, c’est Lou Reed.

IL A ÉTÉ LOIN: CHEVEUX PLATINE, BISEXUALITÉ, OVERDOSES…
Ah ouais… Mais on n’est pas en compétition. Ma bisexualité, c’était avec les voitures. Les camions. J’ai eu des voitures, oh, putain ! Ma Cadillac rose. Mon Harley. J’avais réussi à les oublier.

TU AS PROFITÉ DU YÉ-YÉ MAIS TU N’EN FAISAIS PAS PARTIE, CONTRAIREMENT À FRANÇOISE HARDY…
Elle m’a invité une fois à dîner chez eux. Dutronc et moi, c’est une amitié estompée. Stand 14. Jamais venu dîner à la maison. C’est un grand mec, avec une vraie dimension, et ceux qui ont une telle dimension restent dans leur coin. Il était très copain avec Gainsbourg, et moi, Serge, je ne l’ai vu que quand il venait chez moi. C’est lui qui venait m’attraper, on restait seuls, ou une fois c’était avec son copain de RTL, Labro. On a bu des coups, on était dans des états, t’imagines… Mais pas proches.

GAINSBOURG, DUTRONC, MANSET ET POLNAREFF: L’UN EST MORT, LES TROIS AUTRES SUCRENT LES FRAISES. TU AS LA DÉSAGRÉABLE IMPRESSION DE NE PLUS AVOIR DE CONCURRENCE À CE NIVEAU-LÀ ?
Je pense pas comme toi. Dutronc, lui, c’est un vrai personnage. Mais je ne suis pas en concurrence avec Manset et Polnareff, je ne m’intéresse plus à leur histoire. C’est pas méchant, c’est la réalité. Manset, il y a eu la Mort d’Orion, une œuvre d’art, mais après… Polnareff, quand il est passé à Bercy, j’étais en route pour aller le voir et une copine m’appelle pour me dire qu’elle allait voir Jerry Lee Lewis : j’aime mieux te dire que j’ai vite changé de direction et que je suis allé voir Jerry Lee !

VOUS AVEZ INFLUÉ, LES CHANTEURS, SUR L’HISTOIRE DE FRANCE ?
Il y avait Brassens, Ferré. Moi, je ne suis ni de gauche, ni de droite, je suis d’une autre planète. Mai 68, j’étais au milieu des voitures brûlées, la nuit, et surtout chez un mannequin, Zoé, enfermés. Ça m’intéresse pas les autres, je veux pas qu’on me dise ce que je dois faire, je sais ce que je veux. C’est tout ce que je hais, ça. J’aimais beaucoup les flics des années 60. Des gentlemen, ils t’accostaient en disant : « Monsieur, permettez-moi… » Maintenant, non, des voyous. Je ne repasse pas mon permis de conduire pour ne plus jamais avoir à fréquenter les flics. Ce qu’ils font, ça ne se fait pas. Leurs sirènes. D’où je suis, je respecte ce que les gens veulent. Mais l’autre jour, Florian Zeller m’invite à dîner un petit bout, avec Carla Bruni. Je ne pensais pas qu’il y aurait son compagnon. Je la vois au bout du couloir, je suis en train de manger une brochette avec une amie, Carla vient me voir, comme dans une surboum, très fière et très simple, elle me dit : « Tiens je te présente… », euh, je ne sais plus comment elle a dit, mais c’était Sarkozy.

TU NE PARTICIPES PAS À SON ALBUM, À CARLA BRUNI ? IL Y A HOUELLEBECQ…
Houellebecq, on a traîné un soir ensemble et il m’a fait un mauvais plan. Il est tellement pas bohémien.

TON ENTOURAGE S’ADAPTE FACILEMENT À TON MODE DE VIE ?
L’enregistrement à Séville, à coté du studio, on pouvait tout prendre, à disposition, vodka, tout… Les Espagnols, ils n’y allaient pas de main morte. Et ils m’ont impressionné. Une prise, j’avais quelque chose de trop fort. C’est pour ça que j’ai cette vie. Elle est comblée par des moments comme ça, quand je suis provoqué. Je prends la commande. main morte. Et ils m’ont impressionné. Une prise, j’avais quelque chose de trop fort. C’est pour ça que j’ai cette vie. Elle est comblée par des moments comme ça, quand je suis provoqué. Je prends la commande.

TU NE VOIS PLUS D’AMIS DE TA GÉNÉRATION ? ILS SONT MARIÉS, DIVORCÉS, REMARIÉS, FATIGUÉS, SAGES…
Je ne me pose pas la question en termes de génération…

MAIS LES PERSONNES QUI T’ENTOURENT AUJOURD’HUI, ELLES ONT PLUS 20-30 ANS QUE TON ÂGE, 62 ANS. TU AS UN MODE DE VIE QUE PEU DE PERSONNES DE TON ÂGE PRATIQUENT.
Ceux qui à 20 ans avaient une vraie différence, je parle des vrais, ils l’ont toujours aujourd’hui. Quand je vais au Regard Moderne, je vois beaucoup de gens de 70 ans, on parle, on a juste un peu plus de vécu…

TU COMPOSES, TU VIS LA NUIT, TU VOYAGES, TU T’ES CRÉÉ TA PLANÈTE, TU EN AS NATURELLEMENT EXCLU LES BOURGEOIS, LES CONFORMISTES ?
Je suis un sauvage, hein. La projection me suffit pas, il faut que je réalise. J’adorais les voitures américaines, je me suis procuré une Cadillac rose, que je garais devant chez moi. J’ai toujours été regardé. Pas pour la célébrité. Parce qu’on me regarde. Je suis différent. Etrange.

TU AIMES ÇA ?
Ah ouais, j’aime autant. Même si dans le regard, tu vois parfois… Des gens qui se disent…

QUI C’EST CE FREAK ?
Hein ?

QUI C’EST CE FREAK ?
Ouais. Tu connais The Knack, de Richard Lester ?

OUI, «CERTAINS NE L’ONT PAS, D’AUTRES L’ONT.»
Voilà. Moi, je suis un joueur.

LA CÉLÉBRITÉ EST DEVENUE UNE NOTION MÉPRISABLE, MAIS LE POUVOIR, EST-CE IMPORTANT POUR UN ARTISTE ?
Dans ce monde là, policier, le pouvoir que je veux, c’est qu’on me foute la paix. Tu te lèves quand tu veux, tu vas dans la rue comme si tu débarquais d’une autre planète. Sur Terre, ça penche, il n’y a plus que des interdits, on ne peut plus rien faire, alors pourquoi on n’interdirait pas le bruit ? Je n’en peux plus, du bruit, partout. Mais je n’ai pas besoin de plus de pouvoir. Avec le peu de moyens que j’ai, je peux enregistrer ce que je veux.

MATÉRIELLEMENT, ÇA VA.
On peut gagner de l’argent dans ce métier-là. Mais quand tu vis comme moi… Ma vie, c’est de brûler mes avances. Je raconte pas ma vie. Le truc, c’est l’attente. Tu vas voir le film, il y a la bande-annonce, et c’est fini. Mon film, c’est la bande-annonce.

LE POUVOIR, IL EST AUSSI LIÉ AU SEXE ?
Dans une vie, qu’est-ce qu’il y a d’abord ? L’amour, le cul, la création, mais les gens, ils parlent de cul comme si c’était un interdit. Ils sont trop cons ! C’est juste le plus vieux jeu qui existe. Un jeu avec des dames, on se bouffe, et tout ça…

C’EST UNE LIMITATION OU UNE VOIE POUR SE TRANSCENDER ?
Là, tu vas trop loin pour moi. Je suis un instinctif, je me pose pas la question. Je suis pas un pervers. Ou alors, un pervers romantique. Y a que le couple auquel je crois pas. Ça tue l’amour, le couple.

TU NE DORS PAS LA NUIT. TU FAIS QUOI, À PART COMPOSER ? TÉLÉ ?
Non. Sur le câble, je regarde des courses automobiles, ou le poker, ou quelques autres trucs, le Festival de Cannes, toujours, mais la télé, non. Par contre, les DVD, oui. Je ne me déplace pas sans films, une cinquantaine à chaque fois. La nuit, je regarde des DVD, plein. Une chaîne du câble m’a demandé de faire une programmation, j’ai pu choisir The Incident, de Larry Peerce, et d’autres, variés.

A 15 ANS, TU SAVAIS DÉJÀ QUE TU AURAIS UNE VIE DIFFÉRENTE ?
Ben ouais, j’ai choisi la famille des bohémiens et, tu sais, c’est aussi parce que je suis joueur, un flambeur.

QU’EST-CE QUE ÇA CHANGE, LE FAIT QU’AUJOURD’HUI TOUT LE MONDE SE PRENNE POUR DES BOHÉMIENS ?
Il n’y avait pas ce regard des gens. Aujourd’hui, c’est de la jalousie, avant, on pouvait voir du respect.

PAR RAPPORT À LA VIE DES HUMAINS, TU TE DIS QUE TU AS DE LA CHANCE ?
Ma vie, je ne pense pas que ce soit une création. C’est mon état de différence qui a fait que j’ai créé des choses, artistiquement. C’est un état qui ne se créé pas, comme le dandysme, c’est plus inné que calculé. Ce que subissent certaines personnes, je me dis que ça ressemble à des émissions sur lesquelles je tombe, où des gens viennent s’exprimer sur leurs trucs, et pour moi, là, c’est la fin du monde. Et ce support de télé, avec des niais fiers de leurs émissions horribles… La fin du monde. Dans ma tête, je veux rester grand.
«AIMER CE QUE NOUS SOMMES» (AZ).

ENTRETIEN BENOÎT SABATIER