Le péquenot peut-il sauver le roman noir ?

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Loin des beaux quartiers des villes et des cités, le noir français s’intéresse aussi à la ruralité. Quand le meilleur du genre prend un goût de galette aux griaudes.

Au fond, qu’est-ce qui différencie les « rednecks » des « péquenots » ? La « country » de la «campagne»? Le continent, la langue et l’imaginaire évidemment: True Detective, c’est tout de même plus sexy que, mettons, Louis La Brocante. On ne cite pas par hasard ce fleuron de la télé de service public. Son acteur principal n’est autre que Victor Lanoux, connu des cinéphiles pour son rôle de paysan priapique et sévèrement barré dans Canicule, chef d’œuvre malade et déviant d’Yves Boisset (d’après Jean Vautrin), où notre célèbre moustachu côtoyait Lee Marvin. Oui, la campagne française peut prendre des airs de bled paumé du Michigan ou de l’Arkansas – ce qu’on aurait tendance à oublier, à la lecture de nombre de polars français préférant de loin l’univers urbain… Pourtant, certains auteurs tentent d’explorer ces zones à faibles densité de population. Il en va ainsi de la multi-primée Sandrine Collette qui, après avoir signé des thrillers dans le milieu viticole (Un vent de cendres) ou en pleine montagne (Six fourmis blanches), signe une splendide tragédie noire en plein cœur de la Patagonie argentine, Il reste la poussière. Le décor change, mais quand on sait que cette romancière vit une partie du temps en plein cœur du Morvan, difficile de ne pas superposer les images.

FABLE MORALE SUR FOND DE HEAVY METAL

Mais s’il fallait trouver un symbole parfait de la décentralisation du roman de genre, ça serait certainement le nouvel ouvrage de Benoît Minville, dont le titre relèverait presque du redneckmanifeste: Rural noir. Ce garçon tatoué nous plonge en effet dans la Bourgogne la plus profonde – à savoir le Bazois, au centre de la Nièvre. C’est là-bas qu’il a passé de nombreux étés. « En 1991, on était une bande d’ados et le soir, dans cette grange où on faisait nos boums, on écoutait “Thunderstruck” d’AC/DC et les New Kids On The Block…, se souvient cet admirateur de Mark Twain et John Steinbeck. On vivait alors comme Tom Sawyer et Huck.»

Les années ont passé et Minville – devenu libraire — s’est plongé dans le polar américain et a eu un choc avec les bouquins du Texan Joe R. Lansdale (citons Les Marécages ou Juillet de sang – remarquablement adapté au cinéma, sous l’intitulé original Cold in July). «Je lui dois mon envie d’écrire un roman de type “country noir”, mais à la française. Quelle que soit la région, je pense que nos territoires sont des terreaux fertiles pour la littérature. Certes, le polar urbain et les critiques de la gentrification m’intéressent : les bas-fonds, Starbucks qui s’installe partout, la paupérisation contre la boboïsation… Mais j’ai eu le désir d’évoquer ceux dont on parle au fond assez peu, habitants de la France rurale et périphérique, modestes, petits blancs.» À travers le retour dans la Nièvre de Romain et des embrouilles de son pote Vlad, Benoît Minville a bâti en dur un roman classique d’initiation et de perte de l’inno- cence, fable morale sur fond de heavy metal prétexte à une peinture juste et nuancée de ces territoires à trois heures de Paris – sans jamais tomber dans les clichés trop «white trash», les célébrations à la JP Pernaut ou le syndrome Délivrance. À lire en dévorant une part de galette aux griaudes des établissements Jean Fernandes, à Chatillon-en-Bazois. Contactez l’auteur pour l’adresse…

BAPTISTE LIGER

Il reste la poussière – Sandrine Collette (Denoël / Sueurs froides, 306 p., 19,90 €) Rural noir – Benoît Minville (Gallimard / Série noire, 256 p., 18 €)


Paru dans Technikart #198, février 2016

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