CRYSTAL CASTLES – LE PIÈGE DE CRYSTAL

Paru dans le numéro 123 de Technikart – 22/05/2008

Comme les Sex Pistols, ils sont nihilistes et fashion, détestent les médias et drainent des fans exaltés. Alors, on a suivi Ethan et Alice, de Crystal Castles, pour en savoir plus. Insupportables, indomptables, admirables : reportage au cœur du volcan.

Le 8 févrirer 2008 : des kids invraisemblables, comme sortis d’un film de Tim Burtonn s’agglutinent devant la scène du social Club à Paris. Ils veulent être aux premières loges pour assister au premier concert parisien du duo canadien Crystal Castles. Serre-têtes à paillettes, robes de cocktails 80s’ et talons hauts pour des filles à peine formées : c’est Boom-Box à Paris et ça fait chaud au coeur. La dernière fois qu’on avait assisté à une aussi massive sortie de kids, qui doivent vivre entre Viroflay et le Marais, c’était au concert de The Horrors. Depuis, plus aucune trace de cette espèce frenchy nu rave. Dès les premiers bidouillages de synthés d’Ethan Kath, c’est le pogo, du genre géant. Ça hurle, ça chiale limite : une giboulée de sentiments et d’émotions devant une Alice Glass possédée qui miaule dans son micro, s’agite et se cogne. On dirait la sorcière la plus tarée de The Craft, celle incarnée par Robin Tunney, revue en 2008 et sous amphèts. Voilà : Crystal Castles nous promet un fantastique (no) future.

Crystal Castles, c’est Ethan Kath (qui se fait aussi appeler Ethan Fawn), né à Toronto en 1980. Ado, il écoute Metallica, Guns N’ Roses, flirte avec la petite délinquance. Ce serait d’ail leurs lors d’une condamnation pour travaux d’ordre d’intêret général général qu’il aurait rencontré Alice Glass, 15 ans à l’époque. Elle fait des essais de voix, ça donne le premier single du duo, Alice Practice. De cette déflagration electropunk, le buzz ne cesse de monter : l’an dernier, le groupe est coopté par la série télé Skins (voir aussi page XX), pour jouer en live Alice Practice, a remixé les Klaxons et Liars (une version époustouflante de It Fit When I Was a Kid). Et, cette année, Crystal Castles sort son incroyable premier album (voir Technikart n°122) tout en étant élu par le NME pour être la tête d’affiche du New Noise Tour 2008. C’est justement pour un live anglais, lors du festival Camden Crawl (deux jours de concerts dans tout ce que ce quartier londonien compte de bars et de clubs) que l’on retrouve Crystal Castles sur scène. Le public est toujours aussi jeune et fanatique. Ethan en retrait et Alice exhalant une rage qui semble impossible à contenir dans un si petit corps. On comprend alors que plus que la fantastique décharge électro, c’est la colère d’une génération que le groupe porte en lui. Avec des contusions un peu partout.

La rencontre avec le duo, organisée quelques heures plus tôt, se passe évidemment mal, disons encore plus mal que prévu. Vingt-trois questions en quinze minutes, c’est dire sa coopération. En gros, Alice sourit et s’excuse tandis qu’Ethan, caché sous la capuche de son sweat, répond soit « oui » soit « non », soit qu’il s’en fout, soit qu’il ne veut pas répondre et reprend Alice dès qu’elle essaye d’ouvrir la bouche : « Ne parle pas de ça, ça pourrait casser notre image. » Drôle de comportement : vrai renouveau punk ou réunion de deux cerveaux vides, tout juste conscients d’être cool et à la mode et capables de préméditer une attitude rock et trash ? Sincérité et charisme à la Amy Winehouse ou merde de chien façon 5 O’Clock Heros, le groupe qui se paye un featuring avec la mannequin du moment, Agyness Deyn ? Pour mieux comprendre ce qui peut bien attiser l’aura du groupe, la convoitise des médias et l’hystérie des fans pour ces deux petits bouts de personnalités étrangement constituées, on traîne, micro à la main, au milieu du public : un jeune mec de Belfast « venu spécialement pour eux », Mickey, un Londonien qui vient de voir « le meilleur concert de sa vie », Zacchary, étudiant de 18 ans, qui est « là par hasard » et qui « n’en pense pas grand chose », May, réalisatrice de clips, qui pense que « C’est exactement ce dont tu as besoin un vendredi soir, tu comprends ? » Non, on ne comprend pas tout. Ce premier concert, donné dans le Purple Turtle, n’a pas cassé des briques et l’on rentre à l’hôtel couvert du pus qu’a exulté Mademoiselle Glass dans notre gueule. Sans rien avoir demandé.

En France, Crystal Castles a été découvert par les Fluokids qui ont posté deux de leurs titres, No Skin et Xxxzxcxme, sur leur blog en août 2006. Pharrell, l’un des bloggeurs, explique sa vision de ce groupe incernable : « On aimait bien parce que ça semblait crédible au début. On sentait un truc nouveau, une sorte de destruction dansante. » Mais aujourd’hui, le bloggeur blondinet ne supporte plus l’ascension du duo surdoué : « Au bout de quatre morceaux, ça fait Vive la Fête de l’adolescent moyen… » Une autre récrimination ? « En plus de ça, ils ont une stratégie marketing à deux balles à base de “On se montre pas, on est trop coolos pour ça”. Aujourd’hui, si leur musique est sur la bande originale de Skins, c’est qu’il y a une raison simple : c’est un groupe pour les Tecktonik anglais. » Crystal Castles restera-t-il un groupe Internet jetable, un buzz sans lendemain comme on en croise tous les mois ? Par bonheur, la seconde journée du Camden Crawl commence avec une anecdote plutôt attendue mais quand même assez drôle : c’est encore une après-midi de promo et le groupe a tout simplement… disparu. Leur attaché de presse court partout, entre les touristes et les punks de Camden, pour essayer de leur mettre la main dessus. Ils ne réapparaîtront que quelques heures avant leur seconde prestation au Dingwalls.

C’est dans un bar cinq fois plus grand que celui de la veille que s’apprête à jouer le duo. Conséquence : les ados sont dix fois plus nombreux. Dix fois plus énervés aussi. Dès les premières notes de Courtship Dating, le public tente un putsch en envahissant la scène. Le vigile censé assurer la sécurité des artistes appelle du renfort. Deux autres molosses viennent à la rescousse et éjectent un à un les danseurs possédés qui atterrissent dans nos bras, slament dans le reste de la salle avant d’essayer de remonter sur la scène. Les gars de la sécurité obstruent la vue du public. Alice décide de grimper sur les épaules de l’un d’eux pour pouvoir poursuivre son show à la vue de tous. Elle se fait aussi éjecter. Alors elle remonte, hurle ses paroles dans les oreilles de Security Man, lui dit d’aller se faire enculer et de retourner faire l’entrée à la porte. C’est tétanisant à voir, cette masse stoïque et ce petit animal qui l’escalade comme s’il était un arbre. Il y a là un bouleversement qui a lieu sous nos yeux : une telle violence, une rage non contenue, une vraie envie de changement qui claque au visage. On assiste en direct à cette envie de tout casser pour mieux reconstruire, guidée par une musique robotique et minimale. Cette destruction est en germe depuis des années dans les corps de tous ces kids des années 90, comme stigmatisés par les convulsions et les cris d’Alice. L’anarchy vécue in the Dingwalls pourrait bien se répandre partout. Oui, ça remue. Et oui, ça donne envie de dire à la terre entière d’aller se faire foutre. «CRYSTAL CASTLES» (DIFFERENT/PIAS).

SARAH CONSTANTIN