Le retour de Gladiator

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Et si le prochain président des Etats-Unis combattait les grands patrons ?
Héros des 60’s, Ralph Nader a combattu le titan General Motors et inventé la défense des consommateurs. Aujourd’hui, il revient comme candidat aux présidentielles américaines. Mini-ego, minifrime, mais il fait le maximus.

Les manifestants de Seattle n’auront pas seulement mouché l’OMC. Ils auront montré qu’il existe une gauche américaine. Une gauche américaine ! Quel drôle de terme. On dirait un oxymoron, une alliance de mots contraires, comme cette « obscure clarté » dont parle Racine.

Difficile d’imaginer que dans l’Empire du libéralisme triomphant, on puisse trouver des citoyens pour ne pas adhérer à l’american way of life et à son slogan, « Du pain et des jeux ! ». Nouveau signe de cette résurrection, le retour au premier plan d’un personnage lié aux années 60 comme un mannequin d’essai à son siège de voiture : Ralph Nader, célèbre inventeur des associations de défense des consommateurs. Ce personnage bien peu glamour, sorte de héron emmanché d’un long bec, se présente aujourd’hui comme candidat vert aux élections présidentielles. Surprise : il joue le rôle du trouble fête, avec 8o% d’intentions de vote, un score qui pourrait bien inquiéter Al Gore, surtout dans un pays où le désintérêt de la chose politique atteint des sommets (presque 60% d’abstention aux dernières élections !). Le propos de Nader est simple. Il fustige « l’avidité des grands groupes qui détruisent l’environnement et entraînent la pauvreté » et critique « une économie d’apartheid, qui ne profite qu’aux riches ». Un discours sans fard qui lui vaut de fédérer le front débraillé de la gauche américaine, du réalisateur Michael Moore (Roger et Moi) à Jello Biafra, l’ancien chanteur des Dead Kennedys. Ceux-ci voient en lui une alternative au faux combat entre Bush et Gore, puisque, selon Moore, « républicains et démocrates tombent d’accord sur 90% des problèmes et sont totalement prisonniers des grands groupes». 

 

A 66 ans, il habite un studio, tape son courrier sur une machine Underwood et n’a pas de voiture.

 

JEAN-PIERRE PERNAUT DE GAUCHE
Se déplaçant uniquement en charters et utilisant la réduction que lui permet sa carte senior, Nader est un candidat pour le moins atypique. A 66 ans, il habite un studio, tape son courrier sur une machine Underwood et n’a pas de voitures.
On le croirait inchangé depuis les années 60, époque où ce jeune diplômé de Harvard se rendit célèbre en combattant le titan General Motors. Paru en 1965, son livre, Unsafe at Any Speed, dénonçait l’absence de sécurité dans les voitures américaines. S’ensuivirent un best-seller et un procès spectaculaire qui devaient en faire la coqueluche de la ménagère. Au fil des années, Nader et ses émules – surnommés les « Nader’s raiders » défendirent sur tous les fronts les droits des consommateurs, mais aussi des travailleurs ou des employés, face aux abus des « grandes firmes » (sa marotte).
Vu d’ici, le bonhomme pourrait passer pour une sorte de Jean-Pierre Pernaut (gauche, militant associatif sec et procédurier, qui passa sa vie à intenter des procès et à I gagner ce qui, dans les années 60, devait le rendre certainement moins attirant que Jerry Rubin et Abie Hoffmann, hippies bruyants et colorés qui s’illustraient à la tête du mouvement yippie. Mais aujourd’hui, c’est sans doute à cause de cette austérité que Nader est à la mode. Comme le disait un article du Village Voice, il bénéficie d’un effet « rétrocool ». Dans un pays où la politique-spectacle a atteint son point maximum, Nader incarne une droiture, une honnêteté, un souci du bien public quasi extraordinaires. Il est la seule personne qui promette une couverture sociale pour tous, qui veuille élever le salaire minimum, le seul qui, selon Michael Moore, se lève en se demandant « Que puis-je faire pour aider les gens de mon pays ? »
Dans Gladiotor, Ridley Scott et Steven Spielberg montrent comment, dans un empire décadent et cynique, seul un homme isolé, droit et honnête peut se lever et résister à l’oppression ambiante. Une vision naïve mais qui nous semble d’actualité. Seule la naïveté, semble-t-il, peut encore nous sortir du bourbier dans lequel nous pataugeons et affirmer d’autres valeurs. Force et honneur ?

Laurent Clay


Technikart #45, septembre 2000

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