Le tiercé dans le désordre

Leur itinéraire est unique mais pourrait être celui de chacun de nous.

1. Undergound et fier de l’être 
Belleville, quartier des RMIstes: une misérable petite cour pavée, des marches en vieilles pierres donnant sur la porte en grillage rouillé de la cave. Dans la pièce sombre, un établi poussiéreux et un tas d’objets de ferraille inutiles. Difficile d’imaginer que c’est ici, dans le cagibi du fond, que se trouve le studio de Pushy, le duo drum’n’bass de Yod et Chris Weebs. Yod et Chris ont tout laissé tomber pour la musique : « Pas de compromis, rien ne nous arrêtera. Et si ça ne marche pas, nous continuerons à vendre de simples K7 de notre musique ! », lance Chris, calme mais déterminé.
La précarité, le manque de thune, « Nous le vivons au quotidien. Et chaque jour, nous sommes confrontés à quelqu’un qui pète les plombs. » Un temps, aux grandes heures du Pôle Pi, Pushy rêva d’un autre Belleville », à un vrai quartier communautaire où se seraient alliés « les artistes et les jeunes exclus du système dont on ne veut pas de toute façon ». Le rêve s’est fracassé : «Belleville n’est qu’un îlot de plus assiégé par la rénovation.» Alors, le désir de changement, de « s’en sortir autrement », Pushy l’exprime dans ses morceaux :  » Au lieu de crier, on compose. » Les règles qu’il contourne, ce sont celles de la musique et, à l’instar de la vie, Pushy y injecte « des éléments en conflit, on joue sur les contradictions. »
Il y a deux ans, le duo trouve un éditeur qui lui permet d’acheter du matos. Grâce au système D, il sort un maxi, puis un autre, tiré à cinq cents exemplaires. Pourtant, malgré audace et qualité, leurs productions n’intéressent pas les majors du disque françaises. Une sclérose de plus. Qu’à cela ne tienne : Pushy envoie des morceaux à l’un des labels électroniques anglais les plus progressistes du moment… qui les sort ! Une satisfaction qui vaut toutes les galères. Et qui démontre que, même sur la corde, la passion et l’indépendance peuvent avoir raison de la précarité
«Worn to the shadows, live au Bataclan» (Hokus Pokus).
«Avant gardism Vol.l&2» (Low&Auder). Tournée française en septembre avec Spicy Box et Kraft.

 

2. Adolescent jusqu’à trente ans
Danseuses androïdes bardées d’acier, sculpteurs sur glace et métal, performers cyberfreaks et charmeuses de serpents ondulent sur des musiques techno dans des espaces à la déco Alien : pour chaque événement qu’elles mettent en scène, avec les Z’Avengers débarque une tribu échappée d’un autre temps, une ménagerie païenne qui tient plus d’un bal des fantasmes que de la simple teuf technoïde.
Z’Avengers est une asso « pluriartistique, sans but, ni idées précises », explique Rac, son fondateur dijonnais. Face à un système où prime l’obligation caduque d’une nécessaire « intégration sociale et professionnelle », Rac, officiellement  intermittent du spectacle, ne cherche, quant à lui, aucun objectif à ce qu’il entreprend : « La finalité, c’est castrateur. Nous vivons dans une époque de carences. Notre génération a du mal encore à savoir où elle va. J’ai donc monté ce job comme un exutoire, je joue sur les phobies, le trouble d’identité, les pulsions… »
Rac, le fan d’Alien et de l’écrivain cyber Norman Spinrad, revendique son activité comme une volonté, un désir « de rester enfant ». Ce refus de grandir comme thérapie, de « créer de l’éclate et du loisir » en puisant dans un imaginaire de gosse, serait-il symptomatique de la génération trentenaire ? Une évidence, pourtant : c’est la nuit, comme The Avengers (les mythiques héros masqués de comics), que Rac et sa troupe se révèlent…
Les 13 et 20 septembre: «Lazy Down» au couvent des Ricolets dans le cadre des «Rendez-vous électroniques».

 

3. Mini prix mais il fait le maximum
« On dit que c’était mieux hier, que la vie est plus difficile aujourd’hui… Des clichés véhiculés par des institutions qui ont intérêt à jouer sur la   peur », ironise Alex. Ce « jeune » de 27 ans estime que la décennie n’a jamais été aussi « ouverte », qu’elle « offre toute la tangente des
possibles ». Alex a toujours préféré la carrière des sentiments et des rencontres à toute méthodologie stratégique. Son CV ferait baver le meilleur chasseur de têtes, mais lui jure qu’il n’y a rien d’exceptionnel. Quand il décide de suivre des études de cinéma, Alex sait qu’elles ne le mèneront nulle part. En parallèle, comme cours appliqués, il écrit, réalise et produit trois films en 35 mm, dont un long au titre prémonitoire, En route.
Le fric, il le trouve grâce aux soirées qu’il organise et à de petits boulots dans les écoles, se fendant au passage du tout premier live des Daft Punk. Les pellochs, il les taxent chez Navarro, à Hamstet Production. Mais au lieu de « perdre du temps et de l’énergie » à rentrer dans le système épineux de la diffusion, Alex, en quête « de plus de proximité et de contact », fonde un hebdo gratuit (« pour I’indépendance ») sur la culture à Paris. Prétexte sera diffusé à plus de 50 000 exemplaires. Manque de retour et de soutien, il ne sortira que cinq numéros, mais l’expérience l’aidera « à monter son réseau » pour la suite.
Une logique de dispersion, d’éclatement ? « Plutôt de précision : je cherche un accès direct aux choses, à la transmission des connaissances, à plus de liberté, une manière aussi de ne pas basculer dans le cynisme relatif à l’époque, ». Le fric ? « Je n’ai jamais été arrosé, jamais eu trop d’argent pour moi. La vie immatérielle, ça fait parrie du truc. Jusqu’à être contre l’idée même de maison, ce piège du confort. » Aujourd’hui, Alex-l’entrepreneur promeut une trentaine de magazines branchés ou rares – The Face, Wallpaper, Ray Gun, Very, Surface… (« qui n’existaient pas vraiment ici avant » ) – , des films new-yorkais indépendants, des recueils de poésie ou des labels français dans l’espace qu’il vient d’ouvrit – OFR System, traduire par « Zéro Franc System ». Demain, il compte tenir une boutique à Londres et à New York (« prétexte à se balader ») , puis lancer une gamme de voyages pas chers. Après la précarité, la post-carité.
OFR  System. 62 rue Etienne-Marcel, 75001 Pais.

 

Par PX


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