Philippe Sollers : « ​Avec le captagon, pas de dérive rêveuse »

Philippe Sollers Paris Photo Sophie Zhang 19/05/2015

La drogue des djihadistes a servi de carburant au jeune Philippe Sollers tout au long des années 70. Il a accepté de partager ses connaissances chimiques et littéraires du psychotrope avec nous.

 

Bonsoir maître. On a cru comprendre que vous preniez du captagon au début des années 70. C’était pour écrire plus vite ?
Philippe Sollers :
Oui. Un ami médecin m’a parlé du captagon, de petits comprimés blancs qu’on pouvait prendre par moitié. C’était l’héritier du Corydrane, qui a coûté une partie de sa vue à Sartre, qui s’en gavait pour écrire.

Vous écriviez la nuit ?
N’importe quand. Avec le captagon, je gagnais le temps de me mettre en action, deux heures environ. L’écriture est un sport de très haut niveau, si on le pratique vraiment. Tout le monde croit qu’on écrit comme ça, qu’on barbouille, qu’on tapote à l’ordinateur… Tu parles !

Vous en avez pris uniquement pour l’écriture de deux livres, H et Paradis ?
J’en ai pris pendant un certain nombre d’années, dans les années 70. Ça va de H à Paradis. Après, j’ai arrêté parce que les effets de descente devenaient pénibles. Ce sont des expériences… Il faut dire à vos lecteurs de relire aussi Baudelaire : sa découverte du haschich à l’hôtel de Pimodan, le « Poème du haschich » (1858)… Pour le dire autrement : la drogue est quelque chose qui doit automatiquement intéresser un écrivain. Si ça ne l’intéresse pas, tant pis, il peut boire de l’alcool comme tout le monde.

En lisant les comptes-rendus des attentats, vous avez reconnu la drogue de prédilection de vos jeunes années ?
Mon attention a été attirée par le témoignage d’une otage au Bataclan qui a vu les assassins achever les blessés sans aucun état d’âme. Ce n’est pas la peine de se perdre en idéologie : il faut les voir, les imaginer, entrer dans leur tête, pour savoir ce qui se passe. Cette otage a expliqué que l’assassin commençait sa descente. Or, bourré de captagon, je vous assure que la descente doit être infernale. Et qu’à ce moment-là, il vaut mieux en finir tout de suite : se faire exploser. Donc, ces pauvres types qui se sont fait manipuler et ont été envoyés pour faire le plus de dégâts possibles, on connait maintenant leur référence : un pur produit de chimie. Tout le monde évite d’en parler, ce qui me paraît de plus en plus étonnant. Parce qu’il n’y a pas que les trafics de coton et de pétrole pour l’État islamique, mais aussi la drogue. Et celle-là, notamment, qui permet de manipuler les gens.

Le moment où les kamikazes du Bataclan se mettent à parler de la Syrie et de Hollande correspondrait à celui de la descente ?
À ce moment-là, ils sont déjà en descente. En principe, ils ne parlent pas. Contrairement aux Kouachi, à Coulibaly – des assassins lyriques qui s’adressaient à leurs ​victimes –, ceux du 13 novembre ne parlent pas. Ils sont concentrés sur le fait d’arroserles terrasses de café et de tuer le maximum de gens possible. C’est intéressant de voir que, bourré de captagon, l’acte consistant à devenir roi du monde et à supprimer tout ce qui est humain devient possible. Avec cette drogue, pas de dérive rêveuse : elle n’a rien à voir avec la cocaïne, l’héroïne ou la morphine…

Entretien Laurence Rémila – Photo Sophie Zhang
​(extrait d’une interview parue dans Technikart n°197, décembre 2016) ​