Tous artistes, tous RMIstes

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Portrait d’une génération en créateurs dans le coup

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Herbert, un temps acteur de théâtre et performer dans des galeries, a trouvé sa voie dans la musique : avec « Around the House », il s’amuse à mixer des borborygmes ou des bruits de paquets de chips pour un résultat ébouriffant. Tout un symbole.

Régis passe son temps aux terrasses des cafés, Régis jure qui va se brancher sur Internet le mois prochain, Régis va bientôt exposer dans une galerie associative mais, surtout, Régis attend impatiemment le 10 du mois pour toucher le RMI et rembourser ses copains. Le chiffre n’est pas nouveau mais il demeure cependant d’actualité.

A Paris, 15% des RMIstes « poursuivent des visées artistiques », comme l’écrivait avec un beau sens de l’euphémisme un rapport commandé par la mairie en 1994. Tous les jeunes voudraient-ils devenir artistes ? La réponse est, semble-t-il, plus complexe. Oui, les vocations artistiques sont sans doute plus nombreuses aujourd’hui qu’hier. Mais le starut de l’artiste a changé. « Avant, un jeune qui voulait écrire devenait professeur, pour avoir un statut de salarié comme tout le monde. Aujourd’hui, il préfèrera devenir journaliste pour avoir une satisfaction immédiate de sa passion : écrire un peu, en quelque sorte. De même, le passionné de théâtre acceptera d’assumer un emploi technique dans une salle pour évoluer dans l’environnement qu’il aime », explique Robert Rochefort du Credoc (centre de Recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie). Les places semblant finalement aussi dures à conquérir dans la vente d’ascenseurs que dans la techno, tant qu’à risquer le chômage et à être mal payé, autant que ce soit dans un métier qu’on aime. Voilà qui semble être le credo de la nouvelle génération.

Précarisation, chômage, réduction d’effectifs, absence de statut bien défini, sont vécus par l’immense majorité des salariés comme un véritable fléau social. Mais la jeunesse des grandes villes y est confrontée depuis si longtemps qu’elle s’y est donc adaptée (beaucoup n’étaient même pas nés avant 1973, c’est-à-dire avant que le mot « crise » soit devenu le qualificatif le plus couramment employé pour décrire la situation économique dominante).

En étant un peu cynique, on peut affirmer qu’il faut bien un but aux milliers de jeunes diplômés de formation littéraire que les facultés crachent chaque année (DEA de musicologie indienne, DESS de sociologie, des organisations de taille moyenne, magistère d’eurotamponneur …). Serait-ce pour ça que les vocations artistiques explosent ? Plus optimistes on préfèrera penser que ces artistes « dans la vie » – dont la vocation ne les empêche pas d’acquérir un savoir-faire technique directement exploitable – multiplient en fait les chances de réussir quelque chose. Soit que leur travail d’artiste finissent par être reconnu, soit que l’un des jobs alimentaires auxquels ils sont abonnés se transforme un jour en quelque chose de plus concret.
De plus, on estime que le nombre d’emplois disponibles dans la culture (des opéras aux bibliothèques, des musées aux maisons de quartier) a cru de plus de 30% en dix ans. Un taux de progression sur lequel aucun autre secteur ne peut s’aligner. D’après le ministère de la Culture, 375 000  personnes exercent en France une profession culturelle (soit 1,7% de la population active) alors que 120 000 personnes inscrites à l’ANPE cherchent à exercer ce type de profession (soit 4% des demandeurs d’emplois). Encore faut-il s’interroger pour se demander ce que recouvrent ces chiffres : certaines personnes qui ne touchent que de très loin à la – création (chargé de mission au ministère de la Culture actuellement en campagne pour se faire élire au Conseil général des Deux-Sèvres, doublure lumière à l’Opéra de Paris) y étant comptabilisé alors que d’autres (écrivains sur post-it, plasticienne qui photographie ses pieds, DJ qui mixe avec des CD, que sais-je encore ?) n’y figurent pas. N’empêche : ce demi- million d’artistes sur les bras fait salement penser à la chanson de Jean-Patrick Capdevielle : « Les poètes finissent tous trafiquants d’armes/On est cinquante millions de poètes, c’est ça qui doit faire notre charme, wou-wo.»

Par Jacques Braunstein


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