JEAN-MICHEL, SUPPORTER DU PSG – ULTRA MODERNE ATTITUDE

Paru dans le numéro 122 de Technikart – mai 2008

Après l’affaire de la banderole, on a tout entendu sur le Kop of Boulogne, fief des supporters du PSG. Mais derrière les clichés se cache une tout autre réalité Un membre de la tribune nous entraîne dans sa quête esthétique du supporter.

« Dégénérés, débiles, assoiffés de sang, bienvenue en Boulogne R2, la tribune la plus dangereuse de France », glisse Jean-Michel sans retenir un sourire en coin. Dans cet antre décrié du supposé hooliganisme parisien, ce trentenaire calme et avenant se sent chez lui. Tout juste s’il ne propose pas le tour du propriétaire. Ce soir, le PSG reçoit l’OGC Nice. Match capital pour le maintien. Un de plus. On descend quelques marches et on se faufile dans une travée au hasard. 

Les sièges rouges de cette tribune basse du Parc des Princes – juste derrière les buts – ne servent que de décor. Sur la grille de séparation avec la voisine R1, une affichette écrite à la main donne le ton : « Debout et chante ! » Aucune tension palpable. Jean-Michel ose même l’adjectif « familial ». Sa compagne est abonnée et il a déjà emmené sa fille de 7 ans. Ce soir, femmes et enfants sont rares. Un constat cependant : pas plus de mines patibulaires autour de nous que dans n’importe quelle rame de métro.
R2 est un vrai kop à l’anglaise avec peu de drapeaux et zéro « Footix » grimés façon arbres de Noël. Juste des gars, une écharpe bleu et rouge autour du cou, prêts à se casser la voix pour pousser leur équipe.

Cet emplacement, Jean-Michel l’a choisi après avoir fait le tour des tribunes depuis près de vingt ans. Gamin, il vient de Chartres avec son père pour encourager le PSG en tribune Paris, « une tribune de papas ». Ado, lui et ses potes commencent à reluquer vers Boulogne : « Quand on voyait l’ambiance, ça nous titillait, alors qu’on se faisait chier dans notre tribune. » En 2000, il s’installe à Paris pour suivre une école d’ingénieur et prend son premier abonnement à Boulogne, en haut, près des Boulogne Boys à la réputation sulfureuse. Puis ses potes le traînent un temps en face, dans la plus colorée tribune Auteuil.
Après cette révolution autour de la planète PSG, il revient à Boulogne. « Cette tribune, c’est Paris. J’ai toujours rêvé de vivre à Paris et je me suis senti parisien dès que j’ai eu mon premier abonnement au Parc. Ça a renforcé mon identité. Avant, j’avais du Parisien l’image typique véhiculée en province : un connard qui débarque pour les vacances et fait chier tout le monde. Boulogne se positionne aussi face aux insultes sur les Parigots. Etre avec les vrais supporters du PSG, c’est con à dire mais c’est une sorte d’accomplissement. La passion du foot, c’est aussi celle du club, de la ville. Si je n’avais pas aimé le foot, j’aurais trouvé un autre vecteur pour m’intégrer. » Première approche, le supporterisme comme esthétique de l’intégration.

Le match a débuté. Ça chante. On improvise timidement un « Lloris (1) enculé ! » en lieu et place du traditionnel « Oh hisse enculé ! » Pas de quoi recourir à des tests ADN. Jean-Michel lance « Bien tenté » alors que Luyindula se laisse tomber dans la surface niçoise. Il revendique la mauvaise foi du supporter sans en faire des tonnes. Mi-temps, 1-0 pour Nice. A la reprise, Auteuil déploie une banderole : « Démagogie, désinformation, hypocrisie, sensationnalisme, antiparisianisme : bienvenue chez les médias. » Jean-Michel s’excuse poliment avant de justifier : « Ce message, c’est ce que pense la majorité des gens. Sur la banderole du Stade de France, il y a eu énormément de bruit pour pas grand chose. C’était juste une vanne grasse d’ultras. C’est facile de les traiter de débiles et d’analyser a posteriori. Mais si Lens gagne, on n’en parle pas. Et si Ingrid Bétancourt est libérée… »
La banderole antimédias fait un tabac à l’applaudimètre. Venue de la tribune d’en face – l’ennemi intérieur comme on la présente parfois –, c’est aussi le signe de la solidarité entre supporters. Le PSG égalise et prend l’avantage. Le Parc gronde de plaisir. En R2, le béton tremble sous nos pieds. Cinq mètres en dessous de nous, une vingtaine de gars pogotent quelques secondes. Percussion des chairs qui s’achève contre la grille de séparation entre R1 et R2. Jean-Michel et ses potes se jettent aussi les uns sur les autres à chaque but parisien. Alors, R2 et l’Ile aux enfants, même combat ?

Jean-Michel revient sur la banderole du Stade de France : « Plantu qui dessine la banderole en rajoutant une croix gammée, faut pas déconner ! Quand on est supporter de base, ça fait super chier. J’entends parler de saluts nazis mais j’en vois pas. » Cet adhérent au Modem – ce qui dénote, outre sa modération politique, un goût répété pour les causes perdues – admet en revanche la présence de quelques fachos dans cette tribune d’obédience nationaliste « au sens large du terme » où « aucun message politique clair ne se dégage ».
« On ne discute jamais politique en tribune. Mais dans un pays où 15% de la population votent Le Pen, ces gens, on les retrouve forcément quelque part », tacle Jean-Michel avant de mettre un carton à ceux qui voudraient que les supporters fassent eux-mêmes le ménage. « Quand il y a une masse d’1,95 mètre et 100 kilos à côté de moi, je vais pas le virer. Je tiens à la vie. Et puis si le gars a un comportement qui tombe sous le coup de la loi, c’est à la police de faire quelque chose. S’il ne fait rien d’illégal, je vais pas faire changer sa façon de penser. C’est comme dans une famille avec l’oncle un peu con : ça fait chier mais ça reste la famille. Etre là et ne pas leur laisser la tribune, c’est déjà bien. » Deuxième approche, le supportérisme comme esthétique de la résistance.

En dehors de « l’oncle un peu con », le foot a pas mal élargi la famille de Jean-Michel. 90% de ses potes viennent des tribunes, réelles… ou virtuelles. Quand il n’est pas au Parc, ce chef de projet dans une compagnie d’assurances passe de longues heures à animer un forum de discussion dédié au PSG et fréquenté par des supporters de toutes les tribunes. L’occasion de passer en revue les problèmes du foot moderne.
S’il fait preuve de tolérance pour les fumigènes – « Ça sert pour l’ambiance, on ne s’attaque pas entre supporters avec les fumigènes » – ou les fights – « Les gars dans ce trip se battent avec d’autres hooligans et n’agressent pas des femmes et des enfants » –, Jean-Michel s’insurge contre l’aseptisation des tribunes – « On va vers l’ambiance TF1 où on confond spectateurs et supporters. Le Stade de France est un drame pour tout amoureux du foot. Sur 80 000 mecs, il y en a 75 000 assis et on se fait chier comme pas permis » – et contre la dissolution des Boulogne Boys – « Dissoudre une asso parce qu’un mec a fait un cri de singe, c’est débile. Pourquoi pas dissoudre l’UMP quand Christian Vanneste tient des propos homophobes ou le PS quand Georges Frêche balance des trucs racistes ? Et puis les Boys, c’est plutôt un facteur de stabilisation face aux indépendants (2) . »

Il reste quatre minutes à jouer et le PSG est maintenant mené 3-2. Jean-Michel se mordille les lèvres et, en bon moine kopiste, joint ses mains devant son visage pour une petite prière. Le dieu du foot fait la sourde oreille. « Cette défaite résume notre saison », lance-t-il, résigné. L’évacuation de la tribune se fait sans heurt. Le spectre de la relégation se rapproche pour le PSG. Jean-Michel ne s’en réjouit pas mais voit au-delà. « Si on descend en L2, il y aura encore 25 000 spectateurs de moyenne au Parc. Boulogne et Auteuil seront pleins. Avec mes potes, on a déjà décidé de reprendre un abonnement quoiqu’il arrive. » Troisième approche, le supportérisme comme esthétique de la fidélité.

(1) Le nom du gardien de but niçois.
(2) Supporters plus radicaux à l’origine de débordements.
JEAN DAMIEN LESAY