« SKINS » – UNDER MY SKIN

Paru dans le numéro 123 de Technikart – 22/05/2008

LES «SKINS PARTIES», NOUVEAU SUMMER OF LOVE ? Comme les héros de «Skins», ils ont à peine 20 ans et veulent recréer l’ambiance «sex and love» de la série télé lors de fêtes orgiaques. Enorme en Angleterre, le phénomène débarque en France sur la pointe des pieds. Plongée chez ces frenchkids qui veulent, eux aussi, leur summer of love.

Vous n’avez peut-être jamais entendu parler de Skins, la série télé britannique créée en 2006 (voir encadré). Elle draine pourtant outre-Manche une énorme communauté de fans qui caressent le rêve de recréer l’ambiance extatique des teufs de leur héros. Ils appellent ça les Skins Parties. Dans ces sauteries géantes, les ados se droguent et s’envoient gentiment en l’air, sans autorisation parentale, sur les rythmes disco de papa ou techno du grand frère. Attisé par les témoignages de blogs et les vidéos sur YouTube, le phénomène gagne peu à peu la France. En l’espace de quelques mois, la course à la plus grosse Skins Party a été lancée. En première ligne, celle de Versailles, partie pour rassembler plus de 2000 personnes. Mais d’autres n’ont pas attendu pour s’y essayer.

UN GOÛT DE 1988
En matière de marketing, nos voisins brittons sont presque aussi forts qu’en séries télé. Pour souder la communauté et provoquer un processus d’identification costaud, les executives de Skins balancent, par exemple, les scènes coupées de chaque épisode après leur diffusion sur le très actif MySpace officiel de la série. Quant au véritable déclencheur de l’engouement, il s’agit pour Matt, un postado de Manchester, comme pour de nombreux autres fans, de « l’épisode Secret Party, une pure invitation à imiter les héros de la série ». Lorsqu’on regarde Skins, on pense tout de suite aux raves de 1988, même si ces aficionados étaient à peine nés à ce moment-là : tout est retranscrit avec fidélité dans les Skins Parties, « avec parfois distribution libre de cachetons, témoigne Mary, londonienne de 20 ans. Le défi constant des organisateurs, c’est d’atteindre une communion sexuelle comparable aux partouzes de la série. » Comme si après le retour du rock, de la rave, la banalisation de l’alcool et de la drogue, le sexe en toute liberté restait chez les kids le dernier bastion à reconquérir de l’émancipation des 70’s.

NO SMOKING ET VODKA POMMES
Quelques Frenchies de retour de la capitale anglaise décrivent ainsi leurs expériences de la dernière Skins Party londonienne avec des étoiles dans les yeux : « Les Anglais font la fête sans complexe », annonce Andréa. Pour Séb, « La puissance du look dans ces soirées, c’est ce qui fait leur force. Et les sound systems sont dix fois plus fous qu’à Paris ! » Le fond du problème pour Sophie, c’est qu’« en France, c’est tout le temps la même chose, trop prévisible ». En ce moment, à Paris, trouver la prochaine Skins Party prévue sur Facebook est aussi facile que d’entrer au Baron avec Teki Latex. Une simple recherche dans la rubrique « events » et nous voilà inscrits dans la fête à l’accroche explicite : « Parce que tout le monde s’imagine dans les fêtes de la série Skins. » On s’y rend donc, avec le secret espoir de retrouver une ambiance digne des vidéos uploadées par les organisateurs et visionnées en guise de before. Première complication dans ce bar du IX e arrondissement, le Fréquence Café : un événement rassemblant plus de 800 inscrits sur le Net pour une salle pouvant en accueillir 200 bien serrés. Un simple bar avec un dance floor en sous-sol : dress code fluo de la série respecté, cotillons, combat de pistolets à eau et sol parsemé de boules en plastiques multicolores… Aux alentours de minuit, la fête bat son plein, l’alcool ayant fait son effet sur la jeune génération mais, déjà, beaucoup nous témoignent leur déception. C’est le moment que nous choisissons pour arrêter de simuler des orgasmes à chaque nouvelle daube de David Guetta et aller à la rencontre de la population extérieure, ces bons vieux fumeurs toujours enclins à livrer leurs impressions.

«ON VEUT BAISER !»
Bertrand, 19 ans, est venu avec deux potes. Il tient un blog, porte un hoodie jaune et assure que « ce genre de soirées le déçoit autant que les trentenaires qui le prennent pour un Tecktonik killer ». Ses potes surenchérissent, nous indiquant que « les soirées les plus oufs qu’ils aient jamais vécues, c’était aux Etats-Unis avec Mark Hunter (alias Cobrasnake NDLR). » Morgane, 20 ans, s’estime être « une exception dans une soirée prépubère ». Pas déçue par la soirée, elle trouve le concept sympa au contraire de ses deux copines, avec qui elle est venue : « Les Anglais sont simples et savent s’amuser. Ici, les ados se donnent un style preneur de “c” mais ne savent pas se lâcher. » On tourne vite en rond, la musique, « pas assez variée », fatigue les tympans de Geoffroy. Il rêve de Bristol, d’un retour encore plus fort du disco et des 70’s… Ça flirte un peu mais l’ensemble reste bon enfant. Et toi, mec, qu’est-ce que t’en penses de cette soirée ? « Je sais pas, il est quelle heure, là ? » Minuit vingt. « Bah, alors il est minuit vingt et y a pas d’ambiance », lâche François, les yeux dans le vague. Les ingrédients manquants ? « L’alcool est cher, les drogues sont proscrites, donc pas de sexe. Alors que théoriquement, les Skins Parties, c’est l’overdose de tout ! », explique, désabusée, Alexandra. « Où sont les tazs ? », demande Cyril. « Du cul, putain, du cul, on veut baaiiiseeerr ! », s’enflamme Léa qui a un peu abusé du Get 27. Le videur lui demande de se calmer : « Oh, c’est pas l’anarchie, ici. » Dommage, c’est un peu ce qu’on était venus chercher…

THE FRENCH TOUCH WAY
Il est 2h00 du mat’ et, alors qu’un organisateur nous explique qu’il s’agissait ce soir d’« un test » et qu’un danseur de Tecktonik frise la luxation de l’articulation scapulohumérale, une phrase s’échappe de la bouche de Sophie qui sonne le glas de la soirée : « Y a plus personne, ils sont tous partis aux Planches ! » Là, au milieu des bracelets et des boules de papiers fluos qui jonchent le sol, on se sent loin, très loin, de l’Angleterre. Heureusement certaines soirées sentent a priori moins la lose. Une Skins Party doit se tenir au mois de juin à Versailles, dans un lieu encore indéterminé. Sur Facebook, le groupe rassemble près de 2 000 kids bien décidés à participer à la fête de l’année : « Youpi ! Une partOOooOOoO ouz », écrit ainsi Mlle A. Sur le « wall » du groupe, suivie de près par Mlle D : « Je suis partante, je ne rêve que de ça !!!! Ça me donne des frissons !!!! Merciii pour ceux qui ont eu l’idée, so great ! » Après avoir été la ville de la French touch, Versailles va-t-elle devenir celle de la French touz ?

CORENTIN GRANGE ET SAMUEL GRINFEDER